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Benjamin Millepied : La danse et le cinéma

Deux nouvelles créations et un Carmen au cinéma : Benjamin Millepied court plus vite que jamais. Entretien. 

Double actualité parisienne pour Benjamin Millepied : A la Seine Musicale il reprend en septembre son Roméo et Juliette  [Lire notre critique] pour quasiment enchaîner en octobre au Théâtre du Châtelet avec deux  programmes, dont Be Here Now, autre création pour sa compagnie, le Los Angeles Dance Project. Deux propositions aux antipodes, entre ciné-danse à partir d’un classique du répertorie théâtral et danse abstraite sur musique contemporaine. Mais nous verrons aussi bientôt sur les écrans le premier long métrage signé Benjamin Millepied ! L’ex-directeur de Ballet de l’Opéra de Paris donne ici quelques clés concernant la relation entre la danse et la caméra dans son travail. 

Danser Canal Historique : Avec Roméo et Juliette, vous réunissez vos deux passions, la danse et le cinéma. Nous vous avions découvert comme réalisateur au moment où vous avez lancé la 3Scène à l’Opéra de Paris, la plateforme internet pour des court-métrages autour du Palais Garnier et de l’Opéra Bastille. Et aujourd’hui se prépare la sortie de votre premier long métrage. Qu’est-ce qui vous a amené à réaliser des films, alors que la danse pourrait vous occuper intégralement ? 

Benjamin Millepied :  Tout a commencé il y a vingt-sept ans, quand j’ai développé un intérêt approfondi pour la photo. C’était bien sûr un plaisir personnel, à un niveau amateur, mais c’était tout de même une belle école du regard. Et puis j’ai commencé à réaliser des court-métrages et je le faisais certes avec mon instinct et peu de savoir-faire, mais l’envie de m’amuser avec la caméra a fait que je me suis finalement lancé dans le long métrage. Rassurez-vous, avant d’y aller pour de vrai, j’ai pris le temps d’apprendre tout ce que je pouvais. 

DCH : Si votre Roméo et Juliette est livré comme une fusion charnelle entre danse et cinéma, vous présentez à Paris également Be Here Now, qui est au contraire une pièce de danse pure qu’on peut qualifier comme abstraite. Et pourtant, il serait étonnant que votre travail avec la caméra et sur l’authenticité du jeu d’acteur n’ait pas d’influence sur vos chorégraphies, même quand elles ne sont pas narratives. 

Benjamin Millepied : Au cinéma il faut une justesse absolue dans le jeu d’acteur pour que les mouvements soient aussi naturels et véridiques qu’ils semblent justifiés ! Il faut savoir faire bouger les corps dans l’espace avec des actions cohérentes en relation avec une dramaturgie. Pour un chorégraphe c’est passionnant car on affine naturellement son regard et on va donc retrouver quelque chose de cette justesse dans la danse. Le cinéma change le regard sur la danse et je suis sûr que mon regard a évolué grâce à mes films. Aussi chorégraphie et mise en scène sont ainsi assez proches.

DCH : Mais il y a aussi des différences évidentes entre la danse qui occupe un espace scénique peu transformable et le cinéma qui a toutes les libertés spatiales et temporelles, pouvant changer de lieu comme bon lui semble et même procéder par flashback, ce qui est impossible quand on fait une chorégraphie. 

Benjamin Millepied :  Ce qui est passionnant c’est qu’avec la caméra on peut diriger l’œil du spectateur sur de tout petits détails comme sur une ambiance. On peut rendre quelque chose érotique ou violent et on peut faire des choses qui sont impossibles sur scène, par exemple garder un corps immobile et faire bouger le spectateur autour. C’est un médium extrêmement passionnant que j’ai l’intention de continuer à pratiquer dans les années à venir.

 

DCH : Il paraît qu’on pourra voir dans pas trop longtemps votre premier long métrage, une adaptation de l’histoire de Carmen que vous avez réalisée et coécrit avec Alexander Dinelaris Jr. et Loïc Barrère. Un scénario engagé…

Benjamin Millepied : J’ai totalement réinventé l’histoire. Cette Carmen est Mexicaine. Elle fuit la violence des cartels et traverse la frontière avec les Etats-Unis, où elle va faire face à une patrouille de volontaires. Par chance, un ancien Marines est là et ils vont fuir ensemble. C’est une histoire d’amour et de liberté, portée par la relation entre Carmen, sa mère et une amie très proche. Quant à la musique, une nouvelle aventure appelle aussi une nouvelle partition. Ce n’est donc pas du tout Bizet ni inspiré de lui. La partition est de Nicholas Britell qui a fait la musique de films comme The Big Short, Moonlight, Vice, etdernièrement Don't Look Up, le grand succès de Netflix. J’espère que la sortie de Carmen  aura lieu en fin d’année ou début 2023.

DCH : Quel est le rôle de la danse dans ce Carmen 

Benjamin Millepied : Mon film est ancré dans un certain réalisme. Je l’appelle un drame avec de la musique et de la danse. Et justement pas une comédie musicale, parce que l’idée était d’être dans quelque chose de dramatique. La danse et la musique ne sont pas là pour être fantaisistes, elles existent tout simplement parce que cette Carmen est danseuse et chanteuse et exprime sa liberté à travers son corps et sa voix.

DCH : A Los Angeles, vous avez créé votre compagnie, le LA Dance Project ou LADP il y a dix ans. Quelle est votre vision pour cet ensemble ? Quel rôle joue-t-il dans le paysage chorégraphique américain ?  

Benjamin Millepied : La compagnie a son identité propre dans la ville de Los Angeles et il y a aujourd’hui autour d’elle une vraie communauté qui aime le LADP. Il nous faut faire évoluer cette plateforme, pour aider les artistes à s’exprimer. C’est un magnifique cadeau de disposer d’un bel espace de travail et de magnifiques danseurs, pour que l’âme de cette ville s’exprime à travers la compagnie et sa danse. 

DCH : Comment réussissez-vous à faire vivre une compagnie de danse contemporaine aux Etats-Unis ? 

Benjamin Millepied : Bien sûr, le financement est un combat de tous les jours. Il y a des sponsors qui sont des personnes morales et des individus qui financent. Nous avons zéro argent public, ce n’est pas du tout la même affaire qu’en France où la culture est ancrée dans l’éducation, où on a une compréhension de la société qui est liée à la compréhension de la culture, où on est amené à s’interroger, à se confronter à des idées… Les lieux culturels sont des lieux de découverte qui nous interrogent.  Sans théâtres il n’y a pas de démocratie ! 

DCH : Justement, on s’interroge sur le regard que vous portez aujourd’hui sur votre période parisienne, en tant que directeur du Ballet de l’Opéra de Paris. 

Benjamin Millepied : L’Opéra de Paris a approfondi ma compréhension de ce que doit être une organisation culturelle dans une ville aujourd’hui et comment on arrive à créer un élan artistique qui vient de l’intérieur des artistes de cette ville avant tout, qui les réunit et fait en sorte qu’ils puissent collaborer et créer une identité singulière. C’est la démarche que j’ai commencé à comprendre et qui a d’ailleurs changé ma démarche quand je suis rentré à Los Angeles. Si on n’est pas dans cette démarche, les institutions, où qu’elles soient, vont toutes se ressembler et toutes faire venir les mêmes chorégraphes. Et quand on regarde bien, les grands moments dans l’histoire de l’art se sont toujours produits parce que l’art est venu de l’intérieur, que des gens se sont rencontrés et ont travaillé ensemble et représentaient une identité singulière. Les Ballets russes etc. ont été des moments où les artistes se rencontraient. Donc, quand je suis rentré à Los Angeles, je me suis concentré sur les artistes locaux et ça a eu un impact important sur notre projet. 

Propos recueillis par Thomas Hahn

A la Seine Musicale : Roméo et Juliette, du 15 au 25 septembre

Au Théâtre du Châtelet : Be Here Now (programme 1) du 13 au 16 octobre

Everyone Keeps Me de Pam Tanowitz - Création de Bobbi Jene Smith & Or Schraiber - Création de Madeline Hollander (programme 2) du 15  au 16 octobre

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