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« 8 solos 8 » : les possibilités infinies d’Israel Galván
Le Sévillan réinvente sa performance solo, en dialogue avec les sonates de Scarlatti et la Chapelle de la Salpêtrière.
Concert ou spectacle de danse ? La performance solo d’Israel Galván à la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière tient des deux, sans que l’on penche clairement pour l’un ou pour l’autre. On se souvient de l’intense dialogue entre ses frappes percussives (mains et pieds) et le Sacre du printemps de Stravinski dans une orchestration pour deux pianos [Lire notre critique]. Malgré l’approche très concertante, il n’y avait pas de doute : La Consagración de la Primavera était bien un spectacle scénique, le public prenant place face à la scène. 8 solos 8, c’est un autre son de cloche.
Sur un sol en pierre, Galván fait résonner les fers sous ses talons, au point qu’on s’inquiète pour ses chevilles. Il trace sa route à travers la chapelle, s’arrête ici ou là, devient tour operateur et chef de son propre orchestre corporel. Car l’idée d’un corps-orchestre n’a rien de farfelu quand on voit comment le danseur fait feu de tout bois. En traversant une rampe, il fait trembler le sol et nos tympans, en tournant dans un rond de sable noir il produit un son granuleux et continu. Parfois le tremblement des jambes semble déjà produire une musique. Mais il peut aussi enlever ses bottines pour danser en silence, sur un matelas de mousse, au pied du grand orgue de la chapelle qui cache son organiste comme dans une armoire.
Les sonates de Scarlatti choisies pour l’occasion par Galván et Benjamin Alard, jeune prodige de son instrument, sonnaient d’abord tel un appel lointain, un brin mystérieux, un écho d’autres sphères. Légers, célestes, solaires. Rien à voir avec le registre pompeux des cérémonies religieuses. Il y a dans ces œuvres de Scarlatti un esprit flamenco, dit Galván. Quelque chose d’espagnol en tout cas, et c’est tout naturel, Scarlatti (1685-1757), quoique Italien, ayant vécu à Séville et Madrid les trois dernières décennies de sa vie. Trop tôt donc pour avoir vraiment pu baigner dans une ambiance flamenca.
Quoi qu’il en soit, il est confondant d’assister à l’osmose finale entre zapateado et Scarlatti, apothéose d’un dialogue d’abord mené à distance, Galván s’approchant de l’invisible Alard par un tonnerre musical provoqué sur un sol en bois préparé avec de petites micros. Et puis, le musicien (pas Galván mais l’organiste) sort d’on ne sait où, et commence à frapper les colonnes en bois qui semblent tenir l’énorme instrument. « Ce duo entre l’orgue et Galván, nous ne l’avons trouvé qu’aujourd’hui », dit Alard après la première.
Comme le concept même du solo de Galván qui ne cesse de se décliner selon les espaces et les partenaires, 8 solos 8 est donc une pièce en mouvement, souple et ouverte aux influences extérieures. Et Galván ne cesse d’élargir la palette de ses figures qui détournent tous les canons de son art. Il reste le Picasso du flamenco, et même, de plus en plus, il est au flamenco ce que Nijinski était au ballet – même s’il ne saute jamais. Sauf une fois, quand il atterrit sur ses cuisses et frappe les semelles de ses chaussures.
Jamais on ne l’a vu « danser » aussi peu, jamais on n’a pu l’approcher de si près. Et il semble parfois chanter en son for intérieur alors qu’il avance, plie ses bras, ses jambes, frappe de ses pieds et des mains, dans un état qui le rend physiquement proche et en même temps curieusement loin de nous. Il devient une sorte de fantôme, un revenant, un individu d’une autre espèce. Ni humain, ni animal. Et même si on reconnaît ici certains motifs scéniques et chorégraphiques de ses spectacles ou performances précédents, il sait surprendre à nouveau. Et, plus important encore, se laisser surprendre, comme ici par le sol, les murs, les coupoles, les vitraux et l’orgue même de la Chapelle de la Salpêtrière.
Thomas Hahn
Vu le 6 septembre 2022 au Théâtre de la Ville Hors Les Murs – Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière
8 solos 8
De et avec Israel Galván et Benjamin Alard
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