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L'effet Bien Fait
Le troisième festival de Micadanses, avec Faits d'Hiver et Fait Maison, est une occasion rare de découvertes. Non pas un hasard mais l'effet d'un mode de fonctionnement de l'institution.
Il y a de nouveau des petits nouveaux dans la programmation du Festival Bien Fait qui commence le 12 jusqu'au 21 septembre et se déploie en cinq soirées toutes multiples, plus un hors les murs de Micadanses – puissance organisatrice autant qu'invitante – et une exposition de photos ! Des chorégraphes pas assez connus comme Rafael Pardillo ou Marie-Jo Faggianelli et d’autres que l’on ne connaît pas encore.
« C'est un peu à cause de notre fonction particulière », explique Christophe Martin, le directeur artistique du festival et de Micadanses, « nous avons énormément de demandes de résidence et nous recevons beaucoup de monde. C'est tout ce travail d'accueil et d'écoute que fait Emerentienne Dubourg dans notre équipe et qui nous permet de détecter des artistes en dehors des sentiers battus. Il faut voir la programmation de Bien Fait par ce prisme : nous ne regardons pas la liste des partenaires, mais le projet qui parfois vient de nulle part ! Par exemple Tanya Lazebnik. Elle a donné un stage, puis nous avons suivi son travail pédagogique jusqu'à ce que je voie un travail pour cinq danseurs. Je l'ai trouvé intéressant, mais je lui ai proposé une approche plus personnelle, d'où ce solo. Pour Eva Assayas, la situation, pour être différente, s'en rapproche. Je la connaissais comme danseuse chez Daniel Dobbels, chez Emmanuel Eggermont. Elle est donc venue plusieurs fois à Micadanses en résidence avec ces compagnies et comme elle fait partie de ces interprètes que l'on remarque, cela m'intéressait. Elle a peu chorégraphié mais elle appartient à un écosystème artistique qui se développe et que nous suivons. Parfois le lien est extrêmement lâche, mais les artistes qui sont programmés dans Bien Fait, pour être peu repérés ne nous sont jamais inconnus. Quelqu'un comme Nadia Larima a d'abord été accueillie en résidence alors que nous ne la connaissions pas. Puis je l'ai revue à plusieurs reprises mais hors contexte, par exemple au cours de rencontres comme Danse Dense et ce qu'elle y a dit m'a plu. »
Pour autant, Bien Fait, s'il assume sa fonction de moment d'essai – d'aucuns diront de « crash test » – ne prétend pas à ce fameux risque artistique. Le moment est fait pour tenter, sans que cela soit rédhibitoire si ce n'est pas réussi. « Nous ne sommes pas dans cette logique de risque, mais dans un souci de témoigner de chorégraphes qui nous semblent importants quoique peu visibles. C'est pour cela que les critères ne peuvent pas être ceux de l'émergence ou de la reconnaissance, de la jeunesse ou de l'ancienneté. »
En effet, Bien Fait a fait place à une pièce aussi remarquable et mystérieuse que Un cœur réduit à un point, bouleversant solo de Marie-Jo Faggianelli d'une pudeur et d'une intimité exceptionnelles si l'on en croit le souvenir de la représentation où nous le vîmes, en 1997… Soit dix ans avant que Joachin Maudet qui partage la même soirée avec son solo Gigi n'entre au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (soirée du 21 septembre). Et si Pauline Bayard propose avec Rouge (Automne / Hiver) pour des interprètes dont l'âge s'échelonne entre 25 et 81 ans, une pièce sur « le vécu des interprètes », elle pourra utilement en parler avec Philippe Ménard qui la précède en présentant Totem, solo né de sa rencontre avec un jeune danseur autiste qui l'a bouleversé. Quoi qu'en terme de vécu, cet interprète-là en aurait beaucoup à raconter (soirée du 16 septembre)…
Et la rencontre de deux exceptionnelles danseuses comme Karima El Amrani (venue de Vendetta Matea, c'est dire !) et Anne-Sophie Lancelin (simplement l'une des meilleures interprètes de sa génération) pour Les Figures de l'attention ne dépare pas d'avec la proposition de Rafael Pardillo qui donne avec Après Hier et à cinquante ans, un tout premier travail personnel (du moins en France car ce très exceptionnel interprète de Bouvier-Obadia et Catherine Diverrès, excusez du peu, a également une carrière espagnole). Soirée d'ouverture (soirée du 12 septembre) où l'on est au moins certain d'avoir des danseurs remarquables.
Pourtant cette richesse laisse aussi place à une fragilité. A part Fernando Cabral qui n'avait pas pu donner, en 2021 et pour cause de Covid, son solo Matter sur Le Socle – ce piédestal vacant près du Centre Pompidou et pour lequel Micadanses propose une programmation – la présente édition ne paraît guère avoir pâti des vicissitudes sanitaires passées. « Mais nous sommes toujours marqués par ce que nous avons vécu ces années passées, corrige Christophe Martin. Les compagnies que nous présentons n'ont pas de structures lourdes et solides. Elles accusent un manque paradoxal de temps – paradoxal puisque normalement elles ont eu plus de temps – que nous ressentons dans des demandes renouvelées et nombreuses de résidences techniques, de temps de travail, d'attentions et de conseils de la part de notre directrice technique Manuella Rondeau. La sollicitation des compagnies s'exprime non pas en argent, mais en temps de studio et de travail.
C'est très symptomatique de ce que nous avons connu. Les artistes ont disposé de temps, mais la coupure rend toute reprise difficile. On ne mesure pas toujours l'énergie que emande la création d'une pièce en particulier pour des artistes solitaires ou très peu entourés comme ceux qui sont présents dans le festival. Tout dépend, pour la création de petits bouts de chose assez anodins, qui exigent, pour être réunis, une grande détermination. Mais quand arrive un retard, la force de volonté retombe et il est alors extrêmement difficile de reprendre et de retrouver le ressort pour se relancer. » Bref rappel et non point inutile de la fragilité des créateurs…
A noter, en sus des spectacles, l'exposition de Laurent Paillier. Le photographe va disposer d'une résidence à Micadanses, chose peut fréquente, et même d'un soutien, pour développer sa nouvelle recherche qui s'étendra sur deux saisons et dont le présent festival sera la première occasion de monstration.
Philippe Verrièle
Festival Bien Fait 12 au 21 septembre 2022
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