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« Toute la société a pris de nouvelles habitudes » Jean-Paul Montanari, directeur du Festival Montpellier Danse

Jean-Paul Montanari, au cours de la traditionnelle « Conférence-bilan » tire les enseignements de cette dernière édition du Festival Montpellier Danse.

Danser Canal Historique : Avec 30 000 spectateurs, le festival Montpellier Danse n'a pas atteint des records, mais avec 85% de taux de remplissage, il réalise un résultat tout à fait correct. Certes, sur 71 représentations (57 payantes, 14 gratuites), il n'y avait « que » 23 000 places à vendre et le chiffre global de fréquentation repose sur des propositions de rue manifestement très appréciées du public qui suivait cours en plein air et défilé. Reste qu'au moment de présenter ces résultats vous aviez l'air content et rassuré. Il y avait vraiment matière à s’inquiéter ?

Jean-Paul Montanari : Oui. Je me méfiais d'avoir été trop optimiste. Nous avions fait des projetions avec Mireille Jouvenel [administratrice du festival] et retenu systématiquement les jauges les plus basses. Nous avions donc envisagé des fréquentations entre 60 et 70% afin de garantir notre budget puisque nous étions certain de pouvoir compter sur ces recettes. Ainsi, quelques jours avant l'ouverture du festival, nous avions déjà couvert nos objectifs budgétaires. Ensuite, les choses se sont déroulées d'une façon pas tellement originale. Il y a sept ou huit spectacles qui ont rempli à plus de 100% et les spectateurs, en particulier ceux de la région – ce en quoi on peut mesurer qu'il y a un vrai travail sur le public – se sont inscrits tout de suite. En quelques jours, Decouflé et la Batsheva ont été complets. Mais par exemple pour Necesito [1991], la reprise de la pièce de Bagouet par l'ensemble chorégraphique du CNSMD de Paris, il a fallu rajouter une représentation. C’était possible, tant mieux. Et ça montre que Dominique reste très présent pour le public montpelliérain [Dominique Bagouet, disparu en 1992, a dirigé le CCN de Montpellier de 1980 à 1992, date de son décès]. Emanuel Gat à la Comédie a fait un très bon résultat.

Ce furent plutôt des bonnes surprises.

DCH :Et les mauvaises surprises ?

Jean-Paul Montanari : Elles sont venues du Cullberg pour lequel on a fait à peine une demi-salle. Ce n'est pourtant pas dans un endroit inconnu : le Printemps des comédiens fréquente régulièrement ce théâtre Jean-Claude Carrière ; il n'est pas isolé, le tram le dessert directement… Mais un chorégraphe peu connu du public français, Jefta van Dinther, un spectacle long… Le nom Cullberg que le monde de la danse connaît bien n'a manifestement pas suffi. C'est un échec notoire.

Autre surprise, à Grammont, l’Hommage à Raimund Hoghe [1949-2021]. Cela a pris du temps, quinze ans, mais il avait trouvé un public à Montpellier. Et le théâtre des 13 vents, siège du CDN, est un lieu connu. Et ce fut aussi un échec. Là, je ne vois qu'une explication : Raimund n'était pas sur scène. Cela me fait penser à ce qui s'est passé avec Kantor. Dès le jour de leur mort, ces grandes figures commencèrent à être oubliées. Là encore, nous avons fait une demi-jauge. 

Peut-on analyser ces comportements ?

Jean-Paul Montanari : Je ne sais pas. Ce n'est pas à moi de le faire.

Je constate que les spectateurs achètent leurs places très tard, souvent au dernier moment et que même s'ils ont des places, ils peuvent ne pas venir et sans que l'on puisse établir de règle.

Il y a la conjoncture économique, la guerre, la COVID qui revient. Même si le masque n'était pas obligatoire, les gens ont recommencé à le mettre pendant les spectacles.

Ce que je remarque, c'est que la versatilité fait partie des nouveaux comportements. C'est comme ça. On ne peut plus prévoir. Il y a quelque chose dans la motivation qui ne fonctionne plus. L'éloignement devient un prétexte : on va à l'Opéra Comédie, mais pas à dix kilomètres. Ce manque d'envie fait partie de mes inquiétudes. Mais je trouve admirable que le public fasse encore des efforts. Avec ces confinements, nous avons traversé une drôle d'histoire. Toute la société a pris de nouvelles habitudes. Avant, nous allions au restaurant, aujourd'hui, à 19h, la rue est pleine de livreurs de pizzas et nous mangeons chez nous. Je ne sais pas si nous reviendrons à la situation d'avant ; je ne le pense pas.

DCH : Et pourtant, dans ces conditions, vous avez pris le risque de faire venir la Batsheva pour un spectacle titré 2019, dansé par 18 danseurs et avec un dispositif scénique qui imposait une jauge très réduite de 250 personnes directement installées en bi-frontal sur la scène de L'opéra Berlioz/Corum. Comment prendre ce genre de pari dans la situation actuelle ?

Jean-Paul Montanari : J'ai vu ce spectacle à sa création à Tel Aviv et dès le début, je voulais le faire venir. J'ai tout fait pour cela. J'ai une équipe formidable et Gisèle Depuccio [directrice adjointe qui a annoncé son départ en retraite] a un talent particulier pour discuter avec les compagnies. Je ne sais pas comment je vais faire sans elle puisqu'elle s'en va.

Pour 2019, il nous a fallu résoudre des problèmes logistiques, le décor a été construit en Italie du Nord, acheminé par camion. Une chance, ce n'était pas trop loin. Il a fallu organiser un séjour particulièrement long. La compagnie y a mis beaucoup du sien. Pour que ce projet soit possible, elle a accepté de donner le spectacle, 1h15, deux fois par jour !. Cela nous a permis d'avoir 3 500 spectateurs soit la jauge de deux Corum – Opéra Berlioz pleins, donc financièrement recevable compte tenu des locations d'hôtel, de la salle, etc.

Mais la performance de la compagnie a été surhumaine ! Deux représentations par jour, avec juste une heure et demie de repos entre les deux. Un spectacle très exigeant physiquement, pas de remplacement possible ou de deuxième distribution… Il n'y a pas beaucoup de compagnie pour pouvoir assumer un tel engagement. Et cela n'a été possible que parce qu'il existe une relation très particulière entre eux et le festival. Quand on dure longtemps, on peut avoir cette chance parce que la relation avec les artistes a pu s'établir.

DCH : Vous aviez pris des assurances ?

Jean-Paul Montanari : Non. La seule chose que nous avons faite, c'est de nous rapprocher de la Préfecture pour prévenir les manifestations d'opposants. Mais il n'y en a pas eu.

DCH : Lors du bilan, pour parler de la prochaine édition, vous avez annoncé une reprise de Désert d'Amour (1984) de Dominique Bagouet et Palermo Palermo (1989) de Pina Bausch. Vous avez affirmé que le festival de Montpellier était coextensif du développement de la Jeune Danse Française. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Jean-Paul Montanari : Je dirais que d'une certaine manière je n'ai pas à choisir, ce sont les artistes qui par leur demandes décident de la forme du festival à venir. Quand Jean-Claude Gallotta appelle et qu'il me dit qu'il veut reprendre Ulysse [1981], sa pièce emblématique parce qu'il veut arrêter, on ne peut pas lui dire non. Je vais donc représenter les vieilles pièces. Sans faire de tri. Je vais accueillir ces projets parce qu'il se passe quelque chose dans la danse. Elle s'interroge ; pour elle aussi, comme pour nous, le temps a passé. Je pense qu'il y a là un regard qui va surprendre parce que les plus jeunes n'ont pas pas idée de ce qu'a pu être cette époque et même ceux qui l'ont vécue n'en ont pas eu une vision forcément juste. Cela ne s'est jamais fait, en danse, de réunir des pièces anciennes et de les proposer en face de ce qui se fait aujourd'hui. Il y aura des créations bien sûr, le festival ne va pas changer, mais nous allons réunir ce que l'on ne relie pas habituellement.

Il va falloir faire un peu de pédagogie, se poser, réfléchir. Peut-être un colloque, ou du moins un axe fort. Un regard pour échapper à cette course infernale. Quelque chose d'inhabituel, mais cela peut être une nouvelle façon de faire pour un festival !

Propos recueillis par Philippe Verrièle

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