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Disparition de Brigitte Dumez

C’est avec tristesse que nous apprenons la disparition de Brigitte Dumez. Chorégraphe, danseuse, danse thérapeute, elle a parcouru les chemins de la danse.

Grand sourire, bonne humeur communicative, Brigitte Dumez respirait la vie et quoi que n'ayant pas été épargnée, semblait ignorer jusqu'au mot aigreur. Elle a succombé dimanche 17 juillet à une crise cardiaque. Dans les années 1990, c'était pourtant avec beaucoup cœur qu'elle faisait parler une danse puissante et vive, précise et ancrée au sol. Avec d'autres, Christine Bastin avec laquelle elle avait travaillé, ou Brigitte Farge, plus théâtrale, elle faisait partie de ce femmes-chorégraphes, adeptes d'une danse charnelle, forte mais élaborée qui n'a pas vraiment trouvé ses relais dans les années récentes. Pourtant, le travail de Brigitte Dumez a ouvert des pistes fécondes. Dès 1994, elle s’aventure au jardin. Mais intérieur et extérieur coexistent encore et la pièce (Licor) passe, sous deux espèces très proches, du dedans au-dehors (elle a même existée en vidéo-danse). Puis, après avoir un peu hésité entre le théâtre et le in-situ, à partir de 1997, la chorégraphe privilégie, l'extérieur, ce qui en fit l'une des devancières de la pratique de la danse dans les monuments.

Née le 28 novembre 1953 à Paris, Brigitte Dumez s'amusait à raconter que la danse lui était presque naturelle et que, sensibilisée au mouvement autant qu'à la création artistique, elle l'avait pratiquée très tôt. Elle revendiquait que le jardin de l’enfance, la salle à manger familiale lui furent une scène et, de fait, il resta toujours quelque chose de frais et d'enfantin dans sa façon d'envisager l'espace, jamais vu comme problématique mais comme terrain de jeu.

Prédisposée, certes, mais bien formée aussi… Elle n'a que cinq ans quand elle commence la danse auprès d’Espanita Cortez (1921-2014). Celle-ci, née Marguerite Anne Flexer, danseuse et chorégraphe à l'Opéra-Comique, pratiquant une danse teintée d'espagnolades, fut une figure des années 1950. Brigitte Dumez poursuivra son apprentissage de la danse académique avec René Bon (1924-2015) grand danseur (Roland Petit, Janine Charrat, Serge Lifar, etc…), profondément libre et très grand pédagogue. Brigitte Dumez ne cessera jamais de travailler la technique académique et elle fréquenta le cours d’Andrzej Glegolski et, assidûment, celui de Wayne Byars. Mais en 1968, elle fait la découverte de la danse contemporaine auprès de Françoise Dupuy. Elle travaille avec les R.I.D.C pendant trois ans avant d'étudier la technique Graham au Centre International de la danse avec Yuriko et Sue Davis. Walter Nicks et René Deshauteurs l’initient à la danse jazz. Une formation typique de ce qu'étaient les hauts-lieux pédagogiques parisiens en ces années… Et comme beaucoup des étudiants de cette époque, elle effectue, en 1980, l'incontournable voyage au USA. L'étape est fondamentale, permettant d'approfondir la technique Cunningham, découverte dès 1977 auprès de Valda Setterfield, et de quelques autres… Au retour en France, Brigitte Dumez poursuivra avec Viola Farber, Dan Wagoner, Lucinda Childs, Meg Harper et Jean Pomarès au fil des possibilités et des disponibilités.

Car, à partir de 1979 la jeune danseuse a trouvé un engagement dans la compagnie de Jean-Marc Matos, lui aussi puissamment marqué par l'influence de Cunningham et pionnier de l'informatique appliquée à la danse. Brigitte Dumez participera, jusqu'en 1984, à quatre créations de Jean-Marc Matos dont la rigueur et les systèmes de construction influenceront ses premières créations.

Car depuis 1980, l'interprète s'essaie à la chorégraphie, d'abord avec Essai dansé et c'est danse et six dansaient (1980) pour cinq interprètes puis, l'année suivante Duet, puis un trio, Bridge, en 1983. Elle poursuivra cette recherche avec un groupe toulousain jusqu'en 1986, tout en créant sa propre  compagnie en 1985. C'est dès ce moment que la danse et l’élément théâtral (acteur et texte) commencent à dialoguer des lieux architecturaux forts (Caucolibéri -1987- et Juliol -1989- l'une et l'autre créées au Château Royal de Collioure).

Mais en cette année 1986, Brigitte Dumez fait une rencontre majeure. Christine Bastin fonde sa compagnie pour assurer les tournées de La Folia, pièce importante qui installe une nouvelle figure dans le paysage chorégraphique. Brigitte Dumez va danser jusqu'en 1989 pour Christine Bastin et reconnaissait volontiers ce que cette collaboration lui avait apporté. La Bomba Hija (1990) peut être tenu pour un tournant dans son parcours. Sous l'influence de Bastin, Brigitte Dumez délaisse pour ce solo la rigueur de composition Cunninghamienne pour une danse physique et charnelle. La chorégraphe affirme vouloir développer une « danse de chair » où la respiration et la peau ont une importance majeure. Ce solo écume les petits lieux où se fabrique la danse de l'époque et Brigitte Dumez commence à s'y faire un nom. La Bomba Hija annonçait la réussite des Barricades Mystérieuses (1995) trio de femmes érigées sur un piédestal et y évoluant avec cette incarnation puissante. Parfois donnée en solo, la pièce reste un sommet de l'œuvre de la chorégraphe et appartient à ces dernières années de la Jeune Danse cherchant des perspectives.

Mais Brigitte Dumez s'est déjà engagée dans une voie déjà entrevue, avec Licor (1994), inspirée des tapisseries de La Dame à la licorne. La pièce avait permis l'exploration des jardins avignonnais, annonçant son travail au château d’Azay-le-Rideau (Le Goût des secrets; 1998 ; L’Epine du lieu ; 12 juillet 2001). « Je n'étais pas particulièrement axée sur les monuments historiques. Par contre, je savais que cette danse singulière que je développais n'était pas pour la scène conventionnelle, pour la boîte noire. Il s'avérait qu'elle gagnait à une mise en perspective, une mise en valeur dans un lieu extérieur et inattendu. L'évidence ce fut cela. Le monument historique, ce fut une rencontre, c'est tout. Claudine Lagoutte [conservatrice du Château d'Azay le Rideau] m'a fait cette proposition et j'ai accepté ». En dépit de cette modestie, le travail dans les lieux historiques va devenir une marque de fabrique de Brigitte Dumez (de l'Orangerie de Meudon à la forteresse de Salse et jusqu'au Pont du Carroussel) avant que ce soit le hors théâtre en tant que tel qui caractérise sa démarche comme dans Dits d'eux (2003), spectacle de chuchotement au milieu de l'agitation de la rue.

Mais ce travail pourtant fondateur, la vogue des propositions dans les lieux historiques en témoigne, n'en est pas moins décalé au regard des formes qui s'imposent alors. Alors Brigitte Dumez sans aigreur ni colère, s'était réinventée. Dans les années 1990, elle se forme à la gymnastique diaphragmatique profonde, travaille le souffle. Elle élargit ses pratiques et en arrive à développer une activité de danse-thérapie, autant qu'un intérêt profond pour les autres, en présidant le syndicat Chorégraphes associés à la naissance duquel elle avait participé, et en gardant le sourire et se gardant de toute aigreur.

Philippe Verrièle

 

 

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