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Balanchine et Millepied à l'Opéra de Paris

Avec Le Palais de cristal (George Balanchine, Georges Bizet, Christian Lacroix) et Daphnis et Chloé (Benjamin Millepied, Maurice Ravel, Daniel Buren) on ne pouvait rêver soirée plus contrastée, même si certaines accointances, notamment entre un Millepied formé, entre autres, à l’école Balanchinienne, ont certainement présidé à la composition de cette soirée conçue par Brigitte Lefèvre (et ce, bien avant que Benjamin Millepied ne soit pressenti pour la remplacer à la tête du Ballet de l’Opéra de Paris).

Dans cet ordre d’idée, on remarquera la même affinité pour une composition chorégraphique plutôt abstraite mais chevillée au corps de la ligne musicale. Mais, si la scénographie de Daniel Buren renforce encore la conception poétique et très spirituelle de Ravel, la musique volontairement hyper classique de la Symphonie en ut de Bizet imprime au Palais de cristal une touche de classicisme indéniable que viennent couronner les tutus impressionnants de Christian Lacroix.

Ce Palais de cristal, créé en 1947 à l’Opéra de Paris sur cette partition de George Bizet que l’on venait alors juste de retrouver, est une sorte de quintessence de l’académisme, revu et corrigé par un Balanchine qui en tire une sorte d’ascèse de pas et de figures poussés à leur extrême. Les mouvements de la symphonie trouvent leur traduction exacte dans la structure formelle de la chorégraphie, mouvement par mouvement, thème par thème. Les rapports entre les solistes et le corps de ballet suivent rigoureusement les articulations entre les soli et les tutti. Mais, et c’est là où réside le génie de Balanchine, à aucun moment on ne ressent l’impression que le ballet mime ou suit servilement la partition. Simplement, il la donne à voir, dans toute sa profondeur de champ musical, pourrait-on dire, et c’est un vrai plaisir « sensationnel ».

Le premier mouvement, Allegro vivo, dans les tutus et pourpoints de nuances de rouge aux reflets changeants réhaussés de gemmes (plus de carmin pour les solistes, de vermillon pour les ensembles) conforte la nomination d’étoile d’Amandine Albisson. Dominant haut la main les difficultés techniques, elle allie le charme à une sorte de calme impérial avec cette facilité dans l’effort et cette rondeur des bras on ne peut plus « école française ». Parfaitement accordé, son partenaire Mathieu Ganio, est tout aussi brillant et à l’aise dans les changements de direction rapides et impromptus qui signent quant à eux, la patte balanchinienne. Les solistes qui accompagnent le couple (Laura Hecquet, Audric Bezard, Marie-Solène Boulet et Vincent Chaillet) soutiennent sans peine la comparaison.

Le deuxième mouvement, Adagio, incarné par Marie-Agnès Gillot et Karl Paquette est tout aussi majestueux que peut l’être l’étoile sculpturale, vêtue de bleu profond. Sur la mélodie nostalgique du hautbois, les bras de Marie-Agnès se déploient, sinueux et sensuels, tandis que le corps de ballet lui sert de contrepoint parfait dans le Fugato central. Très lyrique, ce mouvement semble fait sur mesure pour elle. Même remarque que précédemment pour les deux autres couples de solistes que sont Charline Giezendanner, Axel Ibot, Sae Eun Park et Florimond Lorieux.

Avec l’Allegro Vivace, Balanchine repart dans la rapidité, avec plus de piquant encore que dans le premier mouvement. Ludmila Pagliero et Emmanuel Thibault relèvent le défi, avec des costumes du plus bel émeraude cette fois. On ne s’attardera pas sur les jambes infinies de l’étoile, mais plutôt sur une expressivité nuancée qu’elle a su mettre en valeur et bien sûr, sur la dynamique de son partenaire parfait dans ce contexte musical, toujours bien entourés d’Héloïse Bourdon, Yannick Bittencourt, Séverine Westerman et Fabien Révillon.

On a moins le temps de profiter de la presatation de Nolwenn Daniel et Pierre-Arthur Raveau dans l’Allegro vivace du quatrième mouvement, et en costumes rose crème, car ils sont vite rejoints par l’ensemble de la troupe pour un final en feu d’artifice. Chacun revenant exposer son thème avant de créer un ensemble époustouflant.

Reste que la structure plutôt semblable dans sa structure, de mouvement en mouvement de cette Symphonie en ut, finit par distiller un sentiment de légère indifférence. Et comme à chaque fois que l’on revoit aujourd’hui un grand ballet de Balanchine, malgré la beauté des lignes et la précision parfaite de l’écriture chorégraphique, on se dit, non sans un léger regret, que tout ça date un peu. À moins que ces magnifiques tutus ne l’empèsent un peu dans l’esthétique d’un siècle révolu ? Ou que la disparition du chorégraphe ne finisse par en faire taire, sinon la lettre, au moins la vivacité de l’esprit ?

 

Daphnis et Chloé, de Benjamin Millepied a par contre tout de l’esprit de Jerome Robbins, l’autre directeur historique du New York City Ballet. Pas de deux tendres et virevoltants, portés aériens, longs pas glissés… mais il y aussi dans ce Daphnis et Chloé, une fraîcheur, une simplicité, plutôt rare chez Millepied, qui pour une fois renonce à faire mille pas et c’est tant mieux. De courses en suspens, de cambrés renversants en étirements langoureux, la danse est jolie, juvénile et même jubilatoire. Le Corps de ballet est rayonnant, et on y remarque particulièrement dans les ensembles, la présence lumineuse de Léonore Baulac. Le décor signé Daniel Buren ajoute à cette impression radieuse. Ses formes géométriques de couleurs vives, rehaussées par les superbes éclairages de Madjid Hakimi qui joue sur les complémentaires est un vrai régal pour les yeux.

Les illusions d’optique des rayures blanches ont un je-ne-sais-quoi de commun avec l’effusion de la musique de Ravel qui se fait ductile sous la baguette de Philippe Jordan. Mieux, les danseurs sont remarquablement mis en valeur par la chorégraphie de Benjamin Millepied. Hervé Moreau est un Daphnis délicat et attentionné, Aurélie Dupont (Chloé) est somptueuse et touchante comme toujours, Eléonora Abbagnato (Lycénion) et Alessio Carbone (Dorcon) ont l’élasticité et la duplicité requise par leurs rôles. Et François Alu, tout juste nommé Premier danseur cette année, hérite d’un solo époustouflant de technique et de virtuosité à sa mesure.
 
Agnès Izrine
 
Opéra Bastille du 10 mai au 8 juin 2014

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