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Qudus Onikeku, de Marseille à Lyon en mode « 100% Afro »
Au Festival de Marseille, un événement singulier et foisonnant à partir de la danse afro, nouveau courant international.
Difficile de parler d’un spectacle, à moins qu’on en ait vu dix, en mode vignette ou brève. Le terrain face à la friche Belle de Mai s’était transformé en une sorte de carrefour africain où couraient musiciens et musiciennes, danseuses et danseurs entre les visiteurs qui devenaient autant de participants à un énorme bouillonnement. Une danse se terminant à l’ouest, secteur « Dakar », une parade s’annonça au sud, pas loin du panneau « Lagos », ou bien la musique fusa sur le grand plateau. Les artistes étaient, pour beaucoup, repérables par leurs t-shirts à l’inscription « 100% Afro », jaune sur noir ou noir sur jaune.
Pas besoin d’être black pour être « Afro »
Beaucoup d’artistes ou acteurs culturels annoncent leur volonté de créer un nouveau type d’événement. Onikeku semble y parvenir. 135 artistes de 65 villes du monde ont participé à son édition en ligne, en 2020, qui a encore versé dans sa vision de faire « autre chose qu’un festival ». Mais plutôt un rassemblement de deux semaines à Lagos, où se croisent des artistes de toutes les disciplines qui réalisent des créations transdisciplinaires, selon l’inspiration du jour et au gré des envies expérimentales. « C’est le modèle traditionnel africain, où tous participent à l’événement et créent ensemble », explique-t-il. Et tous, ça veut dire : de toutes les origines. Pas besoin d’être black pour être afro-dance. On l’a vu dans toutes les composantes du 100% Afro marseillais. Donc, pas de procès d’appropriation culturelle en vue, mais au contraire une mixité revendiquée et affichée, dans la foule comme parmi les 60 artistes qui ont participé au programme marseillais.
En fait, c’est quoi, cette Afro-dance ?
« Les danses afro urbaines sont des danses d’inspiration africaine qui vous font voyager de Los Angeles à Johannesburg en passant par Abidjan. Leurs pas, mouvements et attitudes riches et variés sont mêlés à différentes influences issues des danses urbaines (hip-hop, dancehall…) et danses africaines (le Coupé Décalé, le N'dombolo, l'Afro Beat ou encore l’Afrohouse) », explique le site internet dédié français. A Londres, la maison pour la danse The Place propose des cours pour se lancer dans une fusion de danse afro-brésilienne et les rythmes d’Afrique de l’Ouest. Pour Onikeku, le terme est avant tout très générique et la communauté aussi physique que virtuelle. « En fait, ce terme ne veut pas dire grand-chose », explique-t-il : « La danse afro se répand dans beaucoup de villes autour de la planète. Les villes incarnent cette énergie. On danse sur un style musical qui est parti de Fela Kuti, mais avec beaucoup de transformations. Mais le terme signifie surtout que les Africains et afro-descendants se réapproprient les danses qui ont un rapport avec l’Afrique, comme par exemple le voguing ou le hip hop. » Et il se projette dans l’avenir : « Dans 50 ans on considérera l’Afro-dance comme une forme de danse classique ! » Serons-nous encore là pour le vérifier ?
Galerie photo © Thomas Hahn
Après Lagos, Barcelone et Marseille… Lyon !
Au Festival de Marseille, 100% Afro était la mise en visibilité d’une nouvelle communauté dansante. Pour le public, une première rencontre avec cette communauté. Pour les artistes, un premier grand Dance gathering, comme Onikeku les organise une fois par an dans une ville du monde, depuis 2017. La période post-confinement a été le moment de « sortir Dance Gathering de Lagos », permettant à l’événement de grandir et de collaborer avec des partenaires européens. Le Grec Festival de Barcelone en 2021, le Festival de Marseille en 2022. Et en 2023 ? « L’année prochaine, ce sera encore plus grand, et nous serons associés à la Biennale de la Danse de Lyon avec un 100% Afro qui aura lieu aux Usines Fagor. Nous allons nous-mêmes inviter 25 artistes. Pour les autres, nous attendons les candidatures », annonce Onikeku.
A Marseille, après des tableaux dansés ou théâtraux mis en scène partout sur le terrain portant cette idée de carrefour africain, le public a pu rencontrer l’univers chorégraphique d’Onikeku dans un superbe tableau final, séance de vaudou à beau renfort de farine et de film plastique. Et même quelques spectatrices ont ainsi été enroulées, dans les deux sens du terme. Cette évocation d’esprits et de cérémonies rappelle certaines ambiances de Re: Incarnation, sa dernière production [lire notre critique] avec dix interprètes de Lagos, qui est toujours en tournée, après une série d’annulations covidiennes. Et, pour couronner le tout, ils ont mis la fête en Afro-Dance, dans une ambiance chaude comme dans une house de la scène voguing ou dans le cercle des krumpeurs.
Une vidéo intégrale de cet événement ou rassemblement est par ailleurs à voir sur le site afropolis.org, servant aussi à mondialiser l’événement qui n’était pas réservé au public marseillais. La présence des deux caméramen était dès lors inévitable, d’autant plus que l’événement correspond à la définition de genre de la performance, se déroulant une seule fois et n’étant pas reproductible. Le public, lui, a reçu à plusieurs fois l’injonction à bouger dans l’espace de cette Afropolis, se rendant compte par là (ou pas) qu’il se trouvait de fait dans le rôle de figurant d’une production audiovisuelle. Tous afro, tous performers, ici comme dans la prochaine édition, à la Biennale de la Danse de Lyon.
Thomas Hahn
Festival de Marseille, le 3 juillet 2022, Friche Belle de Mai
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