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Bouchra Ouizguen promène son « Eléphant » à Montpellier Danse

Plus que jamais, la chorégraphe autodidacte explore le patrimoine chanté populaire marocain, par le réel du quotidien au féminin. 

Au début, une confusion. Ou presque. La scène est vide, mais le sol arbore des traces de chaussures. Une sale affaire… Qui a marché là ? Quand ? Pourquoi ? Une par une, des femmes entrent pour nettoyer le tapis de danse à la serpillère. Font-elles partie du spectacle ou sont-elles des techniciennes, du théâtre ou même « de surface » ? Certes, le suspense ne s’installe pas vraiment. On n’oublie pas de nettoyer un plateau avant le début, à Montpellier Danse ! Et la serpillère était déjà présente dans Ottof  (les fourmis), créé en 2015 à Montpellier Danse. Aujourd’hui comme à l’époque, la démarche n’a rien de fortuit, car elle indique à quel point le réel de la vie et la vie sur scène ne font qu’un, dans Eléphant comme dans les créations de Bouchra Ouizguen en général. 

Le spectacle avait donc bien commencé alors qu’il se préparait encore. Mais une autre question intrigue dès le début. Pourquoi cette musique indienne ? Rien n’en avait filtré, et on se dit que oui, en effet, en Inde aussi ils ont des éléphants, alors qu’on avait simplement songé à se diriger vers le sud, depuis le Maroc, pour trouver les pachydermes. Mais elle a bien raison : Pourquoi ne pas changer de continent ? Après tout, les chanteuses des spectacles d’Ouizguen, de Madame Plaza  à Ottof, le font à chaque fois quand elles sont en tournée en Europe.

Alors, pour reprendre à partir des serpillères, il s’agit bien d’un objet-symbole de la condition féminine et celle-ci concerne aussi les artistes. Ouizguen vit dans un village, à 100 km de Marrakech et n’est pas dans un studio de danse qu’elle et les autres interprètes ont répété les chansons qui font Eléphant. Cela s’est passé dans la montagne, dans la nature, et celle-ci impose ses réalités. Ce qui explique à son tour les traces de chaussures. Elles font donc le lien avec les répétitions. 

Galerie photo © Laurent Philippe

La danse, la création et les tournées ne sont pas tout dans la vie d’Ouizguen. Surtout pas en temps de pandémie. Pour vivre malgré les annulations en série et la fermeture des frontières, elle produisait dans sa cuisine des confitures destinées à la vente. Et même si elle n’en a pas amené pour en vendre à l’issue du spectacle, toutes ces réalités restent présentes et chacune des chansons d’Eléphant est liée à des fêtes, au deuil, à la vie et rend hommage à la nature, à la mère, au père...

Cet univers féminin avec ses chants était déjà présent dans les pièces précédentes d’Ouizguen, mais pour la première fois, elle crée aujourd‘hui une pièce entièrement à partir de la voix, une fois la musique indienne levée, sans que le mystère de sa présence soit élucidé. Ni la question du titre, par ailleurs. Supposons simplement que c’est la longue mémoire des éléphants qui conditionne un spectacle aux chants et de costumes traditionnels, porteurs eux aussi d’une mémoire qui a traversé des siècles entiers. C’est donc l’univers de la femme en milieu populaire, au Maroc mais aussi ailleurs, qui se dessine sur le plateau. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Dans Ottof, Ouizguen mettait déjà en scène la condition féminine et terminait la pièce par un acte libératoire. Rien de tel dans Eléphant, pas de fil dramaturgique à suivre en dehors des émotions et des accessoires. Pourtant, Eléphant  ne manque pas de rythme, les trois chanteuses-danseuses s’accompagnant à la derbouka miniature, ce format qu’on croyait fait spécialement pour les touristes. C’est donc un vrai instrument, et non seulement un souvenir ! 

Quand Ouizguen se joint à Milouda El Maataoui et Halima Sahmoud, pour ce tour de chant mis en espace sur le plateau nu, nous sommes donc presque dans un village marocain. Et dans ce village, il y a une visiteuse. Une Européenne. Joséphine Tilloy, performeuse française, blonde, longiligne, déploie ses ailes et danse, dans une tunique bleu ciel, telle une Occidentale en quête d’ailleurs ou à la recherche d’elle-même. Aussi elle se promène entre les lignes, les chants, les danses, comme si elle habitait le village. 

Par contre, le public, lui, ne partagera pas cet air de montagne, ce réel imaginaire, cette communauté. Il reste spectateur, au sens fort du terme, ne bénéficie d’aucune traduction des textes et s’accroche au jeu scénique qui indique vaguement les situations de la vie, pendant que le gros trou froid et béant de la boîte noire du théâtre avale les interprètes. Comme Ouizguen l’indique elle-même, la forme scénique a été travaillée en dernier. Et on espère qu’elle pourra évoluer, se libérer du rapport frontal pour créer un espace à partager avec le public. Intégrer une forme de traduction aussi… Car dans sa forme actuelle, Eléphant est finalement comme un pot de confiture. Les ingrédients sont choisis et préparés avec soin, mais la bonne recette reste à trouver. 

Thomas Hahn

42festival Montpellier Danse, Agora, Studio Béjart

Vu le 18 juin 2022

Direction artistique, chorégraphie : Bouchra Ouizguen
Interprètes : Milouda El Maataoui, Bouchra Ouizguen, Halima Sahmoud, Joséphine Tilloy
Scénographie lumineuse : Sylvie Mélis
Régie son : Chloé Barbe

 
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