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Pontus Lidberg, des « Sept Péchés Capitaux » aux « Roaring Twenties »

Le grand spectacle d’ouverture de Montpellier Danse a dialogué avec le monde d’il y a un siècle. 

Pontus Lidberg est un chorégraphe à suivre, puisqu’abondamment sur les routes. Nous avons croisé ses créations à l’Opéra de Paris [lire notre critique], au Temps d’aimer à Biarritz [lire notre critique], aux Ballets de Monte Carlo [lire notre critique], au Ballet du Grand Théâtre de Genève [lire notre critique]…  Anciennement interprète dans des ensembles de premier plan, de Monte Carlo à Vienne, du New York City Ballet à Beijing, il dirige aujourd’hui le Danish Dance Theatre et est également réalisateur de films. A Montpellier Danse, il vient de créer une pièce brève, Roaring Twenties, qui complète de manière très circonstanciée sa mise en scène (en collaboration avec Patrick Kinmonth) des Sept Péchés Capitaux  de Bertold Brecht et Kurt Weill, avec les danseurs du Danish Dance Theatre, les chanteurs du Royal Danish Opera et dans la fosse du Corum, l’Orchestre national Montpellier Occitanie. 

Brecht et Weill sur les routes de l’exil

En 1933, Brecht fuit l’Allemagne nazie. En route pour les Etats-Unis, il s’arrête à Paris et écrit, avec Kurt Weill, ce Ballet chanté, à la fois un défi par rapport aux formes scéniques établies et un regard à la fois amusé et désabusé sur le système capitaliste. Sans doute une façon d’appréhender leur propre exil à venir et une façon de s’interroger sur les racines des idéologies totalitaires qui éclosent sur fond de valeurs matérialistes, de pauvreté et de manipulation des masses populaires. Les péchés capitaux du capitalisme (l’homophonie suggérant un double sens ne fonctionne que dans la traduction française) et des petits-bourgeois ne sont pas définis par rapport à une loi divine, mais comme manières de faillir face au rêve américain. 

Galerie photo © Laurent Philippe 

Le périple des deux sœurs, Anna I (la chanteuse) et Anna II (la danseuse), qui doivent traverser les Etats-Unis pour gagner l’argent nécessaire à la construction d’une maison pour leurs parents répond évidemment aux modèles classiques du voyage initiatique et du conte de fées, sur le mode d’une ironie féroce. Remonter ce Ballet chanté est aujourd’hui une idée plus pertinente que jamais, tellement les époques se ressemblent dans leurs impasses et la montée des totalitarismes. On ne parlera pas tant de la perspective concrète de la guerre, la production ayant débuté avant l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Mais le grondement lointain est présent, forcément. 

Classique ou sarcastique ? 

Il est d’autant plus regrettable de voir Lidberg traiter cette œuvre volontariste et même sarcastique sur le mode d’un classique qui participe à l’embourgeoisement posthume de Brecht avec quelques scènes de cabaret bien sages, avec la banane comme vague symbole de la gourmandise et des années folles (ah, le Théâtre des Champs-Elysées où l’on admirait Josephine Baker et où eut lieu la création des Sept Péchés Capitaux), des poubelles en scène et autres stéréotypes. L’idée de donner à Anna I, incarnée par une vedette de la pop danoise (Oh Lund) une sœur danseuse masculine – donc un frère sauf que celui-ci porte la même robe turquoise – ne saurait plus faire de vagues particulières, surtout pas en Europe du nord, région précurseuse en matière de gender studies et de l’idée d’égalité femmes-hommes. 

Galerie photo © Laurent Philippe 

Lidberg livre donc une œuvre parfaitement consensuelle, où les tableaux s’enchaînent sans le moindre grain de sable, selon le principe très américain de The show must go on, avec des marionnettes dédoublant les personnages comme pour nous renvoyer à la psychanalyse et à Freud, ce que Brecht avait déjà intégré en créant deux Anna. Mais cette approche classiciste ne passionne pas. Après tout, la meilleure manière de tuer une œuvre est d’en faire une denrée consommable, fut-ce dans un joli cadre doré comme celui qui évoque ici l’art déco, en allemand : le Jugendstil, le style de la jeunesse. 

A la recherche des Années folles 

Ce qui nous amène à Roaring Twenties, pièce brève destinée à une tournée, non à l’international mais dans trente villes danoises ! Elle n’est donc certainement pas conçue pour un public montpelliérain, et pas non plus pour le plateau du Corum. Car les théâtres danois qui l’accueilleront ont des plateaux beaucoup plus petits, comme l’indique Lidberg. Même trop petits, dit-il. Mais c’est justement ce qui pourrait donner à la pièce une densité qui faisait défaut à sa création mondiale, à Montpellier Danse. On peine là aussi à identifier un point de vue de Lidberg, une prise de risque, un grain de folie. Un peu de charleston au début, puis du clubbing sous de belles lumières et sur une musique plutôt techno, cela laisse penser que les Roaring Twenties sont ici plutôt les années folles de la vie de chacun. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Mais Lidberg veut aussi parler des doutes et de la solitude des jeunes d’aujourd’hui. Ce qui n’explique pas pourquoi l’ensemble des éléments chorégraphiques n’est que du prêt-à-danser sans invention propre, sans étincelle. On s’était dit à l’entracte que dans une création sans livret et musique imposés, Lidberg serait sans doute plus libre pour nous livrer une écriture plus personnelle. Mais c’est l’inverse qui fut le cas – ou bien, la salle du Corum tout simplement surdimensionnée pour une pièce qui serait finalement plus intimiste qu’elle ne paraît. Les Années folles ? Plutôt molles…

Galerie photo © Laurent Philippe

Dans les années 1920, il y avait les Ballets suédois de Rolf de Maré, les Ballets russes de Diaghilev, Martha Graham, Isadora Duncan, Mary Wigman… Qui se serait intéressé, à l’époque, à ce Roaring Twenties ? Quelles sortes de pièces un Lidberg aurait-il créé dans l’effervescence des Roaring Twenties (et non : Boring Twenties !) Ce qui est certain, c’est qu’on recroisera Lidberg quelque part, en création avec telle ou telle compagnie et qu’il lui reste beaucoup de temps pour trouver son écriture. Et puis, il y a son côté cinéaste que le public de Montpellier Danse pourra découvrir le 29 juin, à la salle Béjart de l’Agora (1) où seront projetés trois films, dont Written on Water, dans lequel on retrouve une certaine Aurélie Dupont. Lidberg lui aurait-il inspiré quelques envies de réaliser des « projets personnels » [lire notre article] ? 

Thomas Hahn

Spectacles vus le 18 juin 2022

42e festival Montpellier DanseLe Corum 

(1) A15h, entrée libre sur inscription

 
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