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Les « Poufs aux sentiments » de Clédat & Petitpierre

Aux Rencontres Chorégraphiques, la nouvelle rêverie des chorégraphes-plasticiens, plus baroques que jamais.

Pourquoi aimons-nous tant le baroque ? Est-ce pour son image d’innocence, d’insouciance, de douce rêverie ? Le baroque est une échappatoire, une fête, une promesse de bonheur. Aussi biaisée soit-elle, c’est l’image qui nous parvient, grâce aux œuvres musicales, à l’architecture des jardins et au Roi Soleil. Le baroque, c’est un art du lieu, de la forme, de la perspective, du visuel et du jeu. Ces attributs collent si bien à l’univers de Clédat & Petitpierre qu’on peut se demander si leur art n’a pas toujours été placé sous influence du XVIIe.

Pouf aux sentiments  serait alors un point d’arrivée, un rendez-vous immanquable. Et leur approche ironique des perruques géantes et du jardin à la française contiendrait autant d’autodérision. Les poufs, à l’origine des compositions capillaires gigantesques, constructions savantes réservées à la noblesse, couvrent ici la tête et le corps, formant des minijupes qui nous ramènent aux années 1960, avec sa folie du hairspray, et bien sûr à la comédie musicale Hair.

Et puis, il y a les sentiments. De petits rendez-vous secrets dans le jardin, avec le désir, les confidences et la façon de transformer le tête-à-tête en pouf-à-pouf, sur un nuage blanc formé par les costumes. Sans parler des joyeuses et innocentes allusions plastiques aux corps sexués. Mais attention, nous sommes ici dans un labyrinthe où tous les buissons, aussi bien taillés soient-ils, ne ferment pas les yeux sur les désirs secrets. En particulier, deux d’entre eux ne cessent de changer de forme, de se déplacer et d’épier le duo engagé sur l’allégorique Carte de Tendre, qui a si bien fait rayonner l’image d’une France heureuse.

Avec cette carte qui dessine le chemin de l’amitié vers l’amour, le baroque devient pour Yvan Clédat et Coco Petitpierre un vrai terrain de jeu. Deux buissons donc, tels des paparazzi, auxquels rien n’échappe et qui pourtant échappent si souvent à notre regard, pour revenir à leur guise, et sous des formes toujours plus inattendues. Jamais visibles, toujours cachés entre le feuillage, ce sont Coco Petitpierre en personne et Max Ricat qui font merveille dans leurs rôles de petit buis.

Aussi ce quatuor est en fait un double duo, où Ruth Childs et Sylvain Prunenec en poufs sur leurs nuages, séduisent par leurs mimiques et gestuelles, ou bien dans de jolies parodies de ballet. Car Clédat et Petitpierre ont mené des recherches sur le ballet burlesque, petit frère oublié de la danse baroque, art qui « a vu le jour juste avant la comédie ballet de Molière » et « a été créé en réaction à la danse géométrique, ésotérique » baroque. « Nous avons ainsi découvert avec beaucoup de joie de lointain.e.s ancêtres artistiques dont les préoccupations étaient exactement les nôtres », disent-ils.

Même le maître de ballet, en voix off, guide les interprètes d’une voix douce et chantante. « Prenons bien l’appui au sol… le bassin se déplace… le poignet dessus, dessous, desssus… » Car dans l’univers baroque, dans cette lumière qui nous en parvient à travers les siècles, tout n’est que joie et harmonie. Et quand cet univers précieux est revisité avec autant de dérision, il ne peut point être ridicule. Et c’est toute l’œuvre de Clédat & Petitpierre que l’on abordera à l’avenir comme un jardin à la française.

Thomas Hahn

Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, L’Echangeur de Bagnolet, le 3 juin 2022

Conception, chorégraphie, scénographie, costumes : Yvan Clédat et Coco Petitpierre
Avec Ruth Childs et Sylvain Prunenec (Les poufs) ; Max Ricat et Coco Petitpierre (Les buis)
Création sonore : Stéphane Vecchione
Lumières : Yan Godat
Robots : Yvan Clédat et Yan Godat
Réalisation des éléments scéniques et des costumes : Yvan Clédat et Coco Petitpierre
Assistants textile : Anne Tesson et Céleste Clédat

 

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