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« West Side Story » par l’Opéra national du Rhin

Immense succès ayant fait l’objet de nombreux rappels, ce West Side Story restitué live à l’Opéra de Strasbourg. Après le film aux dix oscars de Robert Wise et Jerome Robbins, après celui, récent, de Steven Spielberg, retour à l’essentiel, autrement dit au spectacle sur scène, pièce historique de théâtre musical créée à Broadway en 1957 par une « dream team » : Leonard Bernstein (musique), Arthur Laurents (livret), Stephen Sondheim (paroles des chansons) et Jerome Robbins (mise en scène et chorégraphie).

Robbins eut également l’idée de transposer au XXe siècle le Roméo et Juliette shakespearien, lui-même démarqué de la tragédie antique, et de le géolocaliser dans le quartier où fut bâti quelque temps plus tard le Lincoln Center. La rivalité entre jeunes issus d’immigrations différentes et successives, les Jets et les Sharks jouant les Montaigu et les Capulet. Le goût avéré pour le jazz du chorégraphe et celui dont fit preuve Leonard Bernstein en rendant hommage, à l’époque de la création du musical, à W.C. Handy, le compositeur noir du fameux « Saint-Louis blues », tonifient chaque routine de danse, chaque tune, chaque passage instrumental de West Side Story. L’excellent programme papier de l’ONR au format de livre de poche contient un précieux entretien d’Alain Perroux avec Stephen Sondheim et des souvenirs de ce dernier rappelant la leçon de mise en scène que lui donna Jerome Robbins. Pour ce qui est de Leonard Bernstein, le programme souligne qu’il n’y eut guère que Carmen pour aligner « autant de tubes les uns après les autres. » Il faut dire que le syncrétisme entre musique savante et populaire, entre ballet néoclassique et danse « urbaine » n’a pas pris une ride, que ce soit au théâtre comme au cinéma.

Le finale, plus joué qu’acté, plus parlé que chanté, plus commenté que chamboulé, où l’on ne cesse de se lamenter, de constater les dégâts, de ressasser l’inéluctable, a d’autant mieux été apprécié par l’audience qu’elle a reconnu les airs déjà entendus en première partie. Production allemande oblige – la mise en scène de Barrie Kosky et la chorégraphie d’Otto Pichler sont celles de 2013 au Komische Oper de Berlin –, le noir et blanc expressionniste l’emporte sur la couleur et le décor est remplacé par les effets lumineux, finement dosés, de Franck Evin, un disciple de Bob Wilson. La pièce débute par nombre de séquences en clair-obscur et se conclut par un fondu au noir. On observe une velléité chromatique ou un réchauffement climatique sur la chanson « America » interprétée avec abattage par la belle et talentueuse Amber Kennedy dans le rôle d’Anita. Est également allemand le côté mécanique, systématique qui abstrait le typique, réduit le paysage à un terrain de basket (avec les marques à la craie rappelant le Palais des sports de la Porte de Versailles du temps de la Neuvième symphonie de Béjart).

Le monde extérieur accourci au huis clos, le temps se distend et devient cyclique, la scénographie usant de la tourniquette comme d’un manège désenchanté, d’un rotor centrifuge, d’une ronde nocturne et sans fin, comme la spirale invisible qui structure le film De l’aube à minuit (1920) de Karlheinz Martin. Les boules à facette ont beau démultiplier l’espace, il n’a nullement été recherché dans le cas présent le chatoiement du technicolor des adaptations filmiques du musical. On a opté pour la métaphore carnavalesque et utilisé pour cela des demi-masques issus de la commedia dell’arte ou de Disneyland, gais d’apparence, inquiétants en réalité. N’empêche, l’énergie déployée par le Ballet de l’Opéra national du Rhin rappelle celle des danseurs de la création (cf. le numéro « Cool » qui suit « America » dans un Ed Sullivan Show de 1957 visible sur Youtube), qui les fait pousser des cris pour encourager les protagonistes au centre.

Photos : West Side Story, Barrie Kosky et Otto Pichler – OnR © Klara Beck

L’orchestre symphonique de Mulhouse, les comédiens régionaux (Logan Person dans la peau de l’officier Krupke et Flavien Reppert, qui invente un lieutenant Schrank un peu freak ou punk, mi-Pacadis, mi-Columbo), le casting convaincant réunissant chanteurs dans la tradition de Broadway et du West End, les danseurs « modern jazz », les acrobates patentés et autres bouffons communiquent leur dynamisme, leur peps, leur punch à la salle tout entière. Mike Schwitter est un jeune premier élégant et un subtil ténor ; Bart Aerts, dans le rôle de Riff, nous a semblé polyvalent ; Kit Esuruoso a emballé le public ; Laura Buhagiar, jouant Anybodys en survêt Adidas, faisait plus garçon manqué que transgenre ou Yel, comme Iris Menas dans le film de Spielberg ; étonnamment, la soprane néozélandaise Madison Nonoa ne jurait pas du tout avec le chant de tête ou le filet de voix de ses partenaires de jeu venus de la variété ; last but not least, la direction musicale du chef américain David Charles Abell, formé à Yale et la Juilliard School, passé, comme il se devait, entre les mains de Nadia Boulanger et affranchi par le maestro himself, Leonard Bernstein, a permis à l’ensemble de rester dans l’esprit de l’œuvre et d’innover en matière d’arrangements.

Nicolas Villodre

Vu le 7 juin 2022 à l’Opéra de Strasbourg.

 

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