Add new comment
Ouverture de June Events avec Daniel Linehan
Le 30 mai, Daniel Linehan amènera le public dans la forêt. Le lendemain, dans une caverne sonore. Entretien.
Danser Canal Historique : Votre dytique Listen Here, avec ses deux volumes These Woods (Ces forêts) et This Cavern (Cette caverne) propose une approche sensible de l’écoute, ce qui est assez inhabituel en danse. Comment faut-il imaginer ce travail ?
Daniel Linehan : L’écoute dont je parle est bien sûr synonyme d’attentivité et de réceptivité, d’être ouvert à son environnement. Cette écoute peut être celle du corps entier. Cela vient de la compositrice Pauline Oliveros et de son concept du deep listening, l’écoute profonde. Elle définit l’écoute musicale comme une expérience du corps entier. Je l’ai transposé en danse et c’était très inspirant. Les deux pièces sont liées au deep listening. Elles sont comme un cycle des saisons. These Woods est lié à l’été, aux arbres, à l’extérieur, à l’attention envers l’extérieur. This Cavern marque le retour à l’intérieur, dans un espace sombre et à une certaine chaleur. C’est donc une pièce hivernale, mais aussi une expérience d’écoute tournée vers l’intérieur du corps et ses espaces obscurs.
DCH : Au-delà du contact direct avec la forêt dans These Woods, quel est le lien avec la nature et la pensée écologiste dans Listen Here ?
Daniel Linehan : J’ai créé en 2021 These Woods en été et This Cavern en hiver, mais bien sûr elles peuvent être données en d’autres saisons. Ces pièces sont liées à ma création précédente, sspeciess, déjà tournée vers l’écologie et notre relation aux autres espèces.
DCH : Est-ce que les deux volets partagent une même recherche chorégraphique ?
Daniel Linehan : Il n’y a pas de vocabulaire partagé entre les deux pièces. Elles sont liées par notre travail sur l’ouverture et l’écoute, avec leurs moments de silence et de chant comme entrée. Dans These Woods, en marchant en direction de la forêt puis dans celle-ci, les danseurs proposent au public de petits exercices d’écoute et d’éveil des sens. Et dans This Cavern, ma voix guide le public vers une écoute intérieure.
DCH : Quand les mêmes danseurs interprètent deux pièces qui amènent le public à une écoute profonde, qu’en est-il de l’écoute entre les danseurs ?
Daniel Linehan : Nous avons en effet travaillé ensemble pendant une année entière, pour créer les deux projets et partager une même qualité du mouvement. Et la chorégraphie n’est pas entièrement écrite puisqu’elle repose sur des réponses que les danseurs se donnent de façon instantanée, en particulier en extérieur où nous ne savons pas quel temps il fera ou à quel moment les oiseaux vont chanter. Il s’agit d’écouter et de répondre !
DCH : Avez-vous mené des pratiques de sensibilisation ?
Daniel Linehan : Chaque jour de travail dans la forêt, nous avons fait une promenade de 15 à 20 minutes dans le silence. C’étaient des moments presque sacrés. C’était le printemps. Les arbres étaient en train de fleurir et nos sens se sont ouverts progressivement. Quand on vit dans la ville, on est obligé de se blinder un peu pour se protéger. Dans la forêt on redécouvre ses sens !
DCH : La musique de Pauline Oliveiros dans This Cavern atteint une qualité presque matérielle, c’est un son très particulier.
Daniel Linehan : L’enregistrement a réellement eu lieu dans une caverne et on entend la présence de cet espace géant. Les instruments et les voix ont une résonance particulière, une vibration physique. C’est comme si la caverne avait sa propre voix en renvoyant les sons. En quelque sorte, les musiciens ne jouent pas de leurs instruments dans l’espace, mais jouent de l’espace comme s’il était un instrument à part.
DCH : Utilisez-vous alors une méthode particulière de spatialisation du son ?
Daniel Linehan : En effet, je voulais repenser l’espace théâtral après l’avoir quitté pendant un certain temps, à cause des confinements et de la création en extérieur. Je le conçois ici comme un environnement immersif, partagé entre les danseurs et le public. On s’y rassemble et on partage l’écoute de la musique. Christophe Rault a travaillé sur une spatialisation. Le public est assis en cercle et est entouré des haut-parleurs. Le son est donc immersif on a l’impression qu’il arrive de toutes les directions.
DCH : Comment se présente le travail sur le geste chorégraphique dans This Cavern ?
Daniel Linehan : Particulièrement au cours de la première phase des répétitions, nous avons travaillé sur l’idée d’écouter nos propres espaces intérieurs et obscurs, nos intestins, nos tubes digestifs pour laisser advenir le mouvement depuis ces espaces, au lieu de chorégraphier depuis l’extérieur. D’où une qualité très viscérale des mouvements qui émergent du centre du corps.
DCH : Cette pièce permet donc une expérience de l’obscurité. Pourquoi ce choix ?
Daniel Linehan : Je voulais donner au public la possibilité de faire l’expérience des différentes dimensions de l’obscurité. Car il y en a beaucoup. En Occident, nous associons en général la lumière à la connaissance, au bien, au vertueux. L’obscurité est associée au mal, à l’ignorance. Je voulais réfléchir à une autre lecture, à l’obscurité sous la terre qui offre nourriture et fait pousser les plantes, à l’obscurité dans le ventre de la mère qui nourrit le fœtus. On n’est pas obligé de lier l’obscurité à la peur. Il y a donc des ambiances de chaleur qui sont nourrissantes et d’autres avec plus d’activité qui peuvent être mystérieuses et angoissantes.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Festival June Events - Atelier de Paris, CDCN
Listen Here : These Woods
Le 30 mai à 9h et à 20h (rdv au Lac des Minimes devant le Café Rosa Bonheur. Réservation obligatoire)
Listen Here : This Cavern
Les 1eret 2 juin à 20h au Théâtre de l’Aquarium