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« Radicale vitalité » de Marie Chouinard

Le Théâtre de la ville a présenté une version légère de Radicale vitalité, un collage chorégraphique de Marie Chouinard donné il y a quatre ans à la Biennale de la danse de Venise, dont la formule rappelle celle de l’event cunninghamien et l’esprit celui d’une suite de numéros cabaretiers.

La chorégraphe québécoise explique on ne peut plus clairement son projet : « Cela fait des années que je crée surtout des grandes formes. J’ai aujourd’hui envie de revenir à la création de petites formes. J’adore quand tout est dit, concisément, avec en plus une invitation vers le souffle…. comme dans les trois lignes d’un haïku japonais. » Réduisant quelque peu la voilure de la version initiale, autrement dit la durée de l’ensemble, le spectacle est à la fois plaisant, étonnant et, techniquement parlant, du plus haut niveau. Naturellement, suivant le penchant de chacun, telle saynète, tel sketch, tel gag ravira le public plus que d’autres, ce qui a pu être constaté à l’applaudimètre espaçant le déroulé.

Le fait même d’avoir commencé, paradoxalement, par un solo intitulé Derniers moments (Étude n° 1, 2001), relativement long puisqu’il dépasse les treize minutes, le temps d’un ballet en soi, excellemment interprété par Carol Prieur, montre le sens du show de Chouinard qui peut, tout de suite après passer à des actes plus pétillants. De même, en expédiant vite fait bien fait les deux numéros visuels reposant sur le petit geste exagérément grossi en direct par la vidéo, au vu et au su des spectateurs, Duo mains et Visages (2018), avec Valeria Galluccio et Motrya Kozbur pour le premier et cette dernière seule pour le second, elle passe à la danse pure, à la pantomime, bref aux choses sérieuses, quand bien même elles n’en donnent pas l’air.

Les extraits de pièces anciennes mis bout à bout finissent par constituer un autoportrait de l’artiste. Ils permettent sans doute aussi de particulariser un style qui emprunte au classique, le respecte in petto (cf. par exemple Duo balancé, 1999) et s’en détache avec malice ou avec audace (cf. La Petite danse sans nom, 1980, mise à jour par Paige Culley, attentat à la pudeur ou à la bienséance du spectacle anticipant de quinze ans sur l’incartade d’un Jérôme Bel) qui relativise la notion de hiérarchie entre les arts, les disciplines et les expressions ne serait-ce qu’en les hybridant ou les alternant en un même gala. Les anciens solos et duos que la chorégraphe « revisite », ne serait-ce qu’en y introduisant des éléments plus récents (cf. le geste de l’index et du majeur barrant les yeux homologué par Uma Thurman dans Pulp Fiction, 1994), ont été complétés par d’inédits pas de deux et variations.

Galerie photo © Sylvie-Ann Paré 

Les danseurs méritent tous d’être nommés : Michael Baboolal, Adrian W.S. Batt, Jossua Collin Dufour, Paige Culley, Rose Gagnol, Valeria Galluccio, Motrya Kozbur, Luigi Luna, Carol Prieur, Celeste Robbins et Clémentine Schindler. Les costumes, signés Marie Chouinard et Liz Vandal, sont, comme toujours élégants, colorés et sexy. Le compositeur maison, Louis Dufort, contribue à l’efficacité de l’écoulement – ses collègues Frédéric Chopin et Georg Friedrich Haendel ayant été chargés d’enrichir ponctuellement la B.O. Les effets sonores sont synchronisés à la gestuelle comme dans les cartoons ;  les onomatopées émises par les interprètes font songer à l’univers post-surréaliste de notre Système Castafiore. Enfin, les deux routines faisant usage de masques (la première de souriantes vieilles dames, la seconde, de bébés androgynes), vues il y a plusieurs années salle Sarah Bernhardt, allusion possible à l’actualité sanitaire, concluent magistralement la soirée. Elles élargissent la portée du propos de l’artiste en y apportant une touche d’inquiétante étrangeté.

Nicolas Villodre

Vu le 4 mai 2022 au Théâtre de la Ville, Espace Cardin, à Paris.

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