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Extradanse à Pôle-Sud, entre « Bugging » et débuggage
A Strasbourg, Extradanse 2022 salue le printemps avec des spectacles combatifs : Bug, tu dégages, avec tes bagages !
Bonne nouvelle : Les bugs, c’est fini ! Enfin une édition qui se déroule comme prévu, sans entraves par le coronavirus. Mais éviter les bugs de l’histoire ne préserve pas de tout, surtout pas quand le spectacle d’ouverture prône le Bugging.
Drôle de nouvelle proposition d’Etienne Rochefort, cette pièce qui bouge et bugge vient tout juste de voir sa création à Chaillot (lire notre critique). Les corps, les gestes, les intentions se perdent dans leur répétition sans but apparent. Mais Rochefort, lui, proclame une nouvelle danse inventée « en réponse au monde qui nous entoure ». Le monde ne tourne pas rond, la danse non plus. Ni la pièce. Logique. Le bug est partout.
Le Bugging, soluble dans le Krump ?
Ça s’échauffe sur un prologue passionnant. Et ça explose dans un épilogue où les éclairages semblent transporter les danseurs à travers l’espace. Le bug dans le bug se produit quand on passe à la partie que de grands caractères en fond de scène déclarent être le véritable Bugging.Force est de constater que la partie Bugging ressemble à un sous-marin chorégraphique. Ce qui met sur le plateau le fait que Bug, en allemand, désigne la proue du navire.
Rochefort, artiste associé à Pole-Sud CDCN, a réuni des danseurs urbains de milieux différents, et notamment des krumpeurs. Puisque cette danse-là ne fait elle pas aussi jaillir le mouvement comme si un bug traversait le corps ? La présence des krumpeurs sur les plateaux des théâtres, cela est certain, n’a plus rien d’un bug. Au contraire, l’écriture s’affine, la complicité semble s’installer comme jadis avec les danseurs hip hop, et les chorégraphes contemporains chatouillent cette danse pour extirper de ces corps des volutes de plus en plus poétiques. Si une faction puriste existe dans le krump, ses adeptes doivent considérer Bugging comme un bug.
Le Brésil et la lutte
Si on veut parler, comme Etienne Rochefort, de « bug de notre civilisation », Extradanse a d’autres prises de paroles à offrir. Notamment par son diptyque brésilien, qui bien sûr n’en est pas un. Fúria de Lia Rodrigues, autre pièce créée à Chaillot [lire notre critique], où la violence des conditions sociales donne lieu à une métaphore aussi déchirante qu’éblouissante de la capacité à résister par la joie de vivre. Costumes de toutes les couleurs, rythmes effrénés, exubérance collective en dansant au bord d’un gouffre…
Tout ceci parle autant de Trottoir de Volmir Cordeiro. Deux pièces où la lutte est une fuite en avant qui puise son énergie dans l’effervescence carioca. Par ailleurs, Lia Rodrigues lance Fúria par des échos de la violence militaire qui s’abat sur les habitants des favelas, depuis la rue. Les réunir aujourd’hui dans une seule et même programmation sous le titre d’Extradanse fait sens, puisque c’est en voyant le spectacle fondateur de Rodrigues, Ce dont nous sommes faits, que Cordeiro s’est mis dans la tête de devenir chorégraphe.
Les femmes qui interrogent
Si Coreiro et Rodrigues n’étaient pas séparés de plusieurs jours dans leur passages strasbourgeois, leur venue pourrait donner lieu à une splendide Rencontre Double Voix, comme Joëlle Smadja l’organise, en tant que directrice, entre Anna-Marija Adomaityte et Sarah Cerneaux. La première présente Workpiece, son solo qui « interroge les conditions physiques et sociales de la productivité, leurs effets sur les corps au travail dans les fast-foods ». La seconde, ancienne interprète chez Abou Lagraa et Akram Khan, « interroge son corps, sa mémoire mais aussi son errance et ses transformations » dans Either Way, son premier solo. Mais attention, les deux se produisent, se rencontrent et débattent le soir du vendredi 13, jour propice aux bugs selon certains…
Échos de l’avenir et du parcours
Mais pour être sérieux, c’est avant tout Marco da Silva Ferreira qui, dans Siri, va sur un terrain où les bugs sont légion, à savoir l’intelligence artificielle et les interfaces entre l’homme et la machine. « Nous voulons mettre en scène des corps humains qui peuvent ressembler à un hologramme ou à une pure entité énergétique. En même temps, nous plaçons au sol des projecteurs informatisés que nous dotons d’une présence humanisée, ce qui crée des sensations d’affection et une relation avec les danseurs », dit-il à propos de cette création menée avec le cinéaste Jorge Jácome où l’image, les robots et les corps humains se croisent sans hiérarchie aucune.
Ayant dit tout ceci, on aurait presque oublié Écho de Catherine Diverrès. Ce serait le bug de trop. Écho, où cette grande dame de la danse française revient sur son œuvre, ou, plus précisément, opère un retour sur son retour opéré en 2003 pour porter un regard un brin distancié sur sa propre écriture, en s’appuyant sur quatre pièces : L’Arbitre des élégances (1986), L’Ombre du ciel (1994), Fruits (1996) et Corpus (1993). Elle transmet aujourd’hui cette introspection rétrospective à une nouvelle génération d’interprètes « qui, pour la plupart, ont rejoint sa compagnie en 2016 », lit-on.
Et on trouve dans leurs rangs (il s’agit de Pilar Andres Contreras, Emilio Urbina, Lee Davern, Nathan Freyermuth, Harris Gkekas, Vera Gorbatcheva, Isabelle Kurzi, Thierry Micouin et Rafael Pardillo) un certain nombre d’interprètes, voire de chorégraphes qui aujourd’hui ne sont pas des novices ni des inconnus.
Thomas Hahn
Pôle-Sud CDCN de Strasbourg
Festival Extradanse 2022
Du 25 avril au 19 mai
Image de preview : Siri de Marco Da Silva Ferreira © José Caldeira
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