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« À propos du festival Dance Reflections » entretien avec Serge Laurent
Serge Laurent est passé de la programmation du festival dijonnais Nouvelles scènes à celle, pompidolienne, des Spectacles vivants et, pour ce qui est de la haute joaillerie, de la fondation Cartier, période Jouy-en-Josas, où il eut entre autres l’idée de reformer le Velvet Underground pour hommager Andy Warhol lors de sa rétrospective posthume en 1990 puis au boulevard Raspail, où il conçut la série de Soirées nomades avant son transfert à la maison Van Cleef & Arpels où il est responsable « danse et culture ». Et donc aussi du festival Dance Reflections.
Danser Canal Historique : Comment est né le festival Dance Reflections ?
Serge Laurent : Dance Reflections by Van Cleef & Arpels, c’est deux choses. C’est un programme, un programme de mécénat en faveur de la danse. L’idée étant de soutenir des compagnies de danse contemporaine dans leurs créations et d’aider des institutions à la diffusion de ces œuvres. Beaucoup d’œuvres chorégraphiques sont créées mais ont souvent des difficultés à tourner. Nous avons donc décidé de soutenir à la fois la production et la diffusion. Nous soutenons le festival d’Automne afin qu’on y présente des œuvres ayant des difficultés à être montrées. Nous aidons aussi par exemple un lieu comme la Brooklyn Academy of Music de New York qui va programmer la pièce de Gisèle Vienne, Crowd. J’ai une longue histoire avec Gisèle Vienne que j’ai envie de soutenir. Ça, c’est le socle de Dance Reflections. Après, il y a une dimension plus événementielle : le festival dont c’est la première édition, qui est le concentré de cette activité continue avec les artistes.
DCH : Comment distingueriez-vous cet événement important, accueilli dans de lieux prestigieux, d’un festival comme Dance Umbrella ?
Serge Laurent : Je fais partie du public de Dance Umbrella depuis des années. Avec la crise du Covid, il a un petit peu disparu pour des problèmes de moyens. Dance Reflections a quelque chose de particulier. D’habitude, les festivals se cantonnent à la création et, souvent, se focalisent sur la découverte. Et je ne voulais pas faire un festival de découvertes. Je voulais montrer l’évolution de la danse dans le champ contemporain. C’est pourquoi j’ai choisi les années 70, avec des pièces-repères comme Dance ou comme Set and Reset et, ensuite, les années 80, avec une pièce comme Fase. Je pense que c’est important dans un même festival de montrer des générations différentes de chorégraphes et que le public ait la sensation que la danse contemporaine a une histoire. Que lorsqu’on découvre aujourd’hui Boris Charmatz, avec Somnole, ça ne vient pas de nulle part. C’est une démarche pédagogique pour moi. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu proposer également un programme de films de danse associé au festival et qui sont visibles sur les sites du Cnd et de VCA. La danse contemporaine, comme le classique et le moderne, a aussi son histoire. Le festival s’appuie sur les trois valeurs rappelées par Nicolas Bos : la création, la transmission, l’éducation.
DCH : Pourquoi la création d’Anne Teresa De Keersmaeker, Mystery Sonatas, a-t-elle reportée au mois d’avril ?
Serge Laurent : La pièce est reportée pour des raisons qui touchent à la compagnie qui a eu des difficultés avec le Covid, bien qu’elle ait été créée à Bruges il y a trois semaines.
DCH : Vous l’avez vue à Bruges ?
Serge Laurent : Je l’ai vue à Bruges. C’est sublime. Elle sera jouée ici à Londres les 11 et 12 avril. Et à Paris au printemps 2023, au Châtelet. Nous présentons également Fase. Lorsque j’ai vu Anne Teresa, qui a dansé cette pièce pendant quarante ans, la transmettre à de jeunes danseurs, j'ai trouvé cela magnifique. Comme lorsque Lucinda a transmis Katema à Ruth Childs. Je trouve que cette démarche de transmission correspond bien à l’esprit du festival.
DCH : Comment êtes-vous passé de la maison Cartier à celle de Van Cleef & Arpels ?
Serge Laurent : Mon métier depuis toujours, c'est d'aller voir des artistes et de partager mon regard avec le public. Pour moi, il y a deux choses essentielles : la volonté de soutenir les artistes et les moyens qu’on a de les soutenir. Et quand je parle de moyens, je ne parle d’argent. Je parle d’espace, de contexte, etc. J’ai commencé à la fondation Cartier, puis quand Jean-Jacques Aillagon m’a proposé le Centre Pompidou, je me suis dit : Wouah ! un outil merveilleux pour organiser cette rencontre entre les artistes et le public. Après vingt ans de Pompidou, j’ai pensé que c’était bien de permettre à d’autres personnes de s’y exprimer. Les lieux ne nous appartiennent pas. Je me disais : il y a longtemps maintenant que tu diriges cette ligne artistique ; il va peut-être falloir, à un moment que ça change ! Je cherchais une autre façon de continuer le même job lorsque cette proposition est arrivée de Van Cleef… Et j’ai redémarré à zéro. Parce que le projet n’existait pas. Il a fallu réfléchir à la forme, au fond, à toute l’architecture. Et ce n’est pas encore fini ! Cela va prendre encore un peu de temps, mais on commence. Aujourd’hui, je suis en train de créer un réseau dans le monde entier avec des alter ego au Japon, à Hong-Kong, aux États-Unis, en Corée, à Abou Dabi et en Europe. Nous allons, par exemple, être partenaires de Romaeuropa avec Fabrizio Grifasi. Un réseau d’institutions amies avec lesquelles on partage une vision artistique et chez lesquelles puissent être diffuser les artistes auxquels on tient.
DCH : Et quels sont vos prochains événements ?
Serge Laurent : Ce que vous avez vu va circuler. Certains spectacles seront présentés au festival d’Automne. Après le BAM, Crowd de Gisèle Vienne ira à l’Usine C de Montréal puis à Los Angeles. La fidélité aux artistes est importante. Avec Van Cleef, nous pouvons les soutenir en production comme en diffusion et donc les accompagner dans une tournée.
Propos recueillis par Nicolas Villodre à Londres le 10 mars 2022.
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