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Bruno Bouché prend la parole
A l’occasion des rencontres des Ballets Européens du XXIe siècle, à Mulhouse, Bruno Bouché, directeur du Ballet de l’Opéra national du Rhin, s’insurge contre les conditions de travail des danseurs, et la position de la danse dans les institutions.
Pour l'ouverture des rencontres des Ballets Européens du XXIe siècle, à Mulhouse le 23 janvier, Bruno Bouché, directeur du Ballet du Rhin et organisateur de la manifestation a tenu un petit discours qui n'est pas passé inaperçu… « Avec les salaires les plus précaires des professions artistiques, la suppression de postes de danseurs reste malheureusement toujours une variable d’ajustement. Et ces suppressions de postes permanents n’ont pas cessé ces dernières années » a déclaré le chorégraphe et directeur, précisant même, ce qui a marqué les esprits, « […] le Ballet de l’Opéra national du Rhin comptait une quarantaine de danseurs. Nous sommes actuellement 32 danseurs dont un premier emploi payé au Smic quand un jeune musicien d’orchestre est en moyenne payé le double. » Cette comparaison ne vise absolument pas la situation des musiciens mais s'appuie sur une réalité budgétaire. La grille de salaire des danseurs, même améliorée grâce à l'intervention d'Ivan Cavallari, le prédécesseur de Bruno Bouché qui a obtenu des grades de solistes, n'accorde que 2309,74€ net à son soliste le plus ancien en fin de carrière, un artiste que l'on reconnaît pourtant pour un virtuose travaillant à temps plein et pour une carrière nécessairement courte… Mais au-delà de la question salariale, cette prise de parole est à mettre en perspective avec une exigence plus large.
Danser Canal Historique : Quelles ont été les réactions officielles après votre prise de position ?
Bruno Bouché : Le délégué à la Danse, Laurent Vinauger, était présent et il m'a félicité. Les directeurs des ballets présents [onze compagnies de ballets, neuf françaises, une suisse et une allemande, étaient invitées pour ces rencontres] m'ont tous exprimé leur soutien. Les réactions du public ont été très favorables. Les gens ont été très surpris par la réalité du salaire des danseurs et par leur situation de travail qui est, dans le fond très mal connue.
DCH : Y-a-t-il eu des réactions des tutelles politiques ?
Bruno Bouché : Non, il n'y a pas eu de réaction des politiques. Il y avait Anne Catherine Goetz qui est maire-adjointe à la Culture et présidente de l’Opéra national du Rhin, mais elle ne s'est pas exprimée. Ce qui est assez normal, ce n'était pas le moment ni l'endroit.
Mais ma prise de position répond aussi à une évolution de la situation. Le ministère de la Culture dit qu'il travaille actuellement sur la question de la réévaluation des salaires des danseurs employés dans les CCN-Ballets. Nous allons travailler sur une harmonisation [le Ballet du Rhin dépend de la fonction publique territoriale] et j'ai une réunion avec le ministère sur cette question.
DCH : Cette idée de la revalorisation est importante, c'est même un changement historique quant à la position du ministère. Est-ce que l'on peut dire qu'il a pris conscience de l'intérêt de la permanence des emplois de danseurs ?
Bruno Bouché : Il y a un petit bruit de fond qui a changé. Quelque chose dans la façon d'envisager les emplois de danseurs. Les responsables commencent à s’apercevoir que la permanence pourrait être d'un moindre coût final que l'intermittence.
Avec le confinement, chacun a pris conscience que les compagnies constituées avaient des avantages. Au niveau du ministère, tout le monde commence à mesurer les effets d'un recours trop systématique aux danseurs intermittents. Les créations ne tournent qu'avec beaucoup de difficultés car il est très complexe de coordonner les agendas des danseurs qui travaillent dans plusieurs compagnies. D'autant que se sont souvent les mêmes interprètes que l'on retrouve dans la plupart des créations ce qui pèse jusque sur les projets artistiques, non seulement en termes de disponibilité, mais aussi en termes d’uniformisation des gestuelles. La volonté de faire vivre un répertoire et même simplement les œuvres, demande aussi d'avoir des danseurs permanents.
DCH : Depuis quelques années, le réseau des Centres chorégraphiques Nationaux (CCN) est assez peu combatif et ce sont les ballets au sein de l'association des CCN qui portent des revendications nouvelles. Comment expliquez vous cette situation ?
Bruno Bouché : Je crois qu'il ne faut pas se demander pourquoi l'Association des Centres Chorégraphiques Nationaux (ACCN) est si peu audible mais plutôt pourquoi le théâtre et la musique parviennent si bien à se faire entendre et pas la danse. Or c'est une question de moyens et cela se répercute à tous les niveaux. Discuter et négocier demande du temps, donc de pouvoir s'appuyer sur des équipes Par exemple, pour faire entendre les revendications de la danse je me suis porté candidat pour être président de l'ACCN, mais ce n'est pas raisonnable du tout. Ici, nous sommes totalement en sous-effectif ! Je ne dispose même pas d'un chargé de diffusion propre au ballet. J'ai créé un poste de chargé de mission pour tout ce qui relève des missions d'intervention du CCN, mais c'est un rattrapage. C'est un ancien danseur en reconversion qui occupe ce poste. Il était encore payé comme danseur alors qu'il ne mettait plus un pied sur scène. J'ai donc simplement rétabli la vérité, et je n'ai pas créé de poste. J'ai accepté une baisse d'effectif du ballet qui était déjà réelle puisque le danseur ne dansait plus pour pouvoir disposer d'un salarié qui remplit les missions nécessaires à un CCN ! Il y a un manque de moyens criant ! Je croule sous le travail parce que je n'ai pas la possibilité d'avoir la structure nécessaire… Mais au moins, parce que je suis dans une structure plus stable, parce que mon projet de directeur artistique est reconnu et relativement fort, je peux prendre la parole plus facilement.
DCH : C'est donc plus qu'un problème de revalorisation des salaires de danseurs que vous réclamez !
Bruno Bouché : Bien sûr ! Le problème de fond, c'est que la danse est un art dominé. Il n'y a pas un seul directeur de ballet qui a la liberté de sa programmation et qui dispose de moyens propres. Il ne viendrait pas à l'idée d'un directeur d'opéra de venir me présenter sa programmation pour que je la valide tandis que moi je dois faire valider ma programmation… Si l'on réfléchit, il n'y a aucune raison à cela ! Ici, au Ballet du Rhin cela se passe formidablement parce que nous nous entendons bien et que j'ai des interlocuteurs qui aiment la danse. Mais institutionnellement, ce n'est pas défendable.
La danse tout entière doit voir sa situation s'améliorer. Il n'est pas normal que tous les CCN, et pas seulement les ballets, soient privés de leurs propres moyens de diffusion, c’est-à-dire de salles de spectacles. Les directeurs de CCN doivent donc toujours négocier pour montrer leur création et ils dépendent en définitive d'autres qui leurs accordent une place sur leur plateau.
Ce n'est donc pas seulement une question de moyens, ce sont les mentalités qui doivent changer.
Propos recueillis par Philippe Verrièle