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Label Danse 2022 au Ballet du Nord
Sylvain Groud présente une édition à son image, éclectique et attentive à l’autre. Du 31 mars au 3 avril.
On sait l’intérêt et l’engagement de Sylvain Groud pour la rencontre entre l’art chorégraphique et les soins. Pour rappel, l’hôpital est, pour le successeur d’Olivier Dubois à la direction du CCN Ballet du Nord, un lieu où se cristallisent les relations humaines. Et même si Groud a développé, au cours de la décennie passée, d’autres recherches, notamment autour de la relation de la danse avec l’écriture musicale, les arts plastiques et visuels ou encore le spectacle participatif, on ne s’étonnera guère de voir l’édition 2022 présenter une table ronde sur le thème « Culture à l’hôpital ». Une initiative rare et précieuse.
Groud en personne sera par ailleurs sur scène, aux côtés du compositeur et musicien Chamberlain, pour un nouvel épisode de sa série between, consacrée à la rencontre de l’art chorégraphique avec un langage artistique autre, à savoir soit sonore, plastique ou visuel, sur scène ou in situ, dans des lieux non dédiés à la danse. Ici, le lieu proposé est La Cave aux poètes, salle de concerts et havre de Chamberlain qui y règne en artiste associé. Entre Groud et lui, between donc, tout sera autorisé, tant que poésie il y aura…
Label Danse a par ailleurs la chance de pouvoir présenter plusieurs spectacles dans le cadre privilégié de La Piscine, Musée d’art et d’industrie, notamment Myriam Gourfink avec le projet Nulle part & partout, pour lequel un groupe de 15 danseurs amateurs est invité à réinvestir de façon poétique notre gestuelle quotidienne. On est donc autant dans une proposition hors normes pour Gourfink que dans un lieu résolument atypique, même si La Piscine a vu de belles pages de danse. Bonne nouvelle alors pour amatrices et amateurs de savoir que cette alliance de longue date se poursuit, comme celle avec L’Oiseau-Mouche compagnie fondée en 1978, où travaillent 23 comédiens permanents en situation de handicap mental. C’est dans leur théâtre que Christian Ubl présente La cinquième saison [lire notre critique], pièce consacrée au carnaval.
Danse, chant et jonglage se rencontrent dans Blanc, une création en cours de Céline Lefèvre et le circassien Maxime Vanhove, dont une étape de travail sera dévoilée (entrée gratuite). Par ailleurs, Label Danse multiplie les propositions gratuites, dont celles de l’artiste associée du CCN, Rita Cioffi qui crée une pièce de groupe, intitulée Slow, pour nous rappeler nos émotions d’adolescents déclenchées par nos premières rencontres troublantes sur une piste de danse, ainsi qu’un duo, Pas de deux, à l’érotisme distancié, car orchestré par la manipulation d’un jean dans le rôle de l’objet transitionnel ou autre fétiche.
Dire que la danse est (presque) toujours épanouie dans sa rencontre avec d’autres disciplines est certes un lieu commun, mais la présence de ces unions à Label Danse ne peut être fortuite, étant donné que Sylvain Groud y porte une grande attention. Aussi la danse entre en dialogue direct avec la photographie dans People united de Joanne Leighton [lire notre critique], voire avec le roman photo quand Hervé Chaussard embarque un groupe d’amateurs à bord de son Atlantis, nouvelle excursion du chorégraphe tournée vers la BD, la science fiction et le dessin animé, sans oublier le ballet romantique.
La SF est d’ailleurs une version imaginaire d’une autre discipline qui s’invite en danse, grâce à Pauline Sonnic et Nolwenn Ferry, à savoir la recherche anthropologique. Dans Distro, les deux chorégraphes s’intéressent aux bars comme lieux de rencontres et questionnent leur rôle social : « Ici, on danse comme avant, on sourit, on montre les dents. On se tamponne les coudes, on se déshabille du regard. On lâche prise, on se tient chaud, on cicatrise », commentent-elles les trouvailles de leur investigation face à la buvette.
La sociologie pourrait continuer directement, au même endroit. Au troquet. « Les femmes peuvent-elles occuper l’espace public comme le font les hommes », demande Mitia Fedotenko et envoie trois danseuses et une comédienne à prendre la température de l’espace public pour mieux comprendre quelle est la place des femmes en situation urbaine. Cette performance pour publics conviés ou non-conviés permet aux performeuses de réagir directement à la situation et aux attitudes du public. Et elle seront sans doute amenées à prononcer parfois ces mots qui sont le titre de la pièce de Jacques Bana Yanga : Laissez-moi parler. Où il est dit du personnage, incarné par le chorégraphe : « Il a beau ouvrir la bouche, les sons ne sortent pas, les mots restent enfoncés dans la gorge. Cette lutte contre le silence illustre de façon troublante le combat des jeunes africains pour le droit à la parole. » On ne choisit pas son oppresseur, mais on choisit bien sa danse…
Thomas Hahn
Image de preview : la cinquième saison - Christian Ubl © Lauren Philippe
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