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Le Kiev City Ballet au Théâtre du Châtelet

La troupe ukrainienne en tournée en France a été présentée lors d'une soirée exceptionnelle au Théâtre du Châtelet ce 8 mars, en fraternité avec l’Opéra de Paris. Elle devrait s'y installer en résidence, aussi longtemps qu'ils le souhaitent.

Une file d’attente qui fait le tour du Théâtre du Châtelet, et à l’intérieur pas une place de libre. Sur le plateau, les deux codirecteurs du Kiev City Ballet, Ivan Kozlov (un ancien soliste du Ballet national d’Ukraine, du Ballet Eifman de Saint-Petersbourg et du Mariinski qui fêtera ses 40 ans en décembre prochain) et son épouse, Ekaterina Kozlova. Anne Hidalgo, se voulant plus militante que candidate, assumant la maternité de cette proposition de séjour parisien faite à la troupe ukrainienne et affirmant que les danseurs seront « en résidence pour créer ». Kozlov, lui, pour parler du pouvoir de la danse de « montrer que le monde peut vivre dans l’amour et la paix ». Ecrasant quelques larmes. Aurélie Dupont, venue avec une trentaine d’interprètes du Ballet de l’Opéra de Paris, affirmant que « la danse est un instrument de paix ». 

Xavier Couture, président du Théâtre du Châtelet, et Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville et du Festival d’Automne, étaient là également pour cette soirée historique, tout comme Bruno Bouché, directeur du ballet de l’Opéra national du Rhin. Les directeurs et leur effectif seront donc accueillis aussi longtemps qu’ils le désirent, comme le précise la mairie de Paris. Pour l’instant, ils poursuivent leur tournée en France avec Casse-Noisette et les mondes enchantés, une adaptation pour enfants du célèbre classique, à Nantes et à Tours (les 12 et 13 mars), après une tournée en février avec leur interprétation de la version de Petipa. A partir du 14 mars ils seront donc de nouveau à Paris et vont devoir trouver un modus vivendi avec les équipes du Châtelet…

Une barre Paris-Kiev

L’aventure de cette tournée est le reflet de la situation actuelle. La troupe qui tourne est en vérité le ballet junior du Kiev City Ballet, créé en 2014 par le couple Kozlov. Les vedettes de la troupe devaient les rejoindre, expliquent-ils, mais seules certaines danseuses ont réussi à quitter l’Ukraine. A noter que le producteur Franceconcert explique dans sur son site internet (seules les pages en anglais consacrées au Kiev City ballet sont accessibles) que la troupe – mais quelle ironie – a été appelée en relève du ballet de Minsk (Biélorussie) qui n’a pu se rendre en France en raison des restrictions sanitaires liées au coronavirus. 

La partie danse de la soirée commença par une barre et autres exercices, la classe étant dirigée par Aurélie Dupont et Bruno Bouché, en français et en anglais, où se mélangeaient les trente danseurs de l’Opéra de Paris et les trente de Kiev. Où l’on voyait qu’à nombre égal, les kilogrammes parisiens étaient très nettement inférieurs. La troupe dirigée par Aurélie Dupont était venue avec plusieurs étoiles, dont la Coréenne Park Sae-eun et Paul Marque. Ce dernier ouvrit la partie chorégraphique par un pas de deux de Casse-noisette  aux côtés d’Olga Posternak, entourés d’un corps de ballet en fidèle reflet des perturbations vécues par la troupe. 

Danses soviétiques et folkloriques

Mais les deux mille spectateurs étaient venus pour manifester leur soutien aux artistes et au peuple ukrainiens. En plus, cette troupe a su aussi offrir une belle rareté, avec un solo extrait d’une œuvre de Fedor Lopoukhov, chorégraphe de l’ère soviétique dont les œuvres nous sont inconnues, mais auquel on devrait s’intéresser à en juger par la brève Variation d’Ostap  – interprétée par Taras Titarenko – aux allures contemporaines et même un brin expressionniste. Et s’il est encore paradoxal de danser du répertoire soviétique – même si Lopoukhov, par sa liberté d’esprit, a fini par perdre les faveurs de Staline – la troupe était au plus près d’elle-même dans un petit ballet assez folklorique, avec deux quatuors masculins où tous étaient vêtus dans les couleurs du drapeau ukrainien lequel fut ensuite projeté en grand sur le mur du fond. On y trouvait l’âme profonde de ses danseurs, certes formés en ballet mais visiblement nés pour une danse d’un autre esprit qui sied aussi parfaitement à leurs morphologies. 

Les danseurs ukrainiens présents à Paris « sont notre avenir », comme le disait Kozlov qui s’exprimait dans un anglais passable, alors que son épouse excellait dans la langue de Shakespeare, les deux mettant quasiment au chômage technique l’envoyée de l’ambassade d’Ukraine qui devait assurer la traduction depuis l’ukrainien. Au cours de cette soirée très marquante dans la construction de la solidarité artistique avec l’Ukraine, Emmanuel Demarcy-Mota exprima le souhait « que ces artistes puissent travailler en toute liberté ». L’Opéra national de Paris et le Ballet du Rhin vont les accueillir, ainsi que probablement de nombreux autres CCN français. 

Un réseau européen solidaire

Le Théâtre de la Ville lance également la construction d’un réseau européen solidaire et annonce que « En Europe, les théâtres et festivals qui ont répondu à cet appel et s’engagent dans cette nouvelle alliance sont le Teatro Della Pergola de Florence, le Théâtre municipal Rivoli de Porto, le Théâtre national Dona Maria II de Lisbonne, Le Festival Grec de Barcelone, le Festival Julidans / ITA d’Amsterdam et le réseau BIG PULSE, le Kampnagel de Hambourg et le Stegi à Athènes. » A suivre. 

La soirée du 8 mars a vu le ballet prendre une valeur symbolique de résistance, d’endurance et d’espérance en montrant que les ressources dont nous disposons peuvent nous surprendre à tout moment, comme elles ont surpris la nation ukrainienne et le reste du monde. Un jour, quand on fera le bilan de cette guerre absurde, le fait que ces jeunes danseuses et danseurs de Kiev ont soudainement pu se produire au Théâtre du Châtelet et se faire ovationner par une salle comble, fera partie des histoires réconfortantes de cette période de souffrances. La main sur le cœur, et les pensées sans doute avec leurs proches et leur pays, ils ont terminé en chantant leur hymne national, telle une Marseillaise de l’Est. 

Thomas Hahn

Le 8 mars 2022

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