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« Atys » de Lully et Quinault par le Grand Théâtre de Genève

Mis en scène par Angelin Preljocaj, cette version d'Atys explore une voie singulière. Non plus une tragédie lyrique -ancêtre de l'opéra- mais une manière de ballet lyrique, presque entièrement dansé autant par le ballet du Grand Théâtre de Genève que par les chanteurs. Choix dramaturgique osé mais qui s'explique par le statut singulier de l'œuvre de Lully et Quinault, devenu un véritable totem du mouvement baroque…

Comment reprendre Atys ? En 1987, la question se posait en termes fort différents : après deux siècle de silence, pour célébrer le trois centième anniversaire de la mort de Lully, une étrange conspiration où l'on croise Massimo Bogianckino, Florentin et directeur de l'Opéra de Paris et qui va devenir maire de Florence, Thierry Fouquet, qui se trouve à la tête de la Salle Favart, le metteur en scène Jean-Marie Villégier, le chef d’orchestre William Christie et la chorégraphe Francine Lancelot. Ensemble ils décident de recréer « l'opéra du roi » comme le désigne toute bonne notice historique qui se respecte. L'occasion permettait de démontrer la justesse des thèses de ces « baroqueux » acharnés alors à redécouvrir la musique d'avant Bach… On sait ce qu'il en advint : un mythe du spectacle contemporain. Avec cet opéra de Lully, tout un pan de la culture européenne réapparaissait au grand jour. Pour l'anecdote, un petit passage par le Kobé (modestement sous-titré The Complete Opéra Book), la fameuse bible rédigée par Gustave Kobé et régulièrement remise à jour, à l'époque, ne mentionnait même pas l'ouvrage de Lully… Mais depuis ce mois de décembre 1986 (car, n'en déplaise au public français, la création eu lieu, avant Paris, au Teatro Metastasio de Prato) plus personne n'ignore Atys, devenu une manière de bataille d’Hernani du mouvement baroque et à ce titre, comme intouchable…

Il est indispensable de conserver en mémoire cette situation pour comprendre le triple pari qui préside à la présente production. Le premier pari revient à Aviel Cahn. Le directeur du Grand Théâtre de Genève, pour assurer la mise en scène de l'œuvre, a choisi un chorégraphe. Risque limité… Depuis Pina Bausch et ses Iphigénie en Tauride (1974) et Orphée de Glück (1975) pour la Wuppertaler Tanz Bühne (on n’en est pas encore au Tanz Theater), Maurice Béjart et sa Flûte enchantée (1981), voire Einstein on the Beach (1976), il est devenu très tendance de demander à des chorégraphes, et quoi que cela soit un peu contre nature sur le plan théorique, de mettre en scène des ouvrages lyriques. D'ailleurs la seule nouvelle production d'Atys depuis 1986 fut celle d'une chorégraphe, Lucinda Childs pour l'opéra de Kiel en 2014 (son Farnace de Vivaldi pour l'Opéra du Rhin en 2015 confirmait sa maîtrise de l'exercice). Reste que confier à un chorégraphe qui n'œuvre pas, par définition, dans le narratif, un ouvrage dont la trame dramatique s'emmêle volontiers, ne va pas sans quelques complications dont Angelin Preljocaj ne se tire pas mal du tout !

Le second pari est pour le chorégraphe. Il s'attaque, pour sa première mise en scène d'opéra, à un monument, lequel tient, de plus, une place singulière dans l'histoire de la danse. Si l'on ne sait pas qui composa réellement les danses originales d'Atys, la distribution de 1676 comptait Guillaume Pécourt et Pierre Beauchamp (maître à danser du Roi, lui-même!) et aussi le Grand d'Olivet, alors secrétaire de l’Académie de danse… Toutes personnalités tout à fait aptes à composer les danses et qui se chargèrent sans doute de danser les leurs en se gardant de les partager… Puis Atys a régulièrement été repris, au moins jusqu'en 1740, et les plus grands danseurs de l'époque s'y illustrèrent : Balon, Blondy, Dupré, Presvot, Sallé, Camargo… Impressionnant palmarès !

Et la barre est aussi haute parce que quoique modèle officiel de tragédie lyrique, Atys laisse une grande latitude à la danse… A commencer par le fameux Sommeil dont la variation, composée par Lancelot en 1986 et transfigurée par Jean-Christophe Paré, reste un sommet.

Angelin Preljocaj a fait le choix dramaturgique d'un quasi-continuum dansé. Dès le prologue (un peu « expédié » mais malin) les danseurs ne quittent presque jamais le plateau. Ils s'y succèdent soit en doublement des chanteurs (comme pour le Cosi Fan Tutte d'Anne Teresa De Keersmaeker - 2017- mais avec plus de réussite) pour un sous-texte gestuel au chant, soit en chœur commentant par la danse en ensemble. Groupe très souvent à l'unisson donc à la composition un peu fastidieuse, mais dont la structure témoigne de l'intelligence du mouvement d'un chorégraphe décidément très doué en la matière. Les danseurs deviennent aussi véritable support de l'action, comme dans le premier acte où, portant chacun une grande perche noire, ils créent des espaces où s'expriment les chanteurs. Et quand les danseurs n'y sont pas, les chanteurs, voire le chœur, prennent la suite. On pourra particulièrement saluer Matthew Newlin (Atys), capable de danser et porter Sangaride (Ana Quintans) tout en chantant sa lamentation (Acte 5). Malgré quelques fragilités, la performance reste à souligner.

Le troisième et dernier pari est là. C'est celui de Philippe Cohen et de ses danseurs. Le directeur du Ballet du Grand Théâtre de Genève l'affirme très clairement : « la star, c'est le ballet lui-même ». Ici, la star se fait d'une docilité et d'une patience absolues et s'efface derrière l'ouvrage lyrique. Il fallait oser, après avoir affirmé l'autonomie de la compagnie, revenir à ce point sur les principes. Et les danseurs sont parfaits ! Même quand, assis dans une ligne descendante de huit, le dernier précédé de sept autres faisant exactement la même chose et donc est invisible (il faut un critique légèrement pervers pour se décentrer et regarder systématiquement ce genre de détail…) chacun d'entre eux se donne comme un damné et durant plus de trois heures ! Et tout cela avec un effectif réduit (17) ce qui ne laisse guère le temps de souffler ! L'abnégation et la conviction du danseur incarnées.

Et ces trois paris sont réussis. Cette production d'Atys possède une puissance visuelle, hiératique et symbolique particulièrement convaincante et qui constitue une alternative à une proposition plus « historiquement informée ». C'est-à-dire qu'elle peut exister ce qui, compte tenu du mythe de 1986, n'allait pas de soi…

Philippe Verrièle

Vu au Grand Théâtre de Genève, le 27 février 2022

Jusqu’au 10 mars 2022 au Grand Théâtre de Genève

Du 19 au 23 mars 2022 à l'Opéra Royal de Versailles

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