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L'exposition « Cirque & Saltimbanques » à Rouen
Le Temps des Collections, lancé en 2012 aux Musée des Beaux-Arts de Rouen, a pour vocation de valoriser les collections au cœur de la programmation en révélant des œuvres rares ou méconnues issues de musées ou de collections privées. Cette année, sa 9e édition propose un grand voyage à travers l’histoire du Cirque avec l’ exposition Cirque & saltimbanques, qui se tiendra jusqu’au 17 mai 2022.
L’exposition se décline en quatre thèmes dressés dans quatre des onze musées de la Réunion des Musées Métropolitains, répartis sur le territoire de la métropole rouennaise. Au programme : Cirque et saltimbanques - naissance d’un art et Cirque et Japon - estampes des périodes Edo et Meiji à Rouen, Cirque : En habits de lumière à Notre-Dame-de-Bondeville et Buffalo Bill : Un saltimbanque venu de l’ouest à Elbeuf, ville dotée d’un Pôle national des Arts du Cirque, l’historique Cirque-Théâtre d’Elbeuf construit en 1892 pour accueillir des spectacles de cirque, opérette, théâtre, matchs de boxe et de catch mais aussi des meetings politiques. (Jean Jaurès y tint une conférence en 1912). Devenu cinéma, fermé, puis réhabilité, Il est aujourd’hui le deuxième Pôle-Cirque de Normandie et porte avec La Brèche-Pôle-Cirque à Cherbourg le Festival Spring qui met l’accent sur les écritures innovantes et la diversité du cirque actuel.
L’exposition accueille l'immense et prodigieuse collection privée de Jeanne-Yvonne et Gérard Borg, récolteurs infatigables et passionnés, parcourant le monde depuis des décennies, rencontrant et liant de grandes amitiés avec des artistes et familles aux noms illustres, Louis Knie, Gösta Kruse, les Gruss ou les Fratellini… « Rencontrer le cirque est un long, exaltant et merveilleux chemin. Le mouvement permanent qui anime les acrobates, les artistes, et les chapiteaux fascine. Jour après jour, le cirque apporte au plus grand nombre exploits, émotions, rêve », disent-ils.
On pénètre dans l’exposition Cirques et saltimbanque-naissance d’un art par un petit barnum, rayé rouge et blanc comme il se doit. Les salles exposent des affiches de promotion de grands cirques comme Barnum & Bailey’s, la plus grande entreprise de cirque américain du début du XXe siècle. Toutes admirablement dessinées, beaucoup sont signées du grand affichiste du cirque et de l’illusion Adolph Friedlander, génie du genre. Certaines, spectaculaires, couvrent un mur entier, certaines par de nombreux détails relatent avec expression le spectacle dans tous ses exploits. Les corps y sont fiers et puissants, acrobates en léotard dans des figures fantasques, écuyères corsetées en pleine voltige ou encore – les occidentaux organisant un commerce d’animaux sauvages sans réelle réglementation depuis les colonies africaines – dompteuses au sang-froid renommé comme Claire Héliot, la fiancée des lions, ou la belle et plantureuse Nouma-Hawa.
Une salle est consacrée au cirque équestre, inventé en 1768 à Londres par un ancien officier de cavalerie. Jusqu’alors réservé à l’ aristocratie militaire, l'Art équestre devient cirque ou théâtre et se féminise dès 1830. Une autre salle du musée révèle d’incroyables photographies panoramiques de l’entre-deux-guerres, prises par Edward Kelty, regroupant le personnel au grand complet, parfois plus d’un millier de personnes sur une photo, des grands cirques américains, véritables villes itinérantes à la vertigineuse démesure.
Le fonds Borg expose aussi de nombreux tableaux dont l’étonnante Écuyère aux oranges de Jean-Richard Goubie, où les cochons représentent des bourgeois exhibant leur argent, des dessins, eaux fortes et aquarelles de cirques en « dur », beaucoup d’entre eux furent démolis comme Medrano en 1972, quelques jouets anciens, des bronzes, des pièces uniques comme ces plâtres peints représentant les frères Fratellini.
Complètent l’exposition des peintures et dessins venus de prêts des musées Zadkine, Carnavalet, Centre Pompidou : Toulouse Lautrec, Fernand Léger, Ossip Zadkine, Raoul Dufy, Georges Rouault (entre autres) mais aussi un admirable et méconnu Pierre Bonnard, L’Écuyère qui semble flotter sur un cheval au galop, prêt du Musée Faure d'Aix-les-Bains, ou encore le célèbre tableau de Gustave Doré venu du musée d'Art Roger-Quilliot de Clermont-Ferrant, Les Saltimbanques, qui prend toute sa dimension dramatique dans les salles rouge d’Andrinople du Musée des Beaux-Arts.
Direction Muséum d'Histoire naturelle, toujours à Rouen, autre lieu, autre atmosphère, qui réunit sur le thème Cirque et Japon - Estampes des périodes Edo et Meiji, une rare collection d’ estampes d’une exceptionnelle qualité de tirage, d’autant plus lorsqu'on réalise que celles-ci étaient à l’origine de simples flyers qui une fois le spectacle fini n’avaient plus grand intérêt ! L’exposition est une mine sur l’histoire du cirque au Japon, extrêmement bien documentée.
On y découvre le début du cirque et du misemono, (représentation) terme apparu à l’époque Edo durant laquelle les spectacles de rue apparaissent en ville, et sa figure de proue, l’antipodiste Hayatake Torakichi ( ?-1868 ) qui bien que considéré, à l’instar de tous les artistes et saltimbanques, comme Hinin, c’est-à-dire non humain – statut hors caste oficiellement aboli en 1871–, est l’artiste le plus célèbre de l’époque et le plus représenté par les maîtres de l’estampe. Sa célébrité lui ouvrit les portes bien fermées du Japon pour se produire entre autre en Amérique.
Les estampes montrent également les grandes parades exécutées par d’importants corps de pompiers. Peu d’animaux sont représentés, en dehors du singe, animal emblématique du cirque qui possède une place très particulière en raison de son caractère sacré dans la religion Shintoh.
L’exposition finit sur l’arrivée du cirque occidental en 1864, avec la troupe de Richard Risley qui obtient l’autorisation de se produire, faisant découvrir à la population stupéfaite le cirque équestre, et surtout, les femmes écuyères et acrobates. Toutefois, cette arrivée du cirque occidental n’altérera pas la popularité des misemono, jusqu’en 1880, date à laquelle le puritain gouvernement Meiji prendra des décrets afin de réduire son activité. Les artistes seront alors priés de rentrer à l’intérieur, théâtres ou lieux privés.
Quand au destin des ces merveilleuses estampes, arrivées en Europe en tant que banals emballages d’accessoires ou céramiques, elles susciteront une admiration à l’origine du japonisme qui touchera tous les arts. Le cirque ne sera pas exempt de l’essor de ce japonisme et les artistes nippons seront invités à se produire dans les grands cirques de Richard Riley ou Louis Soulier. Malgré l’abolition de leur statut hors caste, ils essuieront tout de même certaines discriminations culturelles de la part des Occidentaux, amateurs de « zoos humains » et d’exotisme. Toutefois, l'engouement occidental pour les artistes japonais durera jusqu’aux années 30 et on les verra jouer à Medrano, au Cirque d’Hiver ou de Rouen ou encore aux Folies Bergères …
On peut assurer les yeux fermés, avec la confiance aveugle d’une partenaire de lanceur de couteaux, que les deux autres volets (que l’on n’a pas vus) de cette belle exposition sont tout aussi riches, documentés et passionnants !
Marjolaine Zurfluh
Vu en décembre 2021
Juqu’au 17 mai 2022
Musée des Beaux-Arts de Rouen : Cirque et saltimbanques - naissance d’un art
Muséum d’Histoire naturelle de Rouen : Cirque et Japon - Estampes des périodes Edo et Meiji
La Corderie Vallois à Notre-Dame-de-Bondeville : Cirque : En habits de lumière
La Fabrique des savoirs à Elbeuf : Buffalo Bill : Un saltimbanque venu de l’ouest
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