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Mickaël Le Mer, « Les yeux fermés »
Avec Les yeux fermés, Mickaël Le Mer crée au festival Suresnes Cités Danse une pièce inspirée de l’univers de Pierre Soulages. Il explique ici ce projet qui trace un parcours de l’obscurité vers la lumière qui résonne parfaitement avec le nom de sa compagnie de danse, S’Poart (on prononce : « espoir »), implantée à La Roche-sur-Yon et qui a aujourd’hui vingt ans de création professionnelle à son actif.
Danser Canal Historique : Comment vous est venu l’idée de travailler sur Pierre Soulages en danse ?
Mickaël Le Mer : Je connaissais son travail depuis longtemps, même si son univers ne me parlait pas forcément. Il y a quelque temps, j’ai traversé une période de deuil assez difficile, suite au décès de mon père qui était un grand amateur de peinture et peignait lui-même à ses heures perdues. C’est lui qui m’avait fait découvrir Soulages et j’ai encaissé un vrai choc, émotionnel et esthétique. Cette période de deuil correspondait en plus au premier confinement qui était une période sombre pour tout le monde. C’est à ce moment que je suis tombé, par hasard, sur un documentaire consacré à Soulages. Et j’ai été saisi par son message qui est au fond assez simple, quand il dit que la lumière jaillit de l’obscurité. Dans cette période si particulière et déstabilisante, son crédo a pris énormément de sens pour moi. Comme pour chacune de mes créations, je suis donc parti d’un choc esthétique ou émotionnel qui a servi de prétexte à la danse.
DCH : A partir de ce bouleversement, comment avez-vous construit votre rapport à l’œuvre de Soulages ?
Mickaël Le Mer : Je suis allé au Musée Soulages à Rodez pour me confronter en chair et en os à ces toiles noires sur lesquelles la lumière travaille. J’ai pu constater que quand on circule face à ces tableaux, quand on se déplace à droite, à gauche, en reculant et en s'approchant, ce n’est pas le noir qui parle ou qui émane, mais la lumière. J’y ai donc trouvé l’idée du corps en mouvement, en train de transiter à travers ces noirs et ces lumières. Suite à cette expérience, j’ai construit la pièce avec des fils de lumière qui rayonnent à travers le plateau et des corps qui les traversent, corps qui disparaissent ou commencent à exister, un peu comme à la naissance.
DCH : En effet, un théâtre est en général une boîte noire dans laquelle il faut amener la lumière.
Mickaël Le Mer : C’est bien là que j’ai vu la rencontre possible avec Soulages. Ces tableaux noirs sur lesquels la lumière arrive m’ont tout suite fait penser au plateau de théâtre où on doit imaginer comment on va remplir cet espace obscur et créer l’émotion.
DCH : La lumière et son absence sont donc en quelque sorte le moteur de cette pièce ?
Mickaël Le Mer : Les yeux fermés n’est pas une création comme les autres, où la danse se travaille pour que la lumière vienne se poser dessus. Ici c’est presque l’inverse. Nous avons commencé par une écriture des lumières et ensuite, la danse est venue se poser sur celle-ci. Les danseurs sont passés par un vrai travail de prise de conscience par rapport à la lumière, pour comprendre précisément comment le corps prend la lumière. Ensuite, au fur et à mesure, la lumière envahit le plateau et les corps se dévoilent. Ça part d’un faisceau et va jusqu’à la lumière pleine salle.
DCH : Le titre Les yeux fermés évoque donc cet état d’obscurité ?
Mickaël Le Mer : C’est pour moi une image qui évoque la confiance et la lumière, les rêves. Il nous faut avoir confiance en ce moment d’obscurité parce que c’est de là que la lumière surgira. Car justement, Les yeux fermés n’est pas une pièce sombre, même si certaines parties se déroulent dans un espace de faible luminosité. Emotionnellement cette pièce est lumineuse !
DCH : Quelle a été votre recherche sur le mouvement et le vocabulaire chorégraphique ?
Mickaël Le Mer : C’est un travail assez simple, mais plutôt surprenant pour les danseurs. On commence par une marche, une circulation où les corps comment à vivre progressivement, dans une vibration qui part du sol et investit tout le corps. Il y a aussi un travail où les mains seules sont éclairées par un faisceau lumineux et ensuite les pieds etc, un peu comme une naissance, où on prend progressivement conscience du corps et de soi, où chacun peut trouver sa lumière intérieure et communiquer avec celles des autres.
DCH : Le geste de peindre apparaît-il également ?
Mickaël Le Mer : Oui, c’est quelque chose que nous avons utilisé dans le mouvement des bras par exemple. J’ai aussi beaucoup parlé aux danseurs de l’ancrage au sol, d’incarnation, et de la sensation de l’instant présent. Il y a une dimension spirituelle et je pense qu’à l’avenir mon travail s’intéressera encore davantage à cette dimension.
DCH : Les danseurs sont-ils tous issus des danses urbaines ou mélangez-vous danseurs hip hop et contemporains ?
Mickaël Le Mer : Tous les danseurs viennent du hip hop, mais plusieurs d’entre eux ont une histoire avec la danse contemporaine, par leur formation ou par les rencontres qu’ils ont pu faire. Par exemple, Elie Tremblay qui a commencé à l’âge d’onze ans, dans notre école. Il a eu un bac en option danse et s’est formé au conservatoire de La Roche-sur-Yon. Ensuite il est parti au CNDC d’Angers où il a fini son cursus de trois ans en juin dernier. Il s’est donc forgé un style hybride entre hip hop et contemporain. Il est le danseur le plus jeune sur cette création mais il a déjà un bagage assez incroyable. D’autres ont à leur actif ente quinze et vingt ans de création chorégraphique dans des univers divers et variés.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Les yeux fermés de Mickaël Le Mer
Les 22 et 23 janvier 2022, Suresnes, Théâtre Jean Vilar