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« Phœnix » de Josette Baïz et la Compagnie Grenade

Surmonter le confinement en dansant, c’est se relever tel l’oiseau mythique ! 

Voici l’une des pièces de danse qui n’auraient pas vu le jour, ou bien d’une manière fort différente, sans la pandémie et ses conséquences. Une pièce post-confinement qui dit la douleur et le rebondissement du point de vue d’une jeune génération particulièrement heurtée dans son envie de vivre. Une création qui incarne la capacité à rebondir après une période difficile, la volonté de ne pas se laisser abattre, même si on ne sait vraiment comment renouer avec le monde. D’une vie sociale réduite en cendres, on passe au rêve d’un rite solaire… Aussi la nouvelle création de la Compagnie Grenade exprime la résilience après le désarroi. 

Phœnix est une création collective pour un corps collectif, et pourtant tout est parti de l’expérience individuelle – et largement domestique – de chacun.e des interprètes pendant le confinement. Josette Baïz leur avait transmis un questionnaire leur demandant si cette période contrainte générait chez elles ou eux « des désordres, des pertes de repères ou des remises en question ». En accompagnement de ces questions, la proposition était d’imaginer du matériau chorégraphique, idées transmises aux autres pour se les approprier en visioconférence. 

Ces échanges, en soi une forme de résistance et de préparation à un rebondissement, ont ensuite donné lieu à des mini-créations, affinées et organisées par Josette Baïz pour nouer un fil narratif, une dramaturgie conséquente et un lien avec la mythologie, mais aussi avec trois auteurs majeurs du passé, à savoir Artaud, Yeats et Rilke, qui ont écrit, il y a un siècle, au sujet de la tristesse, de sa nécessaire acceptation et de la résurrection. Leurs pensées ponctuent ce manifeste des corps en train de retrouver la vie. 

Solaire mais solitaire

Le paradoxe de Phœnix, dans sa référence à l’oiseau mythique, créature solaire mais par définition unique et solitaire (il n’y en a jamais deux en même temps), réside alors dans les unissons qui dominent cette création, tout en laissant chaque personnalité exister dans l’expression de ses émotions personnelles. En état d’alerte maximale, les corps semblent vouloir partir dans tous les sens, le buste prenant le chemin opposé des jambes, de la tête, des bras… 

Cette cinétique surréelle est le fruit de la rencontre des interprètes avec la technique Gaga d’Ohad Naharin lors de la reprise de Kamuyot, transmise à Grenade en 2019 et créée à Chaillot-Théâtre national de la danse [lire notre critique]. Aussi les interprètes de Phœnix  n’exécutent pas des mouvements, mais se fondent en eux à corps perdu, se laissant dévorer par leur propre danse sans jamais perdre de vue ô combien un mental et une vie structurés – et donc une cohérence chorégraphique – sont indispensables à l’espérance. 

Galerie photo © Olga Putz

Un chœur fait d’individus

Dans un chœur antique et tragique, l’adresse au public, aux dieux etc. est collective et exprime ce que la communauté entière redoute et endure. A l’heure de la levée du confinement, nos solitudes contemporaines trouvent ici leur convergence, mais leur mémoire est encore vécue individuellement et continue à résonner dans les corps des interprètes comme dans l’esprit de nous tous. Aussi, si Phœnix  parle de désir partagé d’envol et de fête, c’est surtout la longue absence de communion dans nos vies qui mène le bal dans une ardeur rarement sentie avec autant d’acuité sur un plateau. L’effet est une fusion inattendue entre les interprètes et le public où la profondeur et l’authenticité de l’engagement font passer le courant.  Car il reste sans doute quelque chose chez les interprètes qui prolonge l’expérience de Kamuyot, où l’échange avec le public est un principe fondateur. 

Si on a vu beaucoup de chorégraphes au cours de ces dix dernières années, créer à partir de danses sociales ou de traditions de communautés diverses, du twerk à la tarentelle, renouant ainsi avec les rites perdus dans nos sociétés, on reste généralement loin d’une implication véritable du public qui ne partage pas les racines et traditions évoquées. Le public de Phœnix, au contraire, capte immédiatement les signaux, puisqu’il a fait l’expérience de la même situation, qu’il a vécu les mêmes interrogations ou troubles, et ressenti le même désir de renouer avec l’intensité de la vie. Sur le plateau, l’envol final scelle une renaissance collective, dans un mouvement des bras simple, intense et partagé, comme par un essaim d’oiseaux. 

Galerie photo © L.Ballani

Grenade : Et bientôt, les 30 ans ! 

Si Phœnix est la création phare des célébrations consacrées aux trente ans de Grenade, sa symbolique n’est pas autoréférentielle. Car la structure à deux ailes créée par Josette Baïz (Groupe et Compagnie Grenade) n’a jamais eu à se relever de ses cendres et a pris son envol il y a longtemps. Le passage de génération en génération de danseurs pourrait même ressembler à un long fleuve tranquille. Une illusion d’optique ? On en saura plus dans le livre-anniversaire à paraître en 2022 qui retrace cette aventure unique, et par un film qui est en train d’être réalisé. 

Mais tout n’est pas pareil, entre aujourd’hui et les débuts. Si les enfants rentrent toujours aussi jeunes dans l’univers du Groupe Grenade, leur perception du monde a bien changé au cours des trois décennies. Pour évoquer les trente ans et le renouvellement, chaque représentation de Phœnix  est entourée de deux projections vidéo. La première, diffusée avent le spectacle, montre la génération initiale, ces Aïda Boudrigha, Sinath Ouk et tant d’autres qui, malgré le temps passé, y montrent qu’iels sont toujours en pleine forme. Et à la sortie, on peut voir les plus jeunes membres actuel.le.s dans leur approche encore naïve du mouvement dansé. Certain.e.s passeront sans doute leurs vingt prochaines années au sein de Grenade…

Thomas Hahn

Vu le 16 novembre 2021, Miramas, Théâtre La Colonne

Direction artistique : Josette Baïz

Chorégraphie : Josette Baïz et les danseurs
Interprètes : Amélie Berhault, Angélique Blasco, Maxime Bordessoules, Camille Cortez, Lola Kervroedan, Yam Omer, Geoffrey Piberne, Victoria Pignato, Rémy Rodriguez, Océane Rosier, Ojan Sadat Kyaee, Anthony Velay

Création lumière : Erwann Collet
Création musique : Pauline Parneix
Création clips vidéo : Julie Yousef et Cyril Limousin
Costumes : Claudine Ginestet

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