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Festival Kalypso : Entretien avec Grichka Caruge et Jekyde
Le Krump est dans l’actualité. Après son apparition inattendue dans Les Indes Galantes à l’Opéra, on le retrouve à l’état pur au festival Kalypso qui fait suite à Karavel.
La Carte Blanche mettra cette année sur le devant de la scène Grichka Caruge et Jekyde, figures actuelles du krump, une danse fascinante, exutoire et libératrice, représentant la vie et toute sa jouissance.
Danser Canal Historique : Comment êtes-vous arrivé(e) personnellement au Krump ?
Grichka Caruge : Via le film Rize de David LaChapelle. Après être allé le voir cinq fois au cinéma ! Je suis parti six mois à sa source, Los Angeles, pour y rencontrer les acteurs du mouvement.
Jekyde : J'ai commencé la danse il y a de cela 15 ans avec le popping et le hip hop. Je regardais beaucoup de vidéos pour ensuite m'entraîner et un jour, en 2009, je tombe sur une vidéo de Krump que je ne connaissais pas du tout à l'époque. Ça m'a marquée et beaucoup intéressée, du coup j'ai voulu en savoir plus sur cette danse. J'ai fait des recherches, j'ai regardé le film-documentaire Rize, j'ai continué à regarder et ça y est je voulais faire ça ! Avec une de mes meilleures amies, on a commencé à s'entraîner puis on s'est mises à la quête de krumpers sur Lyon car on se disait que c'était impossible qu'il n'y en ai pas ici ! Le plus drôle c'est qu'on les a trouvés à l'opéra alors même qu'on s'entraînait là-bas mais pas au même moment. C'est là que j'ai rencontré mon Big (mentor) Gael Saint Aimé aka Marvelous, pionner du Krump à Lyon. Et depuis je suis dedans !
DCH : Ce film de 2005 a fait de cette danse un phénomène international, ce qui n’a pas été le cas du Clowning, également présenté dans ce long métrage. Selon vous pourquoi ?
Grichka Caruge : Le mouvement Krump a donné naissance à une série de DVD intitulée How to Krump, présentée par l'un de ses fondateurs, Tight Eyez, qui a continué à faire évoluer le mouvement par ce moyen et favorisé sa transmission claire hors des frontières américaines. Cela a permis d'entretenir l'activité et la vie du krump dans la rue aux États-Unis ; à l’international, cela a aidé les gens à créer leurs propres mouvements. Il y a dans le krump un élan spirituel et une énergie plus brute, plus combative qui sont les bases d’un message universel.
Jekyde : Ça c'est une très bonne question ! Si je devais y réfléchir, peut être que c'est le fait que le Krump soit dans la rue d'une façon différente du Clowning. Le Krump a des similitudes avec le hip hop dans son histoire, son environnement, ce que les gens ont voulu raconter. C'est peut-être ça qui a fait que les gens se sont assez vite identifiés au Krump plutôt qu'au Clowing. Mais le Clowing est très présent aux USA et on voit de plus en plus de danseurs sur les réseaux sociaux. Donc ça ne m'étonnerait pas qu'il monte aussi en popularité dans le monde d'ici peu.
DCH : Comment distingueriez-vous le Krump des autres disciplines regroupées dans la catégore « danses urbaines », du Hip-Hop en général, voire du Voguing qui fait un retour assez étonnant aujourd’hui en France ?
Grichka Caruge : Le Krump est proche du voguing dans son organisation communautaire : avec la Fam qui est l’équivalent de la House de ce mouvement. Je dirais aussi que pour le krumper, comme pour le danseur de voguing, il y a ce même besoin, selon moi, fondamental d'exprimer son caractère. Le krump se distingue par son ardeur, sa forme brute et les intentions qui déterminent le mouvement. Le krumper ne cherchera pas à reproduire le son mais à le vivre, à l'interpréter. D'où une musicalité différente des autres danses « Hip-Hop ». On est sur l’émotion avant tout. La beauté du mouvement résidant dans la sensibilité et l'histoire personnelle du krumper.
Jekyde : Je pense que chaque danse, notamment celles qui sont nées dans un contexte similaire au Hip Hop ou au Krump, est très authentique dans son essence même. Par leur histoire et leur culture respectives, mais surtout par le ressenti et l'expression personnelle qu'elles demandent. On les compare souvent alors qu'elles sont presque incomparables. Elles se distinguent toutes les unes des autres tout en ayant des similitudes, et je pense que c'est ce qui fait qu'elles fonctionnent bien ensemble dans les événements notamment. Mais il ne faut pas oublier que chacune a sa propre histoire, sa communauté, son langage. Ce sont des sous cultures d'une même culture je dirais.
On parle beaucoup du Krump aujourd'hui car c'est une danse qui est encore jeune et que le grand public ne connaît pas ou ne comprend pas encore vraiment. C'est nouveau donc ça attire et ça intrigue. Le voguing n'est pas une danse de la culture Hip Hop, elle n'est pas née de la même manière et n'a pas le même historique, ni le même milieu. Je ne pourrais parler à la place de quelqu'un qui fait partie de ce mouvement. Tout ce que je peux dire avec mon regard extérieur c'est que j'ai l'impression que la lumière qui est mise sur le voguing en ce moment est apparue à peu près en même temps que l'acceptation et la visibilité de la communauté gay et LGBT prend de l'ampleur. Et c'est une très bonne chose
DCH : Quelles sont, en dehors de vous, et selon vous, les grandes figures actuelles du Krump, en France et à l’étranger ?
Grichka Caruge : Il y a différents types de figures. Certains se donnent à fond dans l'organisation de rassemblements internationaux :Slam pour la Russie, Wavepour l'Allemagne, Twiggz pour le Japon. En France Il y a aussi beaucoup d'activistes qui organisent de plus petits Events, voire des Street Sessions qui sont pourtant indispensables à la vie du Krump. On a FCD KRUMP (qui est aussi un média krump), qui organise des eventsen ligne, Wrestler, le collectif X2Buck... Parmi les danseurs il y a Sniper, NoScript, Jr Sniper, Flipside, Wolf, Cyborg, Jamsy, etc. Aux États-Unis, il y a toujours Tight Eyez et Mijo, les deux fondateurs, qui restent très actifs. Mais également Konkrete, Bdash, Beast...
Jekyde : Il y en a tellement ! Évidemment il faut citer aux USA, Tight Eyez et Mijo qui sont les créateurs du Krump. Jusqu'à aujourd'hui ils sont des figures emblématiques et actives du mouvement Krump. Pour la France et l'étranger, il y en a énormément. Certains sont très connus, d'autres moins mais cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas des piliers et des figures importantes dans le mouvement Krump. Donc je choisis le Joker pour cette question !
DCH : Pouvez-vous nous dire un mot de la technique du krump tel que vous le pratiquez ?
Grichka Caruge : Le krump c'est pour moi comme le souvenir d'un grand nombre de techniques. Celles des danses traditionnelles africaines, du classique, du contemporain, du hip-hop, mais avec ses propres bases et codes.
Jekyde ; J'ai appris le Krump grâce à mon mentor, ma Fam, le labb (l'entraînement), les stages et encore le labb ! En termes de technique ce que je peux dire c'est qu'on travaille toujours les bases. Même après 10 ans on les améliore, on les perfectionne et on les diversifie, encore et encore. Lorsque je labb, je commence toujours par faire un passage de bases pour me mettre dedans correctement. Ensuite, je me concentre sur un élément à travailler durant tout l'entraînement. Et je finis par des passages pour mettre en pratique ce que j'ai travaillé. Pour moi, le Krump est un bon équilibre entre le relâché/contrôlé et le ressenti. Dans mon style, je fais beaucoup de storytelling qui est un élément très présent dans le Krump. J'aime pouvoir raconter des histoires et plonger le public dans mon univers.
DCH : Que pensez-vous de la légitimation (certains parlent même de récupération) du Krump par l’institution? On pense notamment à la collaboration de Bintou Dembelé aux Indes galantes dans une récente production de l’Opéra de Paris ?
Grichka Caruge : C’est aux krumpers qu’il revient de donner le ton et se former, en temps voulu et chacun à son rythme, à la scène et aux autres sphères artistiques où le krump peut évoluer. Je ne pense pas qu'il y ait eu récupération avec le projet vidéo des Indes Galantes de Clément Cogitore que j’ai d'ailleurs chorégraphié avec Bintou et Brahim Rachiki. Le projet scénique, lui, n'avait rien à voir avec le krump, hormis que certains krumpers faisaient partie de la distribution parmi bien d'autres danseurs de styles différents. C'est bien évidemment aux institutions de se pencher et de se renseigner sur le mouvement en profondeur pour savoir qui en sont les vrais acteurs et activistes. Le Krump et les krumpers ont leur rythme. On arrive et on sait de quoi on parle. Mais personne d'autre ne pourra le dire à notre place car nous, seulement nous, vivons le mouvement quotidiennement depuis quinze ans maintenant. Nous savons mieux ce que doit dire le krump et de quelle façon il doit le dire, bien que cela soit encore de la découverte pour tous. Car nous sommes aux débuts du krump sur scène. J'encourage les krumpers à tenir leur position et à s'exprimer authentiquement en krump sans se laisser dénaturer par des visions extérieures qui auraient tendance à travestir notre art. Encore une fois, il s'agit de trouver l'équilibre : s'ouvrir, bouger mais sans défigurer.
Jekyde : Ce qui très souvent dérangeant avec certaines institutions c'est qu'elles veulent intégrer le Krump dans leur programme ou dans des projets mais sous certaines conditions.Et la plupart du temps, ces conditions dénaturent la danse pour la faire rentrer dans la case prévue pour elle. Je répète très souvent que l'on peut s'adapter mais surtout pas dénaturer. Si on veut du Krump, il faut prendre la danse et tout ce qui va avec. Certes on peut discuter pour adapter certaines choses au contexte mais s'il faut changer l'essence même de la danse... je ne vois pas pourquoi on veut du Krump alors. C'est comme vouloir une tarte au citron mais sans citrons. Ça n'aura pas le même goût !
DCH : Grichka, vous êtes le pionnier du Krump en France, Nach fait partie de ce que vous appelez la seconde génération, et Doria de la troisième. Quelle évolution stylistique avez-vous observée depuis les débuts du Krump dans l’hexagone ?
Grichka Caruge : Les bases du krump sont solides et complètes. Il n'y a plus rien à ajouter ni à la danse ni à son fonctionnement. Seulement à en approfondir la maîtrise. Le krump a eu ses tendances plus « techniques », robotiques à une certaine période. L’internet et les réseaux ont fait que certains ont voulu reproduire à l’identique des meilleurs. La rigueur du krump dans son fonctionnement et dans son état d'esprit garantit une belle transmission et, surtout, la préservation de l'essence de cette danse. Le mouvement saura bien te rappeler si tu dévies. Dans la rue, le mouvement ne pourra mentir !
Jekyde : Le langage Krump s'enrichit depuis qu'il est apparu et ne cesse d'évoluer. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait une différence stylistique significative d'une génération à l'autre. Tout simplement parce que le Krump évolue quasiment en même temps partout et touche tous les danseurs déjà dans le mouvement. Que le/la danseur/euse ait commencé aujourd'hui ou il y a 15 ans. On peut observer des différences de style par rapport la zone géographique et aussi propre à chaque danseur/euse. Certains sont plus dans le ressenti, d'autres dans les combo (construction), etc. Comme la danse est encore jeune et qu'elle n'a pas encore atteint son pic de popularité qui ferait que les krumpers soient extrêmement nombreux, c'est probablement la raison pour laquelle elle évolue de manière homogène.
DCH : Comment Mourad Merzouki en est-il venu à vous programmer ?
Grichka Caruge : Pour moi, Mourad a toujours soutenu le krump sur scène, et je l'en remercie. Je pense que sa sensibilité et son écoute sont juste sur le timingdu Krump. Le krump et les krumpers sont prêts pour être présentés sur scène. Mourad Merzouki les met donc en lumière.
Jekyde : Nach et Grichka ont déjà eu l'occasion de travailler avec Mourad Merzouki sur le festival Karavel ou en collaboration avec la Maison de la Danse. Quant à moi, je travaille depuis quelques années avec Pole Pik et Pôle en Scènes. Je donne des cours, des stages, organise des événements et participe également à certains spectacles. Je fais partie du mouvement Krump à Lyon en tant que danseuse et aussi en tant que membre actif de celui-ci. Je pense que c'était donc dans une continuité que de nous proposer à tous les trois de réaliser ces cartes blanches sous le signe du Krump. On ne réalise pas ce qui ce passe avec ces événements, mais ce sont trois danseurs de générations différentes dans le Krump qui collaborent pour pouvoir faire vivre et découvrir cette danse à un public très diversifié. Ça a du sens, et pouvoir réaliser ces projets, cela a été une belle occasion pour le mouvement et pour nous.
Propos recueillis par Nicolas Villodre, le 3 novembre 2021.
Carte blanche Krump : 17 novembre 2021 à 19h30 - Maison des Arts de Créteil
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