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Femmes puissantes en Avignon

“7 Vies” de Nach, “La Trilogie des Contes Immoraux ” de Phia Ménard, “Sonoma” de Marcos Mauro mettent les femmes à l’honneur.

Signe des temps, le 75e festival d’Avignon aura plus que jamais mis à l’honneur les femmes. Et ce dans une quasi parité, qu’elles soient autrices, interprètes ou chorégraphes, comme s’en est félicité son directeur Olivier Py, lors de sa conférence de presse de clôture samedi 24 juillet. A cet égard, les derniers jours de la manifestation offraient une sorte de bouquet final, avec respectivement les spectacles de Nach, Phia Ménard et Marcos Mauro.

Le premier, présenté avec le soutien de la SACD dans le cadre des Vive le Sujet au jardin de la Vierge du Lycée Saint Joseph, mettait en valeur l’extraordinaire plasticité du corps de son autrice et interprète. Issue du Krump, découverte dans le magnifique Éloge du puissant royaume d’Heddy Maalem et depuis 2017 à la tête de sa propre compagnie, Nach était accompagnée de l’artiste et chanteuse israélienne Ruth Rosenthal dans un deux en scène emprunt de bienveillante sororité.

Galerie photo © Laurent Philippe

Le thème de cette conversation gestuelle plus que dansée était précisément la puissance de la femme et son droit à disposer sans limites de son identité. Autrement dit, sa capacité à ne se laisser asservir par aucun discours ni aucune posture. Nach, capable de passer en un quart de seconde de l’attitude la plus guerrière à l’abandon le plus tendre, incarnait à merveille cette revendication, tout en manifestant un talent inattendu de meneuse de jeu. Sa partenaire alternait paroles scandées et chantées pour dire le récit des féminités en lutte. Au croisement de leurs disciplines respectives et malgré ça et là quelques baisses de rythme, l’ensemble constituait une proposition sincère et juste, de la part d’une artiste en devenir dont on se plaît à suivre les métamorphoses, et l’évolution. Une femme porteuse des combats de son époque, qui saura aussi sans doute, espérons-le, s’en affranchir pour explorer davantage encore sa propre singularité artistique.

Dans le cas de Phia Ménard, pareil vœu est superflu tant ses Contes Immoraux (pour Europe), creusent toujours plus avant, ou plus profond, un sillon esthétique singulier. La première partie de la trilogie, Maison Mère, avait été créée en 2017 à Kassel, en Allemagne, suite à une commande de la Documenta 14. Elle était ici reprise et enchaînée avec sa suite, Temple Père et son final – plus que sa troisième partie – La Rencontre Interdite, à l’Opéra Confluence. Soit trois heures au total d’une performance aussi insensée que splendide, qui témoigne combien sa créatrice possède au plus haut point l’art des métamorphoses, associé à celui de la mise en espace.

Galerie photo © Laurent Philippe

De la construction par une Athéna punk d’un Parthénon de carton (Maison Mère), au naufrage, au sens littéral du terme, de ce temple de la  civilisation, puis son remplacement par une cité-tour phallique, mi Babel mi Metropolis, dont on suit à nouveau pas à pas l’édification, jusqu’à l’anéantissement final de tant d’efforts, la metteuse en scène offre un tableau saisissant du présent et – craignons-le – du futur de nos civilisations si fragiles et mortelles. A chaque étape de ce processus prophétique, une femme est aux commandes, bâtisseuse héroïque des mythes fondateurs, puis dominatrice impitoyable au service du Grand Capital, et enfin kamikaze du No Future. Si la maîtresse SM qui commande aux quatre esclaves chargés d’élever jusqu’au ciel un ordre nouveau est interprétée par Inga Huld Hakonardottir, Phia Ménard incarne seule les deux autres personnages, y compris, s”agissant du second, dans le plus simple appareil. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Ces trois femmes puissantes, chacune à leur manière, disent-elles aussi combien l’ordre du monde désormais leur appartient, pour le meilleur comme pour le pire. La longueur de la pièce, qui se construit littéralement sous nos yeux pour mieux disparaître, est partie prenante des enjeux qu’elle soulève. Sommes-nous prêts à consacrer trois heures de notre temps pour contempler ce que, jusqu’ici, nos yeux n’ont pas voulu voir ? A chacun d’en juger, certain en tout cas d’être récompensé par des images d’une beauté fulgurante, qui impriment durablement la rétine.

Si Sonoma de Marcos Mauro, donné dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, suscitait chez le spectateur le même sentiment d’admiration plastique, la pièce du fondateur de La Veronal, s’avérait toutefois nettement moins dérangeante, et à vrai dire, un peu en deçà des attentes. Son titre de la pièce, néologisme forgé à partir de racines greco-romaine et en référence au comté californien du même nom, évoquait à la fois le vertige provoqué par l’accélération du présent et son exact inverse, le temps long du monde du songe dissimulé derrière nos quotidiens. Pour le retrouver, le chorégraphe espagnol est revenu à la source, cet Aragon où il est né comme avant lui son compatriote Luis Bunuel. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Puisant dans les traditions folkloriques de la ville de Calenda d’où était originaire le cinéaste, en particulier les battements de tambour et les rites accompagnant les célébrations du Vendredi Saint pendant les fêtes de Pâques, il a mis en scène un groupe de dix femmes, horde mouvante et envoûtante à la force tantôt contenue, tantôt explosive. Plus que la succession de tableaux – certains très beaux, d’autres plus attendus – dont on peine parfois à comprendre le sens, on demeure frappé par la puissance, une fois encore, dégagée par ce collectif soudé dans ses mouvements comme dans ses émotions. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Tour à tour pythies, sorcières, prêtresses et combattantes, témoins de temps très anciens et annonciatrices des combats à venir, tournoyant sur le plateau en longues robes de derviches tourneurs ou faisant corps, telles des pleureuses à la veillée, en de mystérieux conciliabules, les interprètes, toutes remarquables, sont l’avant-garde de cette révolution féminine que le chorégraphe, en un final martelé et jubilatoire, appelle de ses vœux. Leurs voix concluent sur une note vibrante, et engagée, un festival qui aura su naviguer au mieux entre contraintes sanitaires et annulations, pour que vive toujours plus haut l’esprit de création.

Spectacles vus à Avignon, dans le cadre du 75e Festival, les 24 et 25 juillet 2021.

Isabelle Calabre 

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