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« Pour » de Daina Ashbee
En proposant cinq pièces de Daina Ashbee, le festival Montpellier Danse permet de façon tout-à-fait inédite de découvrir les lignes de force et la cohérence interne de la démarche créative d'une artiste dont l'univers se révèle particulièrement singulier.
Deux ans après Unrelated (lire notre critique) qui l'imposait sur la scène chorégraphique, Daina Ashbee, creusait un peu plus encore le sillon. Même radicalité formelle à la limite de l'ascétique, même maîtrise des moyens scéniques, même préoccupation intense du corps des femmes… Pour, sincère dans son approche jusqu'à en être cru, représente une manière d'apogée du cycle d'œuvres qui a imposé son autrice.
Cette fois, cela commence au noir, par de grands cris. Et dans la pénombre, sur le sol blanc, rapidement l'œil distingue un corps qui s'agite. La lumière fait jaillir de l'ombre cette femme à moitié nue qui entreprend un déshabillage contrarié. Il faudra un peu de temps pour que la danseuse soit entièrement nue. Pour l'heure, elle garde un pantalon dont elle a affecté de déboutonner la ceinture dans un geste de trouble exhibition et finit par s'allonger. Belle image mais bref répit : de borborygmes en postures à quatre pattes, Pour replonge le spectateur dans l'ombre, il est peu fréquent que la chorégraphe use du noir salle, ce qui accroit la sensation dérangeante d'être voyeur et troublé devant la chair.
Plus sombre – au sens propre, et même avant le noir salle, la lumière n'a pas la crudité clinique que pour d'autres des créations de l'autrice – et inaugurant un rapport plus dramatique au son, ce solo radical suit l'interprète dans le lent apprivoisement de ce que le charnel possède de plus féminin. Certes, les menstrues, la chorégraphe affirme en avoir fait le « point central de son intérêt tout au long du développement de son œuvre », mais plus largement, les fluides, ainsi cette huile qui exsude du sol, oignant le corps d'Irene Martinez au fil de la pièce, les bruits de succions sensuels qu'ils suscitent, les rythmes répétitifs des chairs heurtant le sol qui évoquent ceux du coït, et jusqu'à ces poses qui, parce qu'il s'agit d'une femme, deviennent provoquantes comme ces roulades lentes exposant le plus intime de l'interprète.
La composition gestuelle et la répétition, jusqu'à l'épuisement, des fesses frappant le sol, des cris, des pas chassés lents le long du front de scène poussent l'interprète et le spectateur dans ses retranchements comme pour affirmer que tout de ce corps de femme, dans l'ahan et l'arc hystérique, dans la fatigue et les cheveux collés au visage, fait femme. Et l'on peut songer à Georges Brassens qui affirmait : « Tout est bon chez elle, y a rien a jeter / Sur l'île déserte, il faut tout emporter ». Mais Pour, dans son approche débarrassée de tout sentimentalisme, ne prête guère au romantisme ! Cette affirmation de la fierté du corps des femmes via ce qui d'usage se cache n'en possède que plus de force.
Philippe Verrièle
Vu au festival Montpellier Danse le 1er juillet 2021
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