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« Arte flamenco 2021 : un festival Farruquito »
Farruquito, le petit-fils prodigue et prodige du grand Farruco, fêtera son anniversaire le jour de l’Assomption. Selon nous, il l’a célébré avec près d’un mois d’avance avec brio au festival de Mont-de-Marsan.
Plus jeune que Galván d’une dizaine d’années, Farruquito est de la même trempe, pour ne pas dire du même niveau, tant les styles de l’un et de l’autre de ces enfants de la balle issus du même terreau sévillan sont, de nos jours, difficilement comparables. On connaît mieux en France Galván, qui n’a plus besoin de prénom pour se présenter, ayant estompé celui du père et de la sœur, qui fait une carrière « à l’international », comme on dit de nos jours et qui est programmé annuellement, rituellement, par le Théâtre de la Ville. On sait les affres du second, les titres de la presse à sensation l’ayant atteint plus que sa condamnation pénale après un fait divers il y a plus de quinze ans déjà. Malgré sa réputation fantasque, certains connaisseurs, dont une amie cinéaste, Jana Boková, lui gardent toute leur admiration, lui vouent un véritable culte.
Sur l’immense plateau de la place de taureaux landaise, son talent a éclaté de manière spectaculaire, dès son apparition, au milieu de la prestation du cantaor El Pele, un vieux briscard cordouan qui l’a chaleureusement accueilli, adoubé illico presto, improvisé à sa suggestion un pas de deux joyeux et miroitant. Par la suite, après avoir changé de veste, et troqué le clinquant de l’une pour le chic moins voyant de l’autre, Farruquito a réussi à mettre debout le chanteur Jesús Méndez calé dans sa chaise, comme les poètes qui interprétaient musicalement les textes sacrés de l’Inde. Non seulement, celui-ci a alors esquissé quelques pas, mais, au finale du spectacle, il a montré sa technique en matière de bulería.
À la finesse stylistique héritée de Farruco, le danseur ajoute ses propres qualités, sa présence sur scène, un événement en tant que tel, une vitesse d’exécution rarement atteinte dans sa discipline, une intensité époustouflante, la capacité d’en surprendre plus d’un, à commencer par ses partenaires de jeu, une inventivité à jet continu. Paradoxalement, cette singularité trouve à s’exprimer à l’intérieur d’un art pourtant très codé. Comme si, nécessité faisant loi, la manière dépendait autant de ces contraintes que du fait du prince ou du créateur divin qu’est censé être tout artiste.
Ses gestes sont des leurres, destinés à capter les regards ou, du moins, à prendre le spectateur de court avant de continuer à le fasciner. Son regard perçant, quasiment hypnotique, à ces moments, ne trompe pas. Il s’accompagne d’un rictus qui découvre ses canines de fauve. La sorcellerie n’est pas loin. Ici, le danseur n’a d’autre animal à dompter que lui-même. Nous quittons le spectacle, l’entertainment, le tablao pour touristes et sommes transportés ailleurs, dans le monde des sorts, les profondeurs de l’âme, les chimères de la raison.
Farruquito entame ses variations par une lente déambulation, tournant le dos à l’assistance, sans l’ignorer pourtant, il marque le compás des pieds et des mains, rompt net le paseo, se braque soudainement, change de direction sinon d’idée, écarte les bras comme interloqué, attend d’être motivé par un accompagnement musical ou une pensée volante, semble se découvrir danseur, transposé à une autre époque. Il sourit franchement, pose pour la galerie, lève le bras, délie finement les doigts de sa main droite, déboutonne son veston un peu trop étroit, amplifie ses gestes pour les rendre perceptibles du plus loin, attrape le tournis, accélère le tempo avant de délivrer son taconeo.
Nicolas Villodre
Vu le 2 juillet 2021 aux arènes du Plumaçon, à Mont-de-Marsan, dans le cadre du festival Arte flamenco.
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