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Biennale de Lyon : Création de « IE [famille] » de Cécile Laloy
Premier spectacle de la Biennale 2021, IE agite le bocal familial. Une fête hantée et vertigineuse.
« Qui croit encore aux fantômes ? Comment faire renaître ces ancêtres ? Pourquoi pas une farandole de morts et de vivants », demande Cécile Laloy. IE est une histoire de famille où la fête qui se prépare est hantée par d’étranges convives, incarnant les histoires du passé, ces fameux non-dits familiaux qui créent de néfastes interférences, de génération en génération. IE,à prononcer [ié], est un terme japonais qui englobe les notions de foyer et de famille, ce qui inclut, au Japon, les générations passées et futures. D’où une certaine proximité entre IE et le théâtre Nô.
Rares sont les familles où personne ne s’est illustré, un jour, par des actes ou des attitudes scrupuleusement effacés de la saga officielle. Le sujet est parfait pour Cécile Laloy qui cultive, de création en création, un savant mélange des genres, entre danse, théâtre et geste, décortiquant les failles dans nos relations à l’autre. Avec IE,elle termine une résidence à la Comédie de Saint-Etienne en réunissant sur le plateau une famille qui vit toutes les réjouissances et vicissitudes terrestres : repas de fête, rivalités, jalousies, jeux de séduction et de pouvoir…
Et on comprend qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du patriarche , incarné par Jean-Antoine Bigot (le cofondateur de la compagnie Ex-Nihilo de Marseille). Cécile Laloy envoie alors une farandole de turbulences féminines pour secouer l’édifice, bâti sur les amnésies volontaires. La première ne s’exprime qu’en langue des signes, est à la fois familière aux autres et un miroir déformant, un wormhole qui permet de passer à un autre monde, un autre état de conscience. « Interprète en langue des signes » selon la distribution, Emmanuelle Keruzoré n’est pas sur le plateau pour traduire la pièce à un public malentendant, mais pour capter et retransmettre les états intérieurs et les non-dits au sein du cercle familial.
Le vrai fantôme, c’est Marie Urvoy, dans sa robe blanche, les longs cheveux noirs tourbillonnant au gré de sublimes solos, dansés hors du temps et hors sol. Sous sa présence énigmatique et son énergie de revenante, la table de banquet – sous laquelle on avait plus tôt caché (le fantôme de) la mariée – s’effondre et un torrent de plâtre se déverse sur le plateau. Chacun.e libère alors sa part sauvage et son animalité. Même le faisan n’est plus à déguster, mais sert de couvre-chef et fait voler en éclats le sérieux de la photo de famille. A chaque round de réincarnation, l’image rituelle se dilate un peu plus, révélant une histoire tourmentée.
Galerie photo © Damien Brailly
Les générations ainsi réunies voulaient pourtant célébrer (au moins) une des cérémonies qui ponctuent la vie, le mariage étant aussi présent que l’enterrement, un anniversaire ou un noël particulier, qui sait... L’ambiance se veut festive, mais le musicien (Damien Grange) joue et chante surtout du blues, dans une belle ambiguïté émotionnelle. Epoques et souvenirs se mélangent, jusqu’à l’effondrement.
Alors, sommes-nous vraiment faits pour la vie familiale ? Jusqu’à un certain point du spectacle, l’effet miroir opère parfaitement. C’est pertinent, et même glaçant. Chacun.e se projettera aisément sur les personnages, leurs caractères, les rapports entre les uns et les autres et leurs petits fantasmes. Et si la tribu doit passer par un cataclysme, les arts convoqués sur scène – danse, théâtre et geste – montrent qu’ils forment une famille harmonieuse.
Et puis, arrive le moment où la scène bascule vers un shamanisme déchaîné. Les démons intérieurs prennent le pouvoir absolu et les reflets se brouillent sous une démonstration qui remplace le suspense par la frénésie. Le foyer artistique se brise, mais il faut bien admettre que l’équilibre n’est pas facile à trouver quand l’institution familiale est ainsi bouleversée.
Thomas Hahn
19e Biennale de la Danse de Lyon
Spectacle vu le 26 mai , La Comédie, Saint-Etienne
Conception et chorégraphie Cécile Laloy
Interprètes Joan Vercoutere, Saëns Dubreuil, Marie Urvoy, Jean-Antoine Bigot
Interprète en langue des signes Emmanuelle Keruzoré
Musique et chant Damien Grange
Regard extérieur et aide Florence Girardon
Lumières Johanna Moaligou
Son Pierre Lemerle
Régie générale Fred Soria
Costumes Marion Clément
Céramiste Angélique Faget
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