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Amala Dianor crée « Point zéro »
À la Maison de la Danse, Amala Dianor retrouve la scène pour un trio comme au premier jour (ou presque).
Revenir à la case « Départ », au Point zéro, revivre les sensations d’une relation originelle, est-ce possible en danse ? Une décennie plus tard (voire plus), les parcours des un.e.s et des autres se sont enrichis, les corps et les esprits ont évolué. C’est justement ce qui fait la richesse de retrouvailles comme aujourd’hui entre Amala Dianor, Johanna Faye et Mathias Rassin.
Point zéro est fait pour célébrer cela : des retrouvailles. Entre Amala Dianor et la scène, pour commencer par là. Depuis 2014 et la création de Fénène, il ne s’était plus distribué dans une pièce aux côtés d’autres danseurs. L’idée lui est venue pendant le premier confinement : retrouver, dès que possible, Johanna et Mathias pour danser de nouveau ensemble. Aujourd’hui que Point zéro existe, le rôle de la pièce est aussi de redonner au public, dès que possible, le plaisir de partager l’espace d’une salle avec des artistes chorégraphiques, le temps de retrouver le plaisir de sentir leur énergie et leur humanité.
Une rage glacée
Point zéro est une pièce sans prétentions, plaçant la danse elle-même au centre de toutes les attentions. Elle arrive sur le plateau en état de confinement, muselée, masquée, immobile, presque camouflée en des sortes de treillis militaires. Les trois vont finir par enlever leurs capuches et libérer leurs visages, leurs corps luttant contre la contrainte, en silence. Du pied, ils tapent un rythme binaire, les corps restant sous fortes tensions, se déchargeant en gestes krump, aussi explosives que contrôlées. On sent la rage sous-jacente, mais elle reste glacée.
Un quatrième acteur s’invite – la musique ! Awir Leon, fidèle frère d’esprit d’Emanuel Gat et d’Amala Dianor, surprend avec une partition électronique bucolique et très imagée, traversée de piano, castagnettes et autres échos imaginaires à des musiques écrites pour la danse, du romantisme à Debussy. Désormais, la danse est libre et légère, en droit de choisir elle-même sur quel pied et sur quels sons tournoyer. Car côté cour, se trouve une drôle de console verticale, une boîte à rythmes et à mélodies, alimentée en amont par Awir Leon. A tour de rôle, ils s’invitent à cet appareil inédit pour lancer des éléments musicaux et inviter leurs partenaires à danser.
Galerie photo © Romain Tissot
Costumes et flammes
Au fond, un autre élément, tout aussi simple et complexe à la fois : un baril, bientôt en flammes, après avoir reçu les survêtements des trois camarades. Bien entendu, l’acte de brûler les combinaisons tant détestées est purement symbolique, ouvrant la voie à la joie de danser, en simples sous-vêtements noirs. Par d’intenses dialogues, toutes tensions évacuées, on rentre dans un temps hors du temps, mis en scène par de poétiques clairs-obscurs, éclairés par les flammes qui maintenant consument, notre imaginaire à l’appui, les pantalons des trois amis.
Pourtant, ce scénario serait d’une banalité confondante, s’il n’était pas interprété par trois artistes d’exception. Amala Dianor n’a rien perdu de sa fluidité et la présence scénique de Johanna Faye n’a même pas besoin de mouvement pour s’imposer, mais en plus elle sait contraindre ou étendre chaque fibre de son corps d’une virtuosité qui ne connaît plus de genre. Le corps musculeux de Matthias Rassin joue à la centrale énergétique, mais sait articuler ses élans et suspendre ses bras à la manière d’un ballerino.
Sérénité, tranquillité, virtuosité technique et émotionnelle : Du début à la fin, on suit, sans perdre le fil, sans lassitude aucune, cette rencontre au sommet où la danse elle-même est célébrée en vedette. On dit, au théâtre, de certains grands acteurs qu’ils pourraient réciter le « Bottin », et pourtant on serait subjugué. C’est à cet endroit qu’il faut situer le nouveau trio signé Amala Dianor, endroit qu’on nommera : Point zéro.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 26 février 2021, Lyon, Maison de la Danse (représentation réservée aux professionnels)
Chorégraphie : Amala Dianor
Avec : Amala Dianor, Johanna Faye, Mathias Rassin
Assistant artistique : Alexandre Galopin
Musique : Awir Leon
Lumières, Régie générale : Nicolas Tallec
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