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Hommage à Patrick Dupond
Pour rendre hommage à ce danseur exceptionnel que fut Patrick Dupond, nous avons demandé à des témoins de sa carrière en quoi il fut si particulier, au delà des images de la société médiatique qui tendent à cacher la vérité d'un artiste important.
Même Le Canard enchaîné s'y met. Certes, c'est en avant dernière page, mais dans un petit dessin, Sous un bandeau « hommage à Patrick Dupond, le danseur étoile disparu » un Emmanuel Macron volant, porté par un Jean Castex, clame « maintenez-moi comme cela jusqu'en 2022 ». Quel autre danseur pourrait avoir les honneurs d'un tel détournement ? La renommé médiatique de Patrick Dupond se mesure à de tels détails. Le personnage dépassait les clivages habituels entre « culture populaire » et « culture savante », et le show-man (c'est Claude Bessy qui souligne cet aspect de sa personnalité) qu'il fut toujours avait trouvé avec la télévision un relais à son goût pour « les gens ». Cela explique naturellement le foisonnement des hommages, mais si, parmi ceux-ci, reviennent souvent ceux des témoins de ces aventures télévisuelles diverses, il importe de rappeler que Dupond fut danseur – et grand danseur – avant d'être star, même si ce fut une étoile-star (ce qui n'est pas un pléonasme).
Patrick Dupond, ce fut d'abord une variation du Corsaire totalement débridée et impossible à regarder sans être soulevé de son siège. Il emporta tout sur son passage quand il la présenta à Varna. Il fut aussi, dans Le Songe d'une nuit d'été de John Neumeier, un Puck hallucinant d'énergie et de fougue, courant sur le plateau de Garnier devenu soudain si petit qu'il semblait ne pas pouvoir contenir toute son énergie. Ce fut un Bouffon du Lac des cygnes – dans la version Bourmeister – absolument inoubliable. Ce fut aussi, avec une gueule d'Apollon un peu canaille à faire tomber toute les Giselle, un Albrecht qui, pour n'être pas grand-siècle (mais un noble de ce moyen-âge là ne se tenait pas nécessairement le petit doigt en l'air avec un air pincé digne de Louis XIV) était, dans le second acte, bouleversant d'émotion.
Sur une scène, avec Dupond, tout pouvait toujours arriver. Bondissant, d'un culot d'acier et d'un humour ravageur, il demandait à ses partenaires du répondant, mais, dans Push Comes To Shove de Twyla Tharp (ballet créé initialement pour Barychnikov), cela pouvait être un plaisir d'anthologie. Comme le dit Jean-Marie Didière, sans doute celui qui a le mieux connu ce « Dupondanseur » : « dès qu'il entrait sur une scène, il fallait qu'il se passe quelque chose ». Dans la nuée confuse des hommages, il nous a semblé important de rappeler ce petit détail insignifiant sans doute au regard de la machine télévisuelle, mais essentiel, c'est un immense danseur qui s'en est allé.
Nous avons donc été demander à des témoins de sa carrière de danseur ce que fut ce fameux « Dupondanseur » au delà des images de la société médiatique qui tendent à cacher la vérité d'un artiste important.
Claude Bessy
A tout seigneur tout honneur, certes… Mais non pas parce que Claude Bessy dirige l'école de danse de l'Opéra de Paris – elle en prend la direction en 1970 – dont le jeune garçon est déjà l'élève mais surtout parce qu'il y a quelque chose de très beau à penser que cette figure de l'exigence absolue et de la rigueur fut aussi celle qui a protégé ce lutin toujours en délicatesse avec les règles. « Il était complètement fou-fou, plein d'esprit et de vivacité. On sentait immédiatement qu'il avait une personnalité et qu'il en ferait quelque chose. Je ne savais pas quoi, mais c'était évident. C'est comme Marie-Claude [Pietragalla], on sentait tout de suite la personnalité. On ne sent pas le talent, mais la personne » ; elle ajoute « mon premier souvenir de Patrick c'est suite à une invitation de Max Bozzoni à venir voir un spectacle de fin d'année. Là je découvre un gamin de dix ans à l'aplomb incroyable et qui a présenté tout le spectacle en faisant le show. »
Et Claude Bessy, un an avant de prendre la direction de l'école, va accepter d'être la Petite-mère du lutin : « je réglais quelques problèmes de discipline. Rien de grave, il n'était pas à l'heure au cours ou il en partait trop tôt, il était indiscipliné, mais charmeur et il finissait toujours par faire rire tout le monde. » Peut-être la grande dame se souvient-elle qu'elle-même, jeune, fut une indisciplinée à laquelle un caractère affirmé causa quelques désagréments…
Même le fait d'arme le plus exceptionnel de Patrick Dupond fut une manière d'acte d'insubordination. Le temps de 1976 semble aujourd'hui bien loin quand le concours de Varna était dévolu à la mise en valeur des danseurs soviétiques. L'administration de l'Opéra de Paris n'avait guère montré d’enthousiasme à l'idée qu'un de ses membres s'y borne à jouer les utilités. Mais Patrick Dupond n'a cure de ses réserves. « Il était tellement exceptionnel. Max (Bozzoni) a tout misé là-dessus, mais pour lui [elle parle de Patrick] c'était normal. Il croyait vraiment qu'il n'y aurait pas de problème. » L'histoire a prouvé que le danseur avait raison, mais les souvenirs, en particulier ce qu'en racontait le critique André-Philippe Hersin qui était membre du jury, prouvent que les prestations (la compétition se déroulait en trois « rounds ») du danseur furent tellement exceptionnelles que même la géopolitique fut impuissante.
Si elle reste toute à sa réserve, Madame la Directrice est aussi la mieux placée pour parler de l'importance artistique du danseur et quand on lui demande de quels rôles elle garde un souvenir significatif : « je le revois dans les grands pas de deux, dans le Don Quichotte ; aussi dans les grands rôles de Béjart. Mais surtout, il s'appropriait tous les rôles de façon très personnelle. » Elle ajoute : « il a influencé tous les danseurs qui ont suivi » ; et elle complète « il a marqué l'époque en faisant descendre la danse dans la rue. Il y avait une foule hurlante qui l'attendait à la sortie. Mais lui n'en tirait pas gloire, c'était naturel. » Et après un silence. « Il n'était pas comme tout le monde ».
Brigitte Lefèvre
Son décès a été un choc. C’était un magnifique danseur, qui rayonnait d’une lumière intérieure sur scène où il donnait tout. Il avait une empathie incroyable avec le public, un charisme exceptionnel. Il avait un vrai don pour la danse. Il voulait toujours aller toujours plus haut que les autres, il ne se préparait pas toujours comme il aurait fallu, mais quand il était sur le plateau, il était entièrement lui-même et emportait avec lui tout le ballet.
Marie-Claude Pietragalla
La Pietra occupe une place à part dans la galaxie de « Dupondanse ». « Il était en première division quand je suis entrée à l'école. Nous avions quatre ans de différence. Nous les, élèves, avons suivi son ascension. On a beaucoup parlé de Varna. Il avait dix-sept ans ! Mais c'est quelqu'un qui s'est toujours mis des défis ». Elle va faire parti du fameux groupe Dupond et ses stars, petit ensemble de danseurs qui triompha, en particulier au Japon. Elle est nommé étoile en 1990 par le directeur du ballet de l'Opéra de l'époque : Patrick Dupond. Marie-Claude Pietragalla est aussi celle qui a le mieux suivi Patrick Dupond sur le terrain télévisuel et médiatique.
Mais c'est du danseur qu'elle garde les plus fortes émotions. « j'ai énormément de souvenirs. Le plus bouleversant : peut-être un gala à Garnier où il dansait Le Chant du compagnon errant de Maurice Béjart avec Rudolf Noureev. Pour nous c'était très clair qu'il se transmettait un flambeau. Mais je me souviens aussi de Patrick dans le Chat Botté (divertissement de La Belle au bois dormant), dans Etudes (1948, mais adapté pour l'opéra de Paris en 1952) ou dans Salomé [création pour Patrick de Maurice Béjart, 1985]. Il ne savait pas marquer. En répétition, c'était toujours à fond, avec une fougue invraisemblable. Il avait cette énergie naturelle dès qu'il montait sur scène. Mais il était aussi un acteur né et cette qualité-là dépassait même sa technique. […] Il avait un très grand instinct de la scène. Ce n'était pas quelqu'un qui intellectualisait mais il savait comment aborder un rôle. »
Marie-Claude Pietragalla a souvent dansé avec Patrick Dupond, les deux noms faisaient de belles affiches et leurs deux tempéraments, de grands moments : « Comme partenaire de scène, il ne ressemblait à personne mais il savait insuffler une flamme particulière. Il était comme né pour danser et je l'ai rarement connu avec le trac. Il était dans son élément sur scène et c'est là qu'il se livrait le plus. C'était quelqu'un de très vrai et qui ne trichait pas. » La danseuse souligne aussi combien, par exemple dans le fameux groupe de « stars » dont il faut souligner que nombre était encore en devenir, il pouvait être « bienveillant et attentif, très généreux. Il avait l'œil et le mot juste pour les autres et une analyse d'une très grande profondeur, même très jeune et même si ses démons le rattrapaient parfois. »
Mais Pietra est bien placée aussi pour parler du Dupond de la télé, celui qui comme elle, à fait le jury… Mais elle insiste pour que l'on regarde cette période avec hauteur de vue : « Patrick a démocratisé la danse en l'emmenant loin de l'académie. Il a montré, en tant que danseur classique, qu'il pouvait aussi être proche de tous, malgré les clichés. J'ai beaucoup d'amis qui m'on dit s'être sentis autorisés à devenir danseur grâce à Patrick, parce que lui l'assumait. C'est aussi grâce à tout ce qu'il a fait avec les médias que la jeune génération a compris que ceux-ci étaient le bon moyen pour faire reconnaître la danse. »
« C'était un artisan d'art passionné par la danse, résume la danseuse, il a porté son art très haut, mais toujours avec une grande bienveillance et en restant un peu un enfant. Je le vois toujours comme une sorte de Peter Pan, avec cette gravité profondément ancrée en lui et cette profondeur presque sombre va prendre une grande importance dans la seconde partie de sa vie. »
Eric Vu-An
Autre danseur, autre ambiance : Eric Vu-An, né en 1964 et entré à l'école en 1974, suit de près Patrick Dupond, d'autant que leur façon de danser se ressemblent. Sur le plateau, une même fougue, une énergie que rien n'arrête. Ils sont souvent distribués dans les mêmes rôles. « Nous n'étions vraiment pas des intimes » précise cependant Eric Vu-An, tout en reconnaissant que « nous avons dansé en parallèle mais avec cinq ans d'écart. Et en danse, c'est beaucoup. » Pourtant dès qu'on l'interroge, l'actuel directeur du ballet de l'opéra de Nice concède « personnellement j'était fasciné par lui. Il avait 16 ans, j'en avais 10 et sa personnalité extraordinaire montrait bien qu'il faisait les choses non par besoin de reconnaissance de ses pairs, mais parce qu'il en avait envie. Il a représenté ça pendant ses années fantastiques ! ».
S'il montre des réserves, en soulignant que « la personnalité de Patrick le conduisait à toujours penser que c'était les autres qui étaient en cause dans ce qu’il lui arrivait. Il ne se remettait pas en question, mais c'est cela qui permet de grandir ! » Eric Vu-An, quand on lui montre combien leur deux personnages de scène sont proches, analyse « il y avait chez lui un désir de défier. Je pense qu'il avait des combats à mener parce qu'il lui manquait la reconnaissance paternelle. » Sans doute la faille est à chercher là. Vu-An comme Dupond, ont tous deux été privés de figure paternelle et quand le premier dit du second « sa personnalité a été marqué par cette absence. Il lui a manqué la reconnaissance de la personne qui aurait été la plus importante pour lui » c'est aussi de lui qu'il parle et qui donne la meilleure définition de la carrière de Dupond en lâchant « on danse aussi en disant “vous allez m'aimer, que vous me respectiez ou pas”, et cela donne une énergie impossible. »
Elisabeth Cooper
Danseur, directeur de ballet, Patrick Dupond a aussi donné des cours. Ce n'était pas un grand professeur. Comme le souligne Jean-Marie Didière, « il aurait été un grand coach pour des étoiles, mais il n'avait pas assez de rigueur pour l'enseignement régulier. » Le cours de danse faisait regimber le show-man tapi sous le danseur et le premier prenait le pas sur le second en lui faisant un peu oublier les impératifs de l'enseignement. Cela pouvait être très drôle en particulier parce que l'accompagnait sa pianiste de cœur, Elisabeth Cooper. Une partenaire autant qu'une accompagnatrice. Les deux duettistes se livraient à un numéro irrésistible. On n'y apprenait pas forcément grand-chose, mais quel moment ! Il faut dire qu'Elisabeth Cooper entretenait une relation qui remontait à longtemps. Quand on la contacte, elle envoie un petit texte qui en dit long : « Passionnée depuis mon plus jeune âge par la danse classique, je fus engagée comme pianiste à l'Opéra National de Paris... Le petit "Rat" nommé Patrick Dupond s'avança vers moi et m'annonça: “Lorsque je serai célèbre, nous ferons le tour du monde ensemble.”. Après avoir été invités au Grand Échiquier de Jacques Chancel, nous avons créé le groupe “Dupond et ses Stars”, composé des plus grands danseurs français: Sylvie Guillem, Monique Loudières, Fanny Gaïda, Manuel Legris et Jean-Marie Didière. Patrick dirigeait le groupe et j'étais au piano.. Tournées triomphales dans le monde entier.. Ils sont des êtres qui restent à jamais gravés dans votre âme et dans votre mémoire. Patrick est reparti trop vite vers les étoiles mais demeurera à jamais éternel pour nous. »
Philippe Verrièle
Photo de Preview : Patrick Dupond dans Le Chant du compagnon errant (Maurice Béjart) © Laurent Philippe