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"Pneuma" de Carolyn Carlson

Un poésie-ballet pleine de souffle de Carolyn Carlson. Création mondiale pour le Ballet de l'Opéra National de Bordeaux.

On devrait appeler cela une Poésie-ballet. Un long poème d'une heure vingt, où les mots s'effacent devant les corps, où les phrases sont une partition musicale. Une poésie- ballet en plusieurs quatrains et une dualité de couleurs (le blanc et le noir) qui plongent le spectateur dans une sorte d'univers cosmique très étrange et très prenant.

"Pneuma" ©Sigrid Colomyes

On ne ressort pas complètement indemne de Pneuma, la nouvelle création que Carolyn Carlson vient d'offrir aux danseurs du Ballet de l'Opéra National de Bordeaux. Car la chorégraphe américaine, aidée en cela par la composition musicale qu'elle a demandée à Gavin Bryars lui-même,  a réussi à créer une envoutante atmosphère ininterrompue de « zénitude » , par une suite de tableaux qui s'égrenent tel un livre blanc où défilerait, à chaque page, de nouveaux « pop-up » dansant.

Sa source d'inspiration est connue : il s'agit de textes du philosophe Gaston Bachelard, dont Carlson a la politesse de nous en faire grâce sur scène. Chorégraphe elle est, et son travail consiste, justement, à mettre en mouvement les émotions surgies d'un texte, sans nécessairement avoir besoin de nous en faire lecture. Dans « L'air et les songes: essai sur l'imagination du Mouvement », Bachelard utilise l'un des quatre éléments comme  analyse visuelle de l'âme et de l'esprit; cela ne pouvait déplaire à une chorégraphe. Et d'autant moins à Carolyn Carlson, toujours habitée par les grands univers cosmiques, la beauté de la nature et la fluidité des corps.

"Pneuma" ©Sigrid Colomyes

Où sommes-nous dans Pneuma ? Nul ne sait. Dans un entre-deux improbable entre terre et ciel, là où les arbres volent et la lumière tombe au sol. Sol blanc virginal, où 22 danseurs prennent leur élan, et deviennent de véritables corps flottants, tantôt vêtus de blanc, tantôt vêtus de noir, dans des costumes magnifiquement simples et efficaces.

"Pneuma" ©Sigrid Colomyes

Tout est fluide, dans cette pièce, où la danse défile sans discontinuer. Garçons et filles alternent dans les entrées et les sorties, comme si les deux communautés restaient disjointes et ne se rejoignaient que pour de précieux moments de portés très réussis.. Les hommes, en pantalons-T-shirt-veste ou torse nu, la gestuelle très physique donnent l'image d'une confrérie encore enfantine, quand les filles sont déjà très féminines, à l'instar de ce tableau de danseuses en long déshabillé noir et cheveux aux vents, rappelant la belle silhouette de Carlson elle-même, mais aussi les danseuses de Pina Bausch. Il y a d'ailleurs du Tanztheater dans la configuration dansée de cette pièce, mais avec une rondeur du mouvement et une épure chorégraphique bien éloignées du sarcasme de la dame de Wuppertal. Mais comme Bausch, Carlson cultive le goût du travail du haut du corps, des bras  levés au ciel et des renversés. Comme Bausch, Carlson aime à convier la nature sur scène, limitée ici à quelques plans de paille et un arbre  montant et descendant des cintres.

"Pneuma" ©Sigrid Colomyes

Toute cette ode à la légèreté de corps bondissants est à peine dérangée par la présence d'une curieuse fée rescapée d'agapes terrestres et d'un inquiétant ange noir déplorant de ne pouvoir voler.  L'optimisme de Carlson l'Américaine déjà septuagénaire (!) nous permet d'envisager l'humain avec joliesse, mais de garder un œil vigilant sur quelques drames possibles...

"Pneuma" ©Sigrid Colomyes

Toute cette scénographie et cette chorégraphie très esthétiques pourraient sembler un peu désuètes et très années 70 (on est proche, par moment de la scénographie wilsonnienne  d'Einstein on the Beach dont on retrouve certaines citations comme les chaises obliques) si les danseurs du Ballet de Bordeaux dirigé par Charles Jude n'explosaient par une énergie dansante très actuelle. Les 24  danseurs -tous superbes- sont d'une grande homogénéité technique, et les lignes sont d'une pureté remarquable. Le tout, renforcé par un travail très minutieux des lumières et de la scénographie signées Rémi Nicolas, vieux compagnon de route de Josef Nadj, Bagouet  ou François Verret. Sans oublier , nec plus ultra, la commande passée à Gavin Bryars, un des grands  maîtres de la musique répétitive, hypnotisante et magnifiquement illustrée par  une version musique de chambre de  l'Orchestre National  Bordeaux Aquitaine dirigé avec délicatesse par Pieter-Jelle de Boer. Pneuma, littéralement « souffle de vie »  en grec ancien,malgré une petite longueur finale,  ne manque ni de souffle, ni de vie. Une œuvre salutaire qui nous gonfle les poumons et le coeur.

Ariane DOLLFUS

« Pneuma »Du 17 au 23 mars 2014. Grand-Théâtre de Bordeaux  Tél : 05 56 00 85 95

http://www.opera-bordeaux.com/

En tournée :  samedi 17 mai 2014 au Pôle culturel du Marsan à Saint-Pierre-du-Mont (40)   Tél : 05 58 03 72 10

Diffusion ultérieure sur Mezzo ainsi que sur le web, sur Culturebox.com, en différé le samedi 29 mars 2014 en prime (http://culturebox.francetvinfo.fr/pneuma-de-carolyn-carlson-en-premiere-mondiale-a-bordeaux-151449)

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