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« daté.e.s » de Pol Pi
Trois générations, trois univers et un dialogue sensible : Pol Pi poursuit sa quête de ce que nous sommes, secrètement.
Le triangle comme symbole, dans une configuration surprenante, sur le plateau du Grand studio du Centre National de la Danse : Trois gradins, disposés en tri-frontal, pour les trois interprètes de daté.e.s, issus de trois générations et trois approches de la danse. Le plus âgé : Jean-Christophe Paré, Premier danseur au Ballet de l’Opéra de Paris avant d'être un interprète engagé dans la création contemporaine autant qu’une grande figure de la danse baroque, est aujourd’hui de nouveau sur scène après un passage à la tête de grandes institutions... La plus jeune : Solen Athanassopoulos, danseuse de hip hop encore en début de carrière. Entre les deux, Pol Pi qui poursuit ici ses recherches sur nos archives personnelles, intimes et parfois subconscientes.
Archives et échanges
Les archives ! Chacun.e est dépositaire d’un cocktail de souvenirs actifs ou refoulés et d’influences dues aux événements historiques qui conditionnent sa vie, dès la plus tendre enfance. Chez l’artiste chorégraphique s’y ajoute une mémoire corporelle particulièrement vive. L'enjeu de daté.é.s est d'échanger autour de ces questions, alors qu’on appartient à trois générations et aussi à trois mondes de la danse très différents Un vieux magnétophone, comme Jean-Christophe Paré l’a encore connu, diffuse des bribes de conversations entre les trois, échangeant leurs souvenirs, leurs pensées intimes et leurs regards sur le temps et leurs pratiques chorégraphiques respectives.
Tout cela est mis en évidence dans l’aire de jeu triangulaire, à commencer par trois exposés chorégraphiques personnels où chacun.e (se) révèle (dans) sa grammaire personnelle du corps et du mouvement. Ce sont en fait, tout simplement, les exercices d’échauffement. Et justement, c’est à travers cette fusion très personnelle entre l’interprète et sa technique que se révèlent les sensibilités de chacun.e au plus près de soi.
Trois époques et leurs divas
Après cet acte premier, commence un jeu de transfert d’identité et d’identification, chacun.e va s’incarner, par des reflets de sa silhouette, dans une vedette de la scène : Fred Astaire, la diva brésilienne Elis Regina et Lauryn Hill, queen de la soul, des artistes qui avaient pignon sur rue, et sur scène, au moment de la naissance (respectivement en 1957, 1982 et 2001) des trois interprètes.
Jean-Christophe Paré, tout en clins d’œil à Fred Astaire, dans un costume en façade, par un jeu de pile et face entre l’interprète et son idole. Pol Pi, lui aussi scindé en deux par son costume, entre lui-même et une certaine idée d’une chanteuse en paillettes, vedette de la pop en son pays (le Brésil). Quant à Solen Athanassopoulos, elle négocie son rapport à Lauryn Hill surtout par la distorsion sonore. La bande magnétique diffuse leurs réflexions sur le temps et la liberté, leurs échanges chorégraphiques s’intensifient, ils touchent l’autre et sont touché.e.s dans l’âme.
Comme une histoire de la danse
daté.e.s se compose de danse, parole et costumes, sans hiérarchie aucune. La bande magnétique relate la tentative de Jean-Christophe Paré de prendre sa retraite (« C’est horrible, j’en suis revenu »). Pol Pi dévoile que chez lui, il n’écoute jamais de la musique, mais toujours des récits, de la parole… Sur le plateau, le courant passe, entre l’épure et le sourire énigmatique de Paré, la liberté d’invention de Pol Pi et l’énergie juvénile d’ Athanassopoulos. Mais le public aussi se trouve sur le plateau ! Assis au plus près du triangle de jeu, on est touché à son tour.
Les langages chorégraphiques et les corps échangent et s’assemblent, les différences entre les costumes s’estompent. En gris, certes, mais il y a les gants blancs qui correspondent autant à l’élégance d’Astaire qu’à la soul et bien sûr à la liberté d’invention de Pol Pi. Trois époques, trois vedettes de la musique, au sommet au moment de la naissance des interprètes de daté.e.s, tissant par leur présences, leur témoignages et leurs styles une brève histoire de la danse à leur façon si personnelle.
daté.e.s démontre comment, secrètement, nos époques et nos archives nous habillent. Au départ, Pol Pi s’interrogeait sur le monde dans lequel il était né, à savoir le Brésil des années 1980 qui sortait de la dictature militaire. On peut dire, sans trop s’aventurer, que Pi, né.e Paula à Sao Paulo, qui a choisi sa vie en changeant de continent et de sexe, porte en lui et en sa danse une mémoire intime de cette libération.
Et si daté.e.s n’a pas encore pu rencontrer son public, une captation est en ligne sur le site opsistv.com. La jeune plateforme dédiée au spectacle vivant développe une offre à la fois ambitieuse, populaire et accessible à tout.e.s en matière d’art chorégraphique. Que l’on ait su y intégrer Pol Pi est un signe encourageant.
Thomas Hahn
Spectacle vu au Centre National de la Danse, le 9 décembre 2020 (représentation réservée aux professionnels)
daté.e.s aux Rencontres Chorégraphiques 2021 : les 29 et 30 mai à la MC93
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