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« Itmahrag » à la Filature de Mulhouse : Création d’Olivier Dubois

Par le corps et la voix, sept jeunes danseurs-rappeurs égyptiens allument la flamme de la fête et du printemps arabe. 

Le Mahraganat (« festivals ») est la musique des teufeurs égyptiens, un style électro né dans les quartiers populaires et basé sur les airs traditionnels. Une musique née après le réveil démocratique de 2011, une alternative contemporaine au Shaabi et une réponse au Raï algérien. Et s’il n’y a pas eu de véritable révolution politique au Caire, la jeunesse du pays a bel et bien vécu un renouveau culturel et festif. Sauf qu’en 2020, le Mahraganat  a fini par être jugé immoral en Égypte, et est donc interdit en son pays. 

Olivier Dubois, secrètement orienté vers Le Caire depuis son enfance, a vécu les changements sur place, en tant que citoyen cairote à temps partiel, depuis son pied-à-terre dans la capitale. Il en tire aujourd’hui une pièce aussi festive que belliqueuse qui reflète l’ambiance de la révolution musicale égyptienne, interprétée par un septuor issu de cette jeunesse fulgurante. Le mot même d’Itmahrag, est par ailleurs un néologisme en arabe, selon Dubois qui en réclame la paternité. On lui croit sur parole, puisqu’il nous dit que c’est un appel à faire la fête : chantons, dansons, festoyons !

Un concert de Mahraganat qui laisse entrevoir pourquoi cette musique dérange les autorités égyptiennes : 

Ils ont entre 21 et 27 ans et amènent une énergie fulgurante. Sept garçons du Caire, d’Alexandrie et d’ailleurs en Égypte : quatre danseurs et trois rappeurs-chanteurs. Sur scène, leur fête se fait sans frontières entre les langages artistiques. Il y a un micro pour chacun et les vocalistes se jettent à leur tour dans la cadence infernale de certaines chorégraphies. Itmahrag est donc ce qu’on peut appeler, plus que jamais, un concert chorégraphique. Et pourtant, à la Filature de Mulhouse, le seul instrument de musique sur la plateau ne brilla que par ses LEDs: Le grand gong de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, configuré pour l’occasion en grande roue à tubes lumineux, formant un moucharabieh très coloré. Pour la tournée, il va cependant falloir trouver d’autres idées scénographiques…

Un morceau de Mahraganat avec les interprètes d’Itmahrag:

Ils avaient, jusque-là, composé des tubes électro à l’ordinateur, dans un gourbi urbain ou dansé que dans la rue, au contact direct avec les autres. A Mulhouse, le changement de décor fut donc radical. Il leur fallait s’imposer sans retours de la salle, presque vide, corona oblige. Chants et rythmes les aidèrent à rester eux-mêmes, alors que tous abordent ici pour la première fois la création sur un plateau. « C’est énorme, ce qu’ils ont réussi à faire, comparé aux débuts », se réjouit Dubois, presque étonné. Dans les tableaux très variés, il laisse ici aux interprètes d’énormes libertés, alors que les pièces repères dans son parcours, créées avec les danseurs contemporains de nos contrées, partent souvent de la contrainte : la course dans Auguri, la gravité dans Élégie, la rotation dans Révolution…

Seul un tableau d’alignement diagonal, sur des échos musicaux d’Oum Kalthoum, rappelle de telles ambiances structurales. Dans l’ensemble, Itmahrag part des énergies et du vécu des interprètes. Et malgré les libertés accordées, le travail de structuration fut inévitablement bien plus complexe à mener qu’en terres de minimalisme occidental. Se succèdent donc des chorégraphies saccadées et ultrarapides aux rythmes de rap ou de métal, soulignant à quel point les danseurs de rue, grands virtuoses dans leurs disciplines, sont capables de performances spectaculaires. Les contrepoints dramaturgiques sont faits de tableaux plus théâtraux, où ressurgissent enthousiasmes et traumatismes. 

L’ébullition crée un magma permanent de fête et d’insurrection où tout est mis en scène par le jeu, d’échos de la traditionnelle danse des couteaux au ligotage par fils électriques, en passant par la bataille où les pieds de micros deviennent des armes. Leur nouvelle situation d’artistes de scène devient, elle aussi, la matière d’un sketch. 

Mais comme dans un concert, chaque saynète accompagne un morceau musical. Le bon endroit pour suivre Itmahrag serait donc un lieu où le public se tient debout, face à la tempête vocale. Le parti est pris de ne pas utiliser de surtitrage, pour laisser parler les personnalités à travers leur présence et leur énergie. Un choix qui est juste, mais devrait s’accompagner d’une traduction à lire après le spectacle. 

Cette création mondiale a eu lieu en clôture du festival Vagamondes – Festival sans frontières, devenu un festival en ligne, organisé par La Filature, maison dirigée depuis peu par Benoît André, venu de l’équipe de Chaillot- Théâtre National de la Danse. Une bonne nouvelle pour les artistes chorégraphiques et le public…

Thomas Hahn

Vu le 29 janvier à la Filature dans le cadre du Festival Vagamondes 2021

Dates de tournée (sous réserve des mesures gouvernementales) : 

27 février – 2 mars 2021  Centquatre-Paris
17-20 mars 2021  : Chaillot, Théâtre National de la Danse
1er-3 juin 2021 : Biennale de la Danse de Lyon

Direction artistique et chorégraphie : Olivier Dubois

Assistant artistique : Cyril Accorsi
Musiciens : Ali elCaptin, ibrahim X, Shobra Elgeneral
Danseurs : Ali Abdelfattah, Mohand Qader, Moustafa Jimmy, Mohamed Toto
Directeur musical : François Caffenne
Compositeur : François Caffenne & Ali elCaptin
Musicien et chanteurs : Ali elCaptin, ibrahim X, Shobra Elgeneral

 

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