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« Créer aujourd’hui »
Diffusé en novembre dernier par l’Opéra de Paris en accès direct et payant sur Facebook, le programme « Créer Aujourd’hui » sera retransmis le 29 janvier à 20h55 sur France 5.
Au-delà des qualificatifs que leur accole Aurélie Dupont – « des chorégraphes à la fois solidaires, généreux, et joueurs » -, le lien qui rassemble Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet, Tessa Voelker et Mehdi Kerkouche est assez ténu. « Créer aujourd’hui » est en effet l’activité de tout artiste vivant...
A l’examen, il s’avère que la directrice du Ballet de l’Opéra de Paris a souhaité rassembler à la fois des noms déjà installés dans le paysage institutionnel (les deux premiers), et des coups de cœur récents, découverts via les réseaux sociaux. Le résultat de ce regroupement n’est pas aussi disparate qu’on pourrait le craindre. Ces quatre-là ont en commun quelques qualités. D’abord une habilité certaine - bien entendu plus ou moins affirmée selon leur âge et leur expérience - à inscrire leur propos dans une esthétique conforme aux codes de l’époque : clairs-obscurs, gestes déliés très ancrés, style casual et contributions musicales dans l’air du temps. En l’occurrence Woodkid, qui chante lui-même en live ses propres compositions pour Sidi Larbi Cherkaoui, ou bien Guillaume Alric du duo The Blaze pour Mehdi Kerkouche, ou encore Nick Drake pour la touche nostalgie chez Tess Voelker.
Les uns et les autres ont également su composer avec l’énergie, la plastique et la technique des danseurs du Ballet, tous excellents, principalement choisis parmi le corps de ballet à l’exception de Marion Barbeau, Héloïse Bourdon, Pablo Legasa et Marc Moreau. Par ailleurs, en raison des travaux alors en cours sur le plateau de l’Opéra Garnier, les quatre pièces prennent place sur le proscenium, une extension de l’avant-scène aménagée ad hoc, censée rapprocher les interprètes d’un public ici physiquement absent. Leurs créations partagent toutefois aussi quelques faiblesses, ou quelques manques, qui finissent par laisser au spectateur un léger goût d’inachevé.
Galerie photo : "Exposure 2" © Julien Benhamou
Dans Exposure, Sidi Larbi Cherkaoui met en scène neuf interprètes habillés par Chanel - dont certains masqués - autour de citations de la photographe Nan Goldin projetées au sol et en fond de scène. Méditation sur l’image, filmée in situ par un vidéaste dont les images sont retransmises directement sur le plateau, la pièce, malgré quelques beaux duos, solos et ensembles, peine à imprimer la rétine. Le savoir faire de son auteur ne réussit pas à pallier l’absence d’un véritable enjeu dramatique et chorégraphique.
Avec la très jeune Tess Voelker, dont Clouds Inside est la première commande et quasiment la première pièce, on change d’univers. Marion Gautier de Charnacé et Antonin Monié interprètent un duo séduisant, dans une ambiance et des costumes façon comédie musicale des années 60. Rien de désagréable à voir, bien au contraire, mais l’histoire et le sujet nous échappent. La légèreté délicate de cette courte séquence incite néanmoins à garder un œil sur son autrice, dont le talent ne demande qu’à mûrir.
Galerie Photo : Clouds Inside © Julien Benhamou
Celui de Damien Jalet est avéré, et incontestable. Son Brise-Lames - qui n’était pas disponible lors de la diffusion sur les réseaux sociaux en novembre - en est une nouvelle illustration. Faisant écho à tous les drames de l’actualité, l’évocation organique d’une vague, dans une scénographie soignée signée du photographe JR, installe un univers plastiquement traité de façon impeccable. Neuf danseurs, dont le remarquable travail du buste et des bras est magnifié par une prise de vue particulièrement soignée, donnent corps à cette déferlante puissante. Initialement soudé, le groupe laisse peu à peu éclore les personnalités, dont celles d’Héloïse Bourdon et Letizia Galloni. Poissons, baleine ou écume, les corps finissent par former un très symbolique canot de sauvetage, miroir de ceux qui depuis des années recueillent les réfugiés. Pourtant, on se surprend à décrocher quelque peu à mi parcours, peut-être par un trop plein d’images ou parce que cette pièce, qui se suffit à elle-même, mériterait d’être appréciée seule plutôt qu’ainsi enchassée dans un programme mixte.
Galerie photo : Brise-Lames © Julien Benhamou
Et Si de Mehdi Kerkouche, qui clôt la soirée, apporte un nouveau souffle. Le jeune homme, repéré sur les réseaux sociaux via ses vidéos stimulantes pendant le premier confinement, soumet ses dix interprètes à la transe revigorante du hip hop et les invite à un lâcher-prise contrôlé. Mais au fil des solos, duos, trios et ensembles, le dynamisme séduisant des premières minutes laisse progressivement place à un sentiment de déjà vu. Comme ce fut e cas avec d’autres chorégraphes issus des danses urbaines, les danseurs de l’Opéra, tout excellents qu’ils soient, semblent emprunter une gestuelle plus qu’ils ne l’intègrent. De son côté leur maître d’œuvre n’a pas voulu ?/ pu ? transformer l’essai et se livrer à une réflexion plus complexe sur la fusion ou non de ces deux langages.
Galerie photo : Et si © Julien Benhamou
Néanmoins la beauté du dernier tableau - les interprètes se dirigent un à un vers une lumière salvatrice à l’arrière du plateau - donne envie, là aussi, de suivre désormais cette étoile montante.
Isabelle Calabre
Diffusé le 29 janvier 2021 sur France 5
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