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Hommage à Amélie Grand
Amélie Grand, la grande dame de la danse à Avignon est partie…
Quoi que… Les choses ne sont jamais si simples qu’elles le paraissent… D’abord, elle était née Liliane Vasseur le 17 juillet 1936 aux Sables d’Olonne – ce qui n’est guère provençal – où son père était facteur.Vie au grand air, sport et gymnastique sur le sable, sans contrôle ni maître : le goût de la liberté se prend tôt. Parce que les moyens de la famille sont limités, la jeune fille sera prof de gym puisque l’Etat paie une formation. Liliane entre donc à l’ENSEP, l’Ecole Normale Supérieure d’Education Physique (cette institution fusionnera en 1975 avec l'Institut national des sports (INS) pour créer l'Institut national du sport). Son frère Marceau entre à Sciences Po…
Excellence républicaine ; et que la sélection soit drastique et l’accès difficile n’a jamais été posé comme un problème : tout semble aller de soi et courir facilement pour une Liliane Vasseur qui, pour s’être un peu essayée à la danse, classique et sur pointes, ne s’y est pas trouvée et a préféré le théâtre qui la ravit. Ce qui explique qu’arrivant à Paris, sa première visite soit pour le cours Simon. Elle racontait que dans le hall, elle avait croisé René Simon lui-même qui lui avait fait dire Le Renard du Petit Prince et l’avait retenue sur le champ pour le cours.
Mais un autre concurrent se déclare : Liliane chante. Et court les cabarets chanson de la Rive Gauche, passant par La Colombe où le fameux Michel Valette promet à cette jeune fille blonde et tonique, jouant sur une guitare à sa façon, une carrière. En 1960, avec quatre complices réunis sous l’acronyme de JPPLL, elle participe à un disque, Le monde Moderne et absurde des JJPPL, que publie la firme Philips et qui a un certain écho. Ce qui n’empêche pas l’étudiante de l’ENSEP de brillamment réussir en étant classée 4ème à la surprise de ses consœurs qui savent ses activités diverses. Ce rang a son importance : il permet à la lauréate d’être nommée en région parisienne…
Liliane Vasseur doit maintenant quelques années à l’Etat mais aussi quelques soins à son état. En 1961, elle a épousé Toni Grand, alors jeune artiste et déjà d’une démarche rigoureuse. Elle l’a rencontré quelques années auparavant. Ils ont rapidement une fille, Julia, qui naît en 1962. Liliane Vasseur devient Grand et Toni lui suggère un changement de prénom : voici Amélie Grand.
Certes, mais la danse ? Car si la jeune femme est dans une condition physique exceptionnelle, elle n’a guère pour l’instant sacrifié à Terpsichore. Mais la danse fait partie du programme de l’ENSEP et Liliane Vasseur s’est confrontée à la technique Malkovsky puis à celle de Janine Solane qui, moins raide et tendue que la technique académique à laquelle elle emprunte pourtant convenait mieux à la jeune athlète. Laquelle s’ouvre à ce monde d’autant que voilà les Américains. On sait l’importance du Centre Américain de Paris et la place que la danse contemporaine joua au « Raspail Vert ». Liliane Vasseur y confronte son savoir tout neuf aux expérimentations venues d’outre-Atlantique. C’est une révélation.
A partir de 1965, Amélie Grand enseigne la danse à l’Université de Nanterre. « Quand est arrivé Mai 68, avec Toni, nous étions aux premières loges » confiait-elle.
Sculpteur travaillant alors le plomb, en polyester et en acier inoxydable – il va bientôt se consacrer au bois – Toni Grand, fils d’une grande famille de Camargue, a besoin d’un vaste atelier : le Mas du Mouton, propriété familiale à Mouriès (13) lui offre un vaste rez-de-chaussée. Amélie enseigne encore un peu à Nanterre. Elle a beaucoup travaillé durant ces années avec le groupe Actuel, troupe de théâtre et atelier de formation de l’acteur qu’anime Emile Noël, homme de théâtre puis de radio, qui avait été l’un de ses professeurs à l’ENSEP.
En 1974, elle arrive à Avignon et se voit proposer par le directeur départemental de la Jeunesse et des Sports de Vaucluse, Georges Breysse, un poste d’entraineur de volley à Cavaillon, mais pour qu’elle prenne le temps de faire ses propositions. Après vingt ans de festival, Avignon, ville irriguée de théâtre, ne dispose alors quasiment d’aucune structure d’enseignement en théâtre et de peu de chose en danse. Amélie Grand va ouvrir des cours à l’université. Rapidement, elle devient Conseillère pédagogique en danse et théâtre à la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports du Vaucluse et c’est à partir de cette institution qu’elle va organiser les premiers stages pluridisciplinaires sur les Arts du spectacle en avant-première du festival, à Vaison-la-Romaine. Elle y retrouve son complice, Emile Noël qui est alors, encore pour quelques temps, directeur adjoint du festival. Au cours du festival d’Avignon 1976, elle est bouleversée par la vision d’Einstein on the Beach– le spectacle le plus important de sa vie se plaisait-elle à rappeler – et à la rentrée de septembre fonde l’Atelier Danse théâtre, Groupe Sud. C’est avec ce groupe qu’elle donne une Semaine de la danse, en périphérie d’Avignon, à la MJC de la Croix des Oiseaux.
En 1979, se déroule ce que l’on peut tenir pour la première édition de ce festival qui s’appelera ensuite Les Hivernales. Dès l’année suivante, la manifestation prend son envol. Amélie n’en délaisse pas le théâtre : le Groupe Sud donne un important spectacle Goldoni en 1981-1982. Les Semaines pour la danse laissent place, en 1983, à Février pour la danse, placé cette année-là « Sous le signe du Tango ». Après une édition « Afrique » (1986) particulièrement épique, l’aventure qui a failli s’arrêter là, se réinvente : en 1987 se déroulent les premières Hivernales. Amélie en a profité pour passer un DESS (Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisé Direction de projets culturels) dont le sujet de mémoire est : Dix ans pour la danse en Vaucluse…
Les Hivernales vont inventer en permanence. En 1994 a lieu la première édition du Forum Libre Danse dans le péristyle de la Mairie et l’année suivante les Hivernales s’instalent à la Manutention avec les cinémas Utopia et l’Ajmi (l’Association avignonaise pour le Jazz et les musiques improvisées). Le studio est vaste, mais coûteux, les artistes se mobilisent afin de permettre à la structure de finir de payer les travaux : de ce mouvement naît L’Eté des Hivernales. En 1997, pour le 50e anniversaire du Festival Avignon, Bernard Faivre d’Arcier demande à Amélie Grand de programmer quatre soli, elle en déduira le principe du Vif du Sujet. Tout se passe bien avec des crises et des fous-rires, le temps passe.
En 2005, Tony Grand décède après une difficile maladie. Amélie, qui envisageait de se retirer, reconnaît : « je n’étais pas capable d’assumer deux deuils en même temps ». Les Hivernales se porte acquéreur du bail du théâtre du Big Bang et, en 2009, Amélie reçoit la Médaille Beaumarchais de la SACD avant de quitter les Hivernales en septembre. Elle se consacrera alors à cette passion qui ne l’a pas quitté : la chanson. Animant des ateliers, chantant durant le festival Off, réalisant une édition en disques de ses chansons. Amélie Grand rejoignait Liliane Vasseur.
Philippe Verrièle
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