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Caisse des Dépôts : des moyens accrus pour la danse
Avec l’opération Nos jeunes talents s’invitent chez vous avec le Théâtre des Champs-Elysées, (lire notre article), le pôle mécénat de la Caisse des Dépôts s'est fait connaître auprès des amateurs de danse. Cet important mécène a pour volonté d’accroître son champ d’intervention et donner à la danse de nouveaux moyens. Pour en savoir plus, nous avons rencontré Sylvie Roger, responsable du mécénat de la Caisse des Dépôts.
DCH : Quelle est l’approche de la Caisse des Dépôts en terme de mécénat ?
Sylvie Roger : Depuis plusieurs années la Caisse des Dépots soutient dans le cadre de son mécénat, la danse, trois axes : la musique classique, l’architecture et le paysage et la danse. La musique classique étant le programme le plus ancien. Depuis plusieurs années le rachat du théâtre des Champs-Elysées, nous a permis de fédérer toutes les pratiques autour d’un programme centralisé.
DCH : Quelle est le champ d’action du mécénat de la Caisse des Dépôts ?
Sylvie Roger : La Caisse des Dépôts a toujours inscrit ses champs d’intervention – et le mécénat n’échappe pas à cette règle – en réponse à des besoins de la société française. En ce qui concerne la danse nous soutenions beaucoup de structures avec une vocation prioritairement pour ne pas dire exclusivement orientée sur des pratiques de politiques de la ville et de quartiers sensibles. Auparavant encore, nous soutenions des projets portés par des artistes connus car notre objectif était d’ouvrir à la culture et de sensibiliser les gens à la danse. Mais depuis quatre ans, très clairement, notre volonté, ciblée, est de soutenir des jeunes professionnels ou les jeunes talents au sein des trois secteurs que je viens de citer.
DCH : Qu’avez-vous modifié récemment ?
Sylvie Roger : Nous n’avons pas changé notre approche, ni nos programmes. En revanche nous avons souhaité renforcer la question du sens, de l’intérêt général depuis toujours au cœur de nos préoccupations. L’objectif étant de réduire les inégalités sociales et territoriales. Pour nous, ça passe par l’accès à la culture. Ainsi, nous sommes au plus proche d’une vraie cohérence entre la politique du mécénat et l’ADN de la Caisse des Dépôts. Pour élargir, nous avons pensé que si nous voulions sensibiliser et permettre au plus grand nombre d’accéder à la Culture, il nous fallait ouvrir notre doctrine et notre cible, au-delà des jeunes professionnels. Nous nous sommes donc intéressés à des projets qui ont vocation à s’adresser de façon claire et directe au jeune public. Ce qui contribue à toucher une autre population. Ensuite, nous nous sommes aperçus que ces trois programmes se recoupaient souvent d’autres disciplines. Et même si nous soutenions de tels projets, cela ne correspondait plus à la montée en puissance de cette pluridisciplinarité. Nous devions donc avoir un regard très attentif à ce type de propositions dans les trois programmes et a fortiori dans la danse.
Du coup, nous avons développé une nouvelle doctrine, une sensibilité accrue pour le pluridisciplinaire et un ancrage encore plus fort par rapport à la stratégie de la Caisse des Dépôts. Pour moi, la pluridisciplinarité doit être l’avenir. Dans dix ans, nous ne parlerons plus de programmes danse, musique, etc. mais de projets qui mêleront des esthétiques, des disciplines différentes, et nous soutiendrons ces projets-là par rapport à une doctrine qu’il nous faudra revoir encore une fois. Ça correspond à un phénomène observé depuis plusieurs années, et les artistes nous proposent des dossiers mêlant les disciplines sur des sujets parfois étonnants ou déroutants mais foncièrement intéressants. Ça me tient beaucoup à cœur.
DCH : Quelle est votre doctrine en matière de danse ?
Sylvie Roger : Nous avons en ce qui concerne la danse, fait le choix de définir clairement et d’afficher comme une volonté un premier axe : l’aide à la création chorégraphique. Un deuxième axe s’adresse aux structures de formation ou de concours innovantes qui renforcent notre champ d’intervention auprès des jeunes talents, afin de favoriser leur émergence. Ces structures doivent poursuivre des objectifs précisément définis (plan de formation, nombre de bénéficiaires, équipe de formateurs, critères de sélection pour un prix ou un concours…). Un troisième axe concerne les compagnies pluridisciplinaires et enfin, un quatrième axe pour les projets à destination du jeune public avec la particularité et la nécessité d’être participatifs et orientés vers de la cohésion sociale. Cette nouvelle doctrine a vu le jour en juin 2020.
Nous avons décidé de rendre ces axes pérennes, et nous sommes en train d’affiner les critères de sélection, car il faut que nous soyons très précis dans les soutiens que nous allons apporter. Par exemple, l’aide à la création chorégraphique ne concerne que les jeunes compagnies. Mais pour les projets orientés vers le jeune public, acceptons-nous que ce soit des compagnies plus anciennes dès lors que le projet correspond à nos éléments de doctrine énoncés plus haut ? Il faut que ce soit très clair, tant pour les gens qui souhaitent nous solliciter que pour nous, pour choisir et étudier les dossiers de façon équitable.
DCH : Quels sont les critères d’éligibilité pour l’aide à la création chorégraphique ?
Sylvie Roger : Qu’ils soient jeunes chorégraphes ou danseurs interprètes en reconversion, notre mécénat accompagne les chorégraphes émergents quelle que soit leur spécialité : danse classique, néo-classique, contemporaine, hip-hop… La Caisse des Dépôts est d’ailleurs toujours à l’affût des dernières tendances.
Tous les critères sont inscrits sur notre site en termes très détaillés. J’ai également voulu que les noms des personnes figurant dans notre comité d’engagement soient inscrits sur la page. Car il faut que les artistes ou les compagnies qui déposent un dossier sachent par qui et comment ils vont être jugés. J’insiste sur l’éligibilité de la structure au Régime fiscal du mécénat. C’est la garantie pour nous que le projet s’inscrit bien dans l’intérêt général. Je refuse de lire les autres projets. D’une manière générale, le soutien de la Caisse des Dépôts doit être significatif dans la réalisation du projet. Nous n’allons jamais soutenir 100% du projet, mais nous n’allons pas aider non plus un projet dans lequel nous ne donnons que 5% du budget global. Car dans ce cas, nous ne pouvons nouer un partenariat. Nous prenons le temps d’expliquer par oral à toutes les personnes qui nous le demandent, pourquoi ils n’ont pas été retenus. Et souvent, ça les aide, même si c’est difficile à entendre. Ça fait partie de notre travail pour faire progresser les artistes.
DCH : Comment se situe le mécénat danse en terme d’investissement au sein des différents programmes de la Caisse des Dépôts ?
Sylvie Roger : Encore aujourd’hui, le budget de la danse est en-deçà des autres programmes. Deux raisons à cela : Nous recevons moins de demandes de soutien dans ce domaine car nous sommes moins bien identifiés en tant qu’acteur du soutien à la danse. C’est ce qui a motivé l’augmentation importante que j’ai dédiée à la danse dans un souci d’équité. Si personne ne peut expliquer pourquoi un programme est moins doté que les autres, cette différence est injustifiée. Ensuite, la danse est plutôt économe et présente des budgets de production plus modestes. Comme si les compagnies n’osaient pas demander davantage. Or, j’incite toujours les artistes à choisir l’idéal.
J’ai déjà commencé l’année dernière à accorder à la danse un budget plus important et je vais l’augmenter encore cette année pour soutenir un nombre de projets plus large. En 2019 le budget de la danse était de 200 000 €, en 2020 de 314 000 €, et en 2021 mon objectif est de mettre 500 000 € voire plus. Je trouve anormal que la danse soit le parent pauvre. D’autant que je suis convaincue qu’il reste beaucoup à imaginer sur ce programme, et que notre époque et notre société parle par l’émotion et l’affect. Ce qui ressort du domaine de la danse. Nous allons donc nous atteler à former deux comités de sélection au lieu d’un seul. Et, pour recevoir davantage de dossiers, nous devons le faire savoir. Ça passe également par de la communication auprès de nos pairs du mécénat d’entreprise. C’est pourquoi il est important qu’ils connaissent notre doctrine et sur quels secteurs nous intervenons. Car nous avons le même objectif. Je crois toujours que nous sommes plus forts et plus intelligents en groupe et à plusieurs. S’ils reçoivent une demande qui correspond à notre doctrine, ils nous transmettront le dossier. Nous le faisons, en tout cas.
DCH : Au-delà de l’aspect financier, quels sont les autres apports que le mécénat peut offrir ?
Sylvie Roger : Nous sommes en train d’étudier la possibilité, au-delà de l’aspect financier, d’apporter un soutien soit par le mécénat de compétence, soit par les expertises que nous avons en interne au sein du service, en termes financiers, juridiques, de communication. En ce qui me concerne par exemple, je peux m’engager très facilement à coacher les compagnies pour les aider à parler de leur dossier, à démarcher de nouveaux mécènes, ou d’autres structures, à expliquer et faire valoir leur projet.
C’est une approche d’accompagnement. Une fois le soutien accordé nous pourrions étudier les besoins des compagnies et leur apporter ce qui leur manque. Mais cela ne va pas sans un niveau d’exigence accrue de notre part. A savoir, si nous nous engageons avec une prise de risque connue et partagée, sur un temps long, parce que c’est dans l’ADN de la Caisse des Dépôts, les artistes devront rendre des comptes. Et, si ça ne fonctionne pas, nous devrons arrêter, non pas en terme de sanction négative, mais en transparence et en communication tout au long de l’accompagnement de ces projets et de ces porteurs de projets.
DCH : Qu’est-ce qu’un engagement dans le mécénat artistique peut apporter à une entreprise ?
Sylvie Roger : Dans cette période où nous nous posons beaucoup de questions, le mécénat a tout son sens, que ce soit en interne pour une entreprise, car ce qui va faire la différence, ce sont des valeurs partagées, un état d’esprit, les raisons d’être de l’entreprise. Mais au-delà, ça concerne encore davantage les jeunes générations qui ont un autre rapport au travail, à l’engagement. J’ai vu une évolution en ce sens. Il y a une phrase que j’aime beaucoup, « l’ontogénèse récapitule la phylogénèse ».
Propos recueillis par Agnès Izrine
Pour en savoir plus cliquer sur notre pavé Caisse des dépot - Le mécène des possibles.
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