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Vingt ans après

Le 12 novembre, à La Manufacture CDCN Bordeaux-La Rochelle, Hamid Ben Mahi et Michel Schweizer renouent les fils d’une histoire qui a maintenant vingt ans. Mais Chronic(s)2 ne sera pas simplement la suite de l’histoire de ce jeune danseur qui, en 2000, venant du hip-hop, avait forcé les portes des autres styles de danse à coup d’obstination et de volonté. Ce second épisode est aussi une réflexion sur le temps, l’époque, la danse et le corps qui vieillit. 

Il fallait bien s’attendre qu’à force de travailler sur la mémoire, celle-ci reviendrait au présent. Et, dans ce registre, la paire Hamid Ben Mahi et Michel Schweizer ont fait figure de référence avec Chronic(s) où le premier, inspiré par le second, racontait son parcours. « Infortunée mémoire qui s’oblige à passer par tous les chemins que nous avons suivi pour devenir ce que nous sommes » se lamente le narrateur du Ferdydurke de Gombrowicz : il faut croire que les deux n’en avaient pas assez, ils y retournent et se lancent dans un second épisode…

Tout cela est parti, déjà, d’un anniversaire. « Il y a cinq ans, Michel Schweizer a participé à une soirée pour les quinze ans de Chronic(s) et après avoir revu la pièce, il m’a dit qu’il manquait une suite » raconte Hamid Ben Mahi avant d’ajouter « et moi j’avais envie de revivre l’aventure avec Michel. Nous nous observions, mais nous n’avions pas travaillé ensemble depuis 2000, alors que sa démarche m’a énormément apporté

Alors, pour comprendre l’enjeu, il faut commencer par revenir en arrière. En 2000, Michel Schweizer qui avait rompu les liens créatifs avec Isabelle Lasserre en 1994, prend un virage esthétique radical — et qui va marquer — avec un étonnant spectacle intitulé Kings.Il y intègre un solo qui présente, entre un vigile et un danseur contemporain, Hamid Ben Hami. Celui-ci est, à l’époque, une figure de la danse hip hop à la virtuosité époustouflante, mais aspirant à autre chose. Il venait donc raconter sa rencontre avec la danse de l’opéra et d’ailleurs. Ensuite, le danseur est parti de ce germe pour élaborer un solo d’une trentaine de minutes qui avait fait, dans le off d’Avignon 2002, parler de lui pour son charme désinvolte et la finesse de la démarche. « Mais le temps a passé, il y a d’autres choses à dire. Comment tenir sur scène, comment faire avec les enfants, avec l’entourage. Actuellement, je suis déjà dans un processus de transmission alors que j’étais dans une toute autre démarche. Vingt ans, cela commence à faire… En 2001, nous étions en résidence juste le 11 septembre. Cela donnait une tonalité. Aujourd’hui on s’interroge sur comment va le monde et, en 2020, c’est la Covid ! Ce ne sont pas les mêmes questions, mais ce sont des questions toujours aussi fortes. »

Puisqu’il s’agit de mémoire, il faut repasser par Chronic(s) : c’est, sur une scène éclairée à jour, au milieu des cartons, avec un grand écran en fond, Hamid entrant comme par hasard. Il semble peiner à trouver sa place, hésite. Rien de la morgue conquérante de certains des danseurs hip-hop de l’époque. Ici, le doute et une prudence très humaine, très proche de ce que tous les danseurs ressentent. C’est cette volonté de partager cette universalité de la danse que raconte le danseur sous une forme « existentialiste » savoureuse. Ces souvenirs sont interrompus par des images ou par des solos dansés qui fonctionnent comme des contre-preuves curieuses. 

Le danseur raconte ses pérégrinations dans les mondes de la danse, ses difficultés parce qu’il est plus âgé, qu’il vient du hip-hop, qu’il vient de banlieue. Mais la variation qu’il enchaîne immédiatement vient prouver la qualité de sa virtuosité. L’image ou la danse viennent donc en permanence contester le discours, parfois avec une ironie dévastatrice mais aussi une humanité et une pudeur exceptionnelles. 

«Dans Kings, Michel Schweizer voulait que je parle. Je n’étais pas sûr de cela. Je lui ai dit que je n’étais pas comédien, que ce ne serait pas bien. Il m’avait répondu que ce n’était pas grave ; même au contraire. De mon côté, j’étais attiré par d’autres univers et j’ai découvert que les mots pouvaient avoir un impact très fort. Cela m’a inspiré pour plusieurs créations qui ont suivies » se souvient Hamid Ben Mahi qui reconnaît que nombre de ses pièces qui l’imposèrent sur les scènes (Sekel, 2004 ; La Géographie du danger, 2007 ; Beautiful Djazaïr, 2020 ; etc.) découlèrent de cette expérience. 

«On se retrouve vingt ans après. Je ne sais pas si notre parole a encore sa place. Il y a le corps qui vieillit, qui peine un peu à faire ce que l’on veut sur scène. Pour l’anecdote, il y a aussi la question de notre retraite et Michel m’a bien dit qu’il n’y aurait pas forcément de Chronic(s)3 »

Et, un peu plus tard, il admet « j’ai 47 ans, si je dois arrêter de danser, ce sera comme une petite mort. Mais je dois aussi admettre que le corps n’est plus aussi performant. J’en connais qui ont mal, qui souffrent et qui dansent quand même, mais je n’ai pas envie de ça. Alors cela demande de l’entretien, mais je suis ravi de pouvoir continuer à danser. Toutes les danses se sont inscrites dans mon corps qui en a appris tous les automatismes et j’ai du mal à en sortir. Ça m’est difficile d’imaginer d’autres façons de danser même si aujourd’hui je lève moins bien les jambes et je vais moins vite. Il faut trouver d’autres façons de faire, mais celles que je connais sont tellement inscrites en moi ! À l’époque, nous n’avions pas toutes ces techniques, les danseurs d’aujourd’hui sont d’une légèreté, d’une technicité bien supérieure à celle que nous connaissions. Aujourd’hui le hip-hop est devenu une forme de la danse contemporaine. Il touche tous les danseurs en Europe. Ils sont multicartes, ils multiplient les expériences de danse. Avant nous étions spécialisés sur une technique. Si l’on en sortait on était critiqué, et surtout on n’était pas reconnu. »

On croirait les héros de Dumas se retrouvant après leurs aventures et constatant le dur passage du temps. « Mais nous avons commencé à travailler des séquences. Nous avons des diapos de choses que je fais sur scène. Artistiquement, nous faisons une sorte de traversée d’une période qui revient et que la plupart des jeunes danseurs n’ont pas vécue » et la danse a changé. Hamid le reconnait volontiers : « La danse hip-hop appartient à la danse contemporaine. Certains le rejettent, ce sont des puristes qui croient réellement ce qu’ils affirment. Mais j’ai l’impression que d’être danseur, je veux dire danseur tout court, permet de toucher à tout ; je veux dire à toutes les formes. Des gens comme Farid Berki ou moi avons tenté ces expériences. On nous a dit que nous allions nous perdre, que nous n’arriverions pas. Cela a pris du temps, mais nous avons réussi. » Ceci dit sans morgue.

La remarque possède la même douceur assurée que les confessions du jeune danseur de Chronic(s) et quand on lui demande s’il a eu raison dans sa recherche, il n’esquive pas : « oui ! Quand je me retourne sur mes débuts, sur ce moment où je ne savais pas où je mettais les pieds, je pense que j’avais raison. Ça n’a pas été facile, les professeurs voyaient que j’avais envie même si je n’avais pas le bagage technique ». Le second volet de la confession, ce Vingt ans après d’Hamid Ben Mahi, se niche dans ce constat : « c’est un chemin difficile, assez douloureux même, mais avoir écrit mon propre petit bout d’histoire, cela me plait ». Et, avec Michel Schweizer, c’est ce qu’ils vont montrer. 

Philippe Verrièle

12, 13, 14  Novembre 2020 > La Manufacture CDCN Bordeaux. La Rochelle
2 Février 2021  Théâtre d’Angoulême, scène nationale
29 Mars 2021 Théâtre La Passerelle, scène nationale de Gap et des Alpes du Sud
30 Mars 2021  Théâtre La Passerelle, scène nationale de Gap et des Alpes du Sud
11 Mai 2021  La Ferme Bel Ebat, Théâtre de Guyancourt

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