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« A nos Amours » par Le ballet du Capitole
Le programme « A nos Amours » présenté à Biarritz par Le ballet du Capitole était prémonitoire ! Il y propose une soirée de pièces légères, répétées dans le respect des règles sanitaires…
Cela semble d’actualité. Sauf que pas du tout. Les pièces sont anciennes, le projet répondait à d’autres préoccupations. Mais le résultat, c’est que l’on a pu voir danser d’excellents danseurs ! Anticipant sans le savoir sur les préoccupations de l’heure, lesquelles prohibent les productions à fort effectif de crainte de ne pouvoir les faire tourner, les ballets étudient les projets légers ; Kader Belarbi, à la tête du ballet du Capitole n’avait pas prévu la Covid (pas qu’on sache, du moins), en revanche il avait très bien compris que pour répondre à la demande nouvelle du directeur de l’opéra toulousain désireux de rayonner dans sa région, il fallait un programme attirant, facile à faire tourner et qui traduise sans les trahir les valeurs de sa compagnie…
« A nos amours » répond à cette quadrature du cercle. Soit, donc, un programme composé de quatre pièces, pas plus de sept danseurs au plateau, peu de décors, pas trop long… Et, dès lors, une proposition parfaitement adaptée aux exigences du temps ! La soirée fait la part belle au chorégraphe Kader Belarbi qui présente deux pièces, plutôt anciennes, mais offre aussi deux œuvres de deux personnalités fortes de la chorégraphie européenne, le britannique David Dawson et le catalan Cayetano Soto.
Liens de table, la pièce qui ouvre le programme est déjà ancienne. Créée en 2001 pour le Ballet du Rhin et reprise en 2010, elle témoigne clairement de l’influence de Mats Ek sur le jeune chorégraphe qu’était alors Kader Belarbi, et l’on peut y voir comme une traduction de La Maison de Bernarda (1978) du maître suédois ; mais comme écrit Diderot, « il ne faut pas copier ou copier mieux ».
Tout se déroule autour de la table familiale, l’atmosphère pèse ce que ne contribue pas à alléger le Quatuor n°8 de Chostakovitch, somptueux, certes, mais puissamment dramatique. Le fils brise donc le lien -un cordon rouge tombant des cintres et fixé au coin de table- jusqu’à provoquer l’éclatement des faux-semblants familiaux. Tout est assez souligné et explicite et en serait lourd sans l’interprétation d’une vigueur réjouissante.
Philippe Solano campe ainsi un fils bondissant à la rébellion athlétique contrastant avec Romiro Gomez Samon, père glaçant de violence sans frein. La mère, Solène Monnereau, rend palpable l’ambiguïté de sa position quand la fille, Tiphaine Prévost, passe d’une fraîcheur enjouée à une sourde opposition. Et il faut regarder cette œuvre de jeunesse par ce biais : une mise en valeur du talent d’interprétation de danseurs particulièrement concernés.
Fugaz, pièce de Cayetano Soto qui suivait, a été créé en 2007 pour le ballet du Gärtnerplatztheater de Munich, soit une compagnie de type « TanzTheater », indication importante. S’ouvrant par un spectaculaire unisson des quatre femmes de la distribution, Natalia de Froberville, Solène Monnereau, Kayo Nakazato et Aleksandra Surodeeva, la pièce développe ensuite, sur une mélopée entêtante de Gurdjeff (le théosophe danseur composait également) une fluide ligne dansée qui intègre les duos (celui de Froberville et de Gomez Samon est somptueux de virtuosité limpide et élégante) sans rupture ni à-coup.
Cela manque un peu d’accent et musique aidant, endort un peu. Il manque sans doute un peu d’investissement théâtral, ce que l’origine de la pièce explique, mais, dès lors, cela garde une élégance qui manquait tant dans ce que ce chorégraphe nous avait montré avec le Aspen Ballet (déjà à Biarritz, en 2018)! L’équilibre, en interprétation, est un combat…
Après l’entracte, , pièce de 2009, se trompe de sujet. Là où Debussy concevait « un berger qui joue de la flute le "cul" dans l’herbe » le chorégraphe, s’appuyant sur la version piano de l’œuvre, a élaboré une joute de séduction sophistiquée et un rien « fashion ». C’est plus proche d’une couv de Têtu que des songes de Mallarmé et serait légèrement irritant sans l’investissement de Romiro Gomez Samon (décidément à l’aise dans des styles très différents) et Philippe Solano (moins explosif que dans Liens de table, mais pas moins athlétique).
A Nos amours qui clôturait la soirée reste également une pièce « jeune » (créé pour le ballet du Capitole en 2010, soit avant que Kader Belarbi eu prenne la direction), c’est-à-dire assez incertaine de ces effets et les soulignant donc beaucoup.
Trois vitrines sur roulettes font face au public, dans chacune un couple dont les costumes marquent qu’ils appartiennent à trois âges bien distincts de la vie amoureuse ; une construction sur la base des duos qui se succèdent puis s’échangent et se mêlent…
La dramaturgie n’innove pas beaucoup, la construction ne révolutionne rien. Mais, là encore, la qualité de l’interprétation fait merveille avec mention particulière pour Natalia de Froberville à l’intériorité puissante et le « couple de vieux » formé par Aleksandra Surodeeva et Ruslan Savdenov, émouvant de retenu et pour autant emporté par quelque chose d’intérieur et d’irrésistible que l’on appellera la tendresse…
Ce duo rappelle le fameux Old Man and Me de Van Manen (1996) dont les créateurs étaient Sabine Kupferberg et Gérard Lemaître… C’est mettre la barre assez haut !
En somme, cet ensemble de pièces un peu anciennes, pour ne pas constituer une « date » inoubliable dans l’art chorégraphique, remplit parfaitement sa mission et, en particulier montre ce qui fait le prix d’un « ballet », la qualité des interprètes et la valeur qu’apporte l’interprétation.
Petite leçon à retenir…
Philippe Verrièle
Vu à Biarritz, le 19 septembre, Salle du Casino, dans le cadre du festival Le Temps d’Aimer.
A nos amours.
Programme du Ballet du Capitole de Toulouse ; dir. Kader Belarbi.
Liens de table, chorg. Kader Belarbi ; Fugaz, chorg. Cayetano Soto ; Faun(e), chorg. David Dawson ; A nos Amours, chorg. Kader Belarbi.
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