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Montpellier Danse 40bis : Raimund Hoghe et le temps qui passe
Moments of Young People : De 2002 à 2020, une pièce à la rencontre de la jeunesse de son époque.
Presque deux décennies après la création de Young People, Old Voices et deux ans après la création de Momentos of Young People à Porto (d’où le « o » dans Momentos), c’est à Montpellier qu’a eu lieu la rencontre entre la majorité de la distribution portugaise et quatre jeunes Montpelliérains, choisis pour inscrire la pièce emblématique de l’ancien dramaturge de Pina Bausch dans le temps. Cette deuxième résurrection, ou deuxième Moment permet de faire durer une histoire qu’on croyait close, après que la dernière de Young People, Old Voices fut donnée en 2011, à Barcelone.
Le renouvellement, qui permet à la pièce de dessiner à nouveau une trajectoire vers l’avenir, offre aussi la possibilité de l’adapter à notre époque et à cette nouvelle génération d’interprètes. Et bien sûr, son créateur évolue, lui aussi. Il n’y a donc plus de duo comme dans Young People, Old Voices entre Raimund Hoghe et le très jeune Lorenzo De Brabandere. Plus de Stravinsky, plus de Sacre. Si beaucoup de gestes et de tableaux sont les mêmes, les présences ont changé, et on sait à quel point chez Hoghe, la personne et son aura sont capitales. Les interprètes professionnels de 2004 (il y avait professionnels et amateurs) ont navigué pendant une décennie dans les eaux de cette pièce, si calme à la surface et pourtant si profonde dès qu’on se laisse submerger par elle. Moments of Young People s’en fait l’écho, pour une rencontre entre des jeunes dans leur état du moment et un homme qui ne se définit plus par l’ici et maintenant, mais par tout son parcours.
Chanter le temps
Moments of Young People pourrait être la virgule de Young People, Old Voices : une virgule qui prend de l’ampleur, qui n’est plus le trait d’union qu’elle était. Soyons réalistes. Et poètes, comme Hoghe, et avec Jacques Brel : « Mon enfance passa /.../ mon enfance éclata... » Le temps fait son œuvre, inéluctablement : « Avec le temps... » Au début chanté par son auteur Léo Ferré, à la fin dans la reprise de Dalida (sans que l’on comprenne ce qu’elle croyait apporter à la chanson). C’est bien sûr Raimund Hoghe qui se fait porte-parole des voix d’antan, qui font corps avec lui.
Sans exception, chanteuses et chanteurs qu’on entendait dans Young People, Old Voices, et qu’on entend aujourd’hui encore dans Moments of Young People, ne sont plus de ce monde et ne l’étaient déjà plus, il y a 16 ans. Ce chiffre signifie aussi qu’en 2004, à la création, celles et ceux qui interprètent aujourd’hui Moments... venaient tout juste de naître, ou bien s’y préparaient, alors que Hoghe fit sensation à Montpellier Danse avec sa première pièce de groupe, qui durait trois heures.
Tant de chansons s’y réfèrent au temps. A Léo Ferré répondent d’autres vers comme ceux d’Alberta Hunter dans Time waits for no one : « Souviens-toi, le temps est ainsi, aucun précieux moment ne reviendra /.../ donc ne gaspillons pas une seule seconde dorée » (en anglais). Et effectivement, depuis que les jours de Young People, Old Voices sont comptés [plus de détails dans notre interview], c’est en se souvenant de l’œuvre originelle qu’on mesure toute la portée de Moments of Young People, d’abord créée au Portugal en 2018, et recréée à Montpellier Danse 40bis, avec une distribution franco-portugaise de jeunes personnes formidablement authentiques.
Danser le temps
Le changement est frappant en comparaison avec la génération précédente, qui dansait dans un état de sérénité, portée par bien plus d’homogénéité et d’optimisme, même dans les moments calmes de la pièce. On fait bien moins la fête dans Moments of Young People, et les doutes de cette jeune génération par rapport au monde dans lequel ils vont vivre sont pleinement palpables. Perdus, la légèreté et la fulgurance qui s’expriment par exemple dans l’extrait mis en ligne sur numéridanse.
On a l’impression, si ce n’est une certitude, de voir aujourd’hui une jeunesse plus fragilisée et un Raimund Hoghe également plus fragile. Mais quand un corps vieillit, il faut l’accepter. Quand une génération se voit privée de la sérénité dont jouissaient ses parents, il faut se révolter. Que valent alors les moments de jeunesse? Comment danser avec insouciance? Jusqu’en 2011, le maître des cérémonies dansait avec son cheptel. Mais dans la mesure où son corps s’affaiblit, son humour s‘épanouit. Il a ici l’air de surgir d’un autre monde, tantôt ultra-sérieux tel un revenant, tantôt telle une divinité satirique, affublée d’une capuche, d’un livre, de lunettes de soleil. A ces objets qui étaient déjà présents, il ajoute un masque respiratoire, pour l’occasion.
Carlos Gardel le savait: «veinte años no es nada » (mais n’a pas été retenu par Hoghe pour la playlist de ce spectacle). Chronos creuse l’écart entre Young et Old, et toute idée de Volver ne peut concerner que les lieux, pas les moments. Danser, c’est toujours danser le temps, et toute jeunesse ne dure qu’un instant: Moments of Young People, justement. Alberta Hunter n’aurait pas dit le contraire et lance son appel à ces jeunes interprètes, et à nous: Let’s not throw one golden second away…
Thomas Hahn
Spectacle vu dans le cadre de Montpellier Danse 40bis, le 22 septembre 2020, Le Kiasma, Castelnau-le-Lez
Conception, chorégraphie et décors: Raimund Hoghe
Collaboration artistique: Luca Giacomo Schulte
Avec: Raimund Hoghe et André Fonseca, Ana Ester Ribeiro, António Pacheco, Beatriz Valentim, Célia Farenc ou Pauline Drecq-Colson (en alternance), Daniela Costa, Fabrice Mpisangu Engempasa, Grégoire Manhes, Hugo Cabral Mendes, Léa Delaporte, Miariana Magalhaes, Pedro Azevedo
Lumière: Raimund Hoghe, Amaury Seval, Ansgar Kluge
Son: Silas Bieri
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