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« Programme(s) Commun(s) » à POLE-SUD. Entretien avec Joëlle Smadja

POLE-SUD, CDCN de Strasbourg ouvre sa saison avec Programme(s) Commun(s) un nouveau rendez-vous autour de 14 artistes en 2 épisodes.

Danser Canal Historique : Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de ces « Programme(s) Commun(s) »

Joëlle Smadja : Devant l’incertitude du lendemain et surtout la certitude que le spectacle vivant et les artistes seraient parmi les premières victimes de cette situation, il fallait trouver un moyen de redonner «corps» aux projets interrompus. La première étape a été de prendre des nouvelles de tous les danseurs, chorégraphes, interprètes et pédagogues de notre territoire, avec lesquels nous sommes engagés de longue date. La deuxième étape a été de rouvrir nos studios à la création dès le mois de juin et pendant une partie de l’été. Les restrictions sanitaires nous imposant de travailler autrement, nous avons très vite échafaudé tous ensemble l’idée d’un programme commun.

Les premières réunions en visio-conférence ont rapidement révélé chez les artistes, leur envie de construire quelque chose ensemble dans la diversité des approches, des histoires et des esthétiques. Donc à ce moment, moment où nous nous posions beaucoup de questions, nous avons essayé, avec les artistes, de trouver des moyens de rester en contact. Nous nous sommes demandé si nous pouvions essayer, outre la question des financements, de disposer d’un temps de travail, d’être sur les plateaux, de réintégrer les studios, tout en tenant compte du COVID. À l’époque nous ne savions même pas si les danseurs avaient le droit d’être sur un plateau. Etions-nous réduits à ne voir un programme qu’en solo ? Il nous fallait trouver des moyens pour répondre à l’urgence de travailler, réouvrir les studios, redonner du temps de travail, donc des possibilités pour l’intermittence, c’est-à-dire de l’argent. Il nous fallait en outre rendre visible des gens qui avaient disparu. Redonner de la visibilité au travail de recherche et sur nos territoires.

DCH : Quels sont Les artistes compagnons de « programme(s) commun(s) » ?

Joëlle Smadja : Ce sont des gens dont on n’a pas l’habitude d’entendre parler, surtout au plan national. Nous avons toujours un panel d’artistes implantés localement, c’est-à-dire dans le Grand Est et même un peu plus loin. Au cours de nos réunions, nous nous sommes aperçus qu’ils ne se connaissaient pas forcément entre eux, et que, s’ils avaient des esthétiques très différentes, ils avaient des questionnements assez similaires. Par exemple, sur cette question du solo qui recoupe souvent la question de l’intime, de l’identité. Beaucoup de nos artistes installés sur ce territoire viennent d’ailleurs et, tout en ayant des façons très différentes de résoudre ces questions, ils rejoignent des préoccupations communes.

« Programme(s) Commun(s) » - 1ère semaine - POLE-SUD

Donc parmi les quatorze artistes par exemple Jean-Louis Gadé était un danseur du Ballet national de Côte d’Ivoire, avec un passé et une technique très importants mais qui, dans la nécessité de gagner sa vie était devenu professeur de danse. Il était venu nous voir avant le COVID, et nous avait montré un petit extrait dans un studio. Nous avons compris immédiatement qu’il était arrivé à un endroit où il avait des choses à dire.

D’autres étaient tout jeunes et démarraient à peine, comme Joël Brown qui était danseur chez Amala Dianor, et est également musicien. Une jeune artiste japonaise, Akiko Hasegawa a été près de quinze ans chez Catherine Diverrès, elle a un vrai parcours d’interprète mais pas encore de chorégraphe, c’est une occasion pour elle de retravailler des choses qui lui sont personnelles. Olga Mesa n’est plus une chorégraphe émergente et présente un projet très particulier, très intime en relation avec les arts plastiques. Ezio Schiavulli est un artiste soutenu par le ballet du Rhin qui vient de s’installer sur le territoire…

En fait nous avons la chance, depuis sept ou huit ans d’avoir de nombreux artistes qui se sont installés à Strasbourg avec des itinéraires et des passés très différents. Donc « Programme(s) Commun(s) » c’était une façon de faire resurgir à l’adresse du public et des professionnels, toute une série d’artistes engagés, qui ont des démarches chorégraphiques assez complémentaires finalement. 

DCH : Du coup, à cause de la pandémie, ce sont souvent des solos…

Joëlle Smadja : Des solos accompagnés souvent par des musiciens sur scène ou des performances, par exemple Androa Mindre Kolo est un performeur plasticien, Sarah Cerneaux performe une danse composite, du fait de ses origines réunionnaise et comorienne et son remarquable parcours d’interprète (notamment chez Amala Dianor et Akram Khan). Nous avons choisi de mélanger des travaux de recherche, donc des étapes de travail avec des pièces terminées, pour pouvoir faire un programme qui mixe extraits, parcours, discussions, etc. Nous avons inventé une traversée sympathique pour le public de jour et de nuit pour avoir deux ambiances différentes dans ces parcours.

DCH : Comment s’organisent ces parcours Jour et Nuit ?

Joëlle Smadja : L'épisode Jour démarre à 15h le 26 septembre, l’épisode Nuit le 16 octobre de 19h à 1h30 ! À cause des jauges, dues à la pandémie, nous accueillons 170 personnes réparties en trois groupes et trois parcours différents. Donc c’est toute une série avec pauses, panier repas parce nous ne pouvons pas faire de buffet pour les mêmes raisons. L’épisode Jour se termine par une table-ronde sur le sujet Local et Global. Local, parce que beaucoup d’artistes viennent de l’international de par leurs origines, ils sont donc à la fois locaux et globaux, et ça recoupe la question du territoire et de l’intime. A chaque fois tous les artistes ont participé à chaque phase du projet. Cela veut dire que si j’ai rendez-vous avec une tutelle ou un officiel, ils sont là, quand on s’adresse au public ils sont là. Quand il s'agit d’une table ronde, ils l’organisent avec nous. L’idée de Programme(s) Commun(s) c’est que la direction et l’administration du théâtre et les artistes sont au même niveau. Même niveau de responsabilité, même niveau d’engagement, il n’y a pas de leadership ni de verticalité et c’est quelque chose, qui est de plus en plus inscrit dans notre façon de travailler.

DCH : C’est plutôt rare cet exercice de la démocratie à tous les endroits dans une structure ?

Joëlle Smadja : C’est très important pour moi. J’en suis arrivée après plus 30 ans de pratique à relativiser cette question du pouvoir et surtout, quand on travaille ensemble au même niveau on peut commencer à entendre une vraie parole. Donc nous déjeunons ensemble tous les midis, les artistes, et nous. L’équipe de Pôle Sud fait une demi-heure de réveil musculaire le matin avec l’un des artistes qui se relaient suivant les jours. Nous nous prêtons au jeu, du coup nous restons complètement accessibles. Les artistes du « programme » vont voir les travaux des uns et des autres en fin de semaine. A la limite même s’il n’y avait pas du public, ça aurait déjà du sens. Par exemple, Ezio Schiavulli, travaillait avec un batteur au plateau. Ils avaient problème rythmique et se demandaient qui du corps ou de la batterie devaient engager le rythme. Donc le midi ils discutaient ensemble. Donc l’un des autres artistes, ex élève du conservatoire et familier des mathématiques leur a proposé une solution académique, Jean-Louis Gadé a expliqué que pour lui, on danse d’abord et on chante après… C’est un exemple typique de comment une discussion artistique peut avoir trois résolutions différentes et profitables.

Ezio Schiavulli - Silent Poets - 2019

DCH : Cette idée de transversalité est-elle née avant la pandémie ? 

Joëlle Smadja : C’est venu en partie de notre habitude du réseau Grand Luxe. Ce sont sept structures qui se sont choisies et réunies — Le Grand Studio à Bruxelles, Le Centre Chorégraphique National Ballet de Lorraine, le Ballet de l’Opéra national du Rhin CCN de Mulhouse, Pôle Sud Centre de Développement Chorégraphique National de Strasbourg, le Trois C-L Centre Chorégraphique du Luxembourg, le Theater Freiburg de Fribourg-en-Brisgau et L’Abri de Genève — et ont décidé de mettre en commun leur savoir-faire et leurs équipes au service de projets artistiques issus de leurs territoires qui nécessitent, à un moment de leur développement, une aide spécifique et adaptée. Ce réseau met en place un accompagnement désintéressé, sans argent, c’est pour ça qu’on s’est appelé Grand Luxe, mais efficace. Ça peut être un espace de travail, un photographe, un costume, rencontrer des professionnels, des regards extérieurs, recevoir une aide administrative, des conseils, trouver la possibilité d’une captation ou d’une formation. De fait, la question de la verticalité s’est tout de suite posée entre nous. Nous ne pouvions pas être dans ce type de rapport et encore moins avec les artistes. À Pôle Sud, ça fait plusieurs années que nous travaillons là-dessus, même au sein de l’équipe, il fallait re-répartir, donner de nouvelles responsabilités, il faut de temps en temps décider et l’Etat et les pouvoirs publics ne connaissent qu’une seule tête. Mais, si on peut trouver des solutions transversales, manager différemment, c’est l’occasion. Ainsi, nous bâtissons des relations différentes. Il y a toujours un ou deux artistes qui viennent aux réunions avec les tutelles, et c’est important car ils comprennent aussi comment fonctionne un lieu. Ils sont tous en copie des mails, ça permet d’essayer de partager quelque chose d’autre que juste j’achète un spectacle, tu le joues et tu t’en vas. Car ça c’est très frustrant pour tout le monde.

Propos recueillis par Agnès Izrine

26 septembre Episode Jour 

16 octobre Episode Nuit

POLE-SUD CDCN Strasboug

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