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Un Lac en répétition
Du 23 au 30 juillet avaient lieu à Aix-en-Provence, au théâtre de l’Archevêché, les répétitions ouvertes au public et en plein air de la prochaine création d’Angelin Preljocaj, « Le Lac des Cygnes ».
Aix-en-Provence, jeudi 30 juillet, 18h45. Dans la chaleur d’une fin d’après-midi provençale, le public s’installe tranquillement sur les rangs ombragés de la Cour de l’Archevêché. Régulièrement espacés selon une jauge limitée à 450 places, distanciation sociale oblige, les spectateurs font face à la scène. Tandis que Cécile Médour et Dany Lévêque, choréologues du Ballet, sont installées autour d’une table, les danseurs du Ballet Preljocaj s’échauffent. Depuis une semaine, les Aixois ont ainsi le privilège d’assister en plein air au work in progress du prochain Lac des Cygnes d’Angelin Preljocaj. La création, prévue le 7 octobre à la Comédie de Clermont-Ferrand, avant une tournée internationale conséquente, a pris quelques semaines de retard dues au confinement. D’où la nécessité de devoir « créer devant vous », explique en préambule le chorégraphe qui ajoute, provocant : « Vous allez vous ennuyer ! ».
Bien entendu, l’apostrophe se révèlera totalement erronée. Et les deux heures de « répétition » fileront d’un trait, donnant à chacun l’occasion passionnante de voir naître en direct quelques minutes d’un ballet. Le maître du jeu annonce en effet qu’ « on va commencer une page blanche » - ce qui, ajoute-t-il « va prendre du temps ». Difficile néanmoins de croire, ainsi qu’il l’assurera lors des questions/ réponses finales, qu’il débute cette séance sans avoir rien en tête, hormis la partition de Tchaïkovski. Il donne en effet le sentiment d’être animé d’une intention et d’un ‘dessein émotionnel’ précis, qui guident chacune de ses interventions. La séquence à l’étude, on le comprendra lorsque retentira plus tard la musique du compositeur russe, est le célèbre adage du deuxième acte, qui voit la rencontre du Prince et du cygne blanc Odette.
Comme à son habitude, Angelin Preljocaj n’a pas encore choisi quels danseurs interprèteront les rôles de solistes. C’est donc avec l’ensemble de la troupe, répartie en couples « par affinités », qu’il pétrit la glaise de sa chorégraphie. Travaillant d’abord sur les corps des garçons, allongés au sol, il esquisse une première phrase gestuelle au cours de laquelle ils se relèvent, happés par une force magnétique. Il fait ensuite intervenir les filles, dont les mouvements s’emboîtent sur ceux de leurs partenaires. Preljocaj corrige, recommence, nuance, improvise. Il précise les directions (« tout le corps bouge, pas seulement les bras, et jusqu’au bout des doigts ! »). Petit à petit, se dessine une broderie de plus en plus délicate, ou pour reprendre la métaphore du chorégraphe lui-même, « un objet d’orfèvrerie, puisque je travaille avec des diamants »
Galerie photo :J.C.Carbonne
Juste hommage rendu à des danseurs dont, tout du long de la séance, on n’aura cessé d’admirer la souplesse docile et la capacité à faire exister de plus en plus fortement, surtout les filles (mention spéciale à Verity Jacobsen et Clara Freschel), les états de corps dans lesquels ils se retrouvent placés. Après s’être exercés sur une musique de travail (Daft Punk), « pour nourrir l’oreille des muscles » (sic), ils répètent ensuite sur la partition originelle, coulant leurs enveloppements déliés dans les notes de Tchaïkovski. « Je ne prépare rien à l’avance, déclarera plus tard le chorégraphe. C’est sur le plateau que je cherche dans mon corps ce qui va advenir. C’est presque une question de biorythme. Il n’y a pas de règle, ni de recette. Il faut juste tenter des choses. Des fois ça coince, ça bloque, les danseurs ne trouvent pas toujours le chemin. Parfois le bizarre devient singulier, émouvant, ou bien des pas sublimes deviennent débiles. Et inversement. C’est ça la création.»
Galerie photo : J.C.Carbonne
Quant à l’argument du ballet, Preljocaj précise qu’il s’agit de « le recontextualiser, afin qu’il nous parle d’aujourd’hui. » Le conte de fées dont il est issu et dont il existe plusieurs versions « n’est qu’une trame, le prétexte à une leçon de vie distillée ainsi aux enfants. » Lors d’un entretien le lendemain matin, il précise que Le Lac aborde selon lui des thèmes très contemporains, qu’il s’agisse du rapport de l’homme à la nature et au monde animal, des relations amoureuses, ou d’une certaine impossibilité du bonheur. Il ajoute s’être plongé, pendant le confinement, dans la Recherche du temps perdu et dans la vie de Marcel Proust. « J’y ai trouvé de curieuses coïncidences. Comme lui, le Prince entretient avec sa mère des rapports très étroits. Le lac, rond et attirant, est pour lui une sorte de figure maternelle, d’où un fort antagonisme entre ses deux parents… »
Une lecture psychanalytique, donc ? « Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la mise en perspective, nuance-t-il, les effets de relief, de contraste. Par exemple l’animalité de ces cygnes, qui dans l’histoire, redeviennent femmes la nuit mais gardent une part d’étrangeté, de trouble. »
En relisant après tant d’autres ce monument du répertoire, le ‘contemporain de service’, comme il se désigne avec humour, est toutefois bien conscient de « l’énormité du projet » auquel il s’est attelé : « Je choisis toujours des sujets qui me dépassent, en me demandant : qu’est-ce qui pourrait me faire peur ? Cette fois, c’est un véritable Everest ! ». Le projet est né à la suite de la commande il y a deux ans de Ghost, pour le festival Diaghilev à Saint-Pétersbourg, dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Marius Petipa. Cette courte pièce sur pointes, dans laquelle il imaginait Marius visité par le fantôme de ses cygnes, lui a donné envie de réécouter et enfin apprécier la musique de Tchaïkovski, jusqu’à se lancer ce nouveau défi. Le Lac des Cygnes, se souvient-il, était le premier ballet qu’il ait vu, enfant, à l’Opéra de Paris. Un retour aux sources pour celui qui, en ces temps de pandémie, tient plus que jamais à réaffirmer que la danse est un art vivant, et qu’il convient de rester debout.
Isabelle Calabre
Répétition publique à Aix-en-Provence le 30 juillet 2020.
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