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Etudier la danse confiné
Comment les écoles supérieures de danse réagissent au confinement ? Réponses et questionnements.
Les écoliers et étudiants commencent à profiter de vacances qui, à la surprise générale, s’avèrent d’autant plus nécessaire que le confinement a prouvé qu’il était beaucoup plus difficile d’étudier en dehors de l’école qu’à l’intérieur… Petite règle d’évidence qu’il n’était peut-être pas inutile qu’elle soit rappelée. Mais pour les écoles supérieures de danse, les difficultés s’avèrent encore plus complexes. Aux difficultés liées à la danse s’ajoute celle du maintien en état « de danse » de corps que la sédentarité inhérente à l’idée même de confinement menace. Sans compter l’esprit de groupe et d’école, la créativité partagée, et l’organisation des épreuves de diplômes : la crise sanitaire, avec ces principes de télétravail, d’enseignement à distance et la logique de continuité pédagogique, posent des problèmes apparemment insolubles pour les écoles supérieures de danse.
« Dès que nous avons su qu’il fallait fermer, nous avons inventé en quelques jours ce qui, il y a deux mois, nous serait apparu comme impossible, et cela s’est très bien passé » s’amuse un peu Cédric Andrieux, le directeur des Etudes chorégraphiques du Conservatoire Supérieur de Paris (CSNMDP). « Les premiers jours, nous avons pris contact avec chaque étudiant pour savoir quelles étaient leurs situations, en matière d’informatique ou de connexion ». Car celles-ci varient beaucoup. Claire Rousier, la directrice adjointe du CNDC, s’est trouvée confrontée au cas d’élèves isolés dans des zones « blanches » où le téléphone passe déjà très mal, alors internet… Il faut alors se résoudre à des expédients. Si pour les élèves du CSNMDP, la seule situation difficile fut réglée grâce à une clef 4G, pour les élèves angevins installés chez des parents à la campagne, cela pu être acrobatique jusque soit trouvé l’endroit juste où le téléphone captait. Quant à Kylie Walters, la directrice des Etudes chorégraphiques du Conservatoire Supérieur de Lyon (CNSMDL), qui a renvoyé dans leurs foyers ses élèves résidents, elle s’est trouvée devoir régler quelques questions complexes d’intendance, comme cette étudiante rentrée chez sa mère et partageant l’espace avec ses petites sœurs, ou les cas des trois étudiantes reparties chez elles, c’est à dire jusqu’au Japon. Et pourtant même avec celles-ci, le contact a pu être maintenu !
Dans l’urgence, les écoles prennent contact entre elles et partagent les outils. Tandis que le conservatoire de Paris fait circuler les fiches réalisées par le nutritionniste maison, le conservatoire de Lyon réalise un document illustré par des photos et diffusé en pdf pour éviter les problèmes de connexion. « Dès que le confinement a été annoncé, nous avons mis en place un suivi avec les responsables des questions de santé comme le kiné, et nous avons préparé un enchaînement d’une heure à une heure et demi permettant le renforcement musculaire et de l’entrainement quotidien» explique Kylie Walters. Le tout adapté aux réalités domestiques des étudiants : des exercices sur place ou presque et pour les enseignements bien codifiés comme la barre classique ou les cours de technique Graham ou Cunningham, la prise en compte des moyens du bord, une chaise ou une table pour se tenir et un travail adapté à l’espace ! Les outils sont mis en commun et partagé entre les écoles. Pour les corrections des professeurs ou pour les tout ce qui suppose une individualisation, le retour vidéo s’impose. Alors « c’est souvent le téléphone portable calé sur l’étagère, ou se faire filmer par le frère ou la sœur, ce n’est pas l’idéal, mais cela fonctionne » reconnaît Cédric Andrieux. Pour les écoles supérieures de danse, c’est la fameuse application Zoom, plébiscitée malgré quelques failles de confidentialité qui est mise à contribution avec pour objectif, comme le résume Claire Rousier « de garder la cohésion du groupe, le lien avec la structure autant que les habitudes de travail ». Le tout organisé très rapidement ! Même les enseignements théoriques ont été assurés, avec fourniture de devoir en fiche, organisation de contrôle de connaissance avec une heure pour rendre les réponses. Et les cours d’anglais en live …
Tout cela s’est fait au prix de beaucoup d’efforts : tous les directeurs soulignent combien ses transformations radicales de l’enseignement de la danse imposent de surcroît de travail pour les équipes et une implication sans faille des étudiants… « Je suis impressionné et même parfois un peu ému de voir l’adaptabilité et l’inventivité des élèves comme des professeurs, la résilience, la cohésion des groupes et l’esprit de collaboration qui s’est exprimé » reconnaît Cédric Andrieux qui ne cache pas, cependant, la difficulté et le stress qu’engendre la situation.
Car la fin de l’année arrivant, chacun s’inquiète pour les examens… Dans l’incertitude générale, chacun travaille sur diverses hypothèses, car il faut non seulement que les étudiants soient présents, qu’ils aient pu reprendre le travail sereinement (« il n’est pas question de leur faire passer l’examen quatre ou cinq jours après la reprise, ce serait même dangereux » précise Cédric Andrieux), mais il faut aussi que les membres du jury puissent se déplacer, en sachant que pour les dernières années (DNSP3) qui doivent entrer dans la vie professionnelle, trop retarder les épreuves revient à manquer le moment d’entrer dans le métier ! Si la situation ne s’améliore pas d’ici fin mai[1], le contrôle continu sera mis à contribution, « il était déjà très important pour le premier semestre, nous pouvons nous appuyer dessus car il est fort possible qu’il faille organiser un examen simplifié » avoue Kylie Walters. Une réunion téléphonique regroupant tous les responsables des écoles supérieures, même celle de l’Opéra de Paris, qui n’a pas pu répondre à nos questions, est prévu dans la semaine du 13 au 17 avril pour coordonner, au-delà des enseignements et des réponses techniques, ce que les écoles ont fait spontanément, la question au combien complexe de la tenue des examens, sachant que «une reprise début mai ou fin mai, ce n’est pas pareil du tout » comme le résume Cédic Andrieux !
Au CNDC, où la dimension créative est importante, l’un des exercices demandés est d’explorer la pièce où l’étudiant est confiné… L’idée, amusante, ne compensera cependant pas l’annulation du grand projet Une nuit de Noces, reprise du ballet d’Angelin Preljocaj avec quatre pianos, percussions et voix interprétée en live, et une création, sur la même partition d’Aurélien Richard, pour vingt interprètes. Ce projet qui réunissait Angers Nantes Opéra, le Centre national de danse contemporaine d’Angers et l’Opéra de Rennes ne pourra pas être repris en l’état, et certainement pas avec les musiciens… Les écoles supérieures de danse s’adaptent, mais la danse reste un art matériellement exigeant.
Philippe Verrièle
[1] Mais finalement les étudiants ne devant pas reprendre les cours avant septembre (allocution du Président de la République le 13 avril), c’est la solution du contrôle continu qui sera sans doute retenue.