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« Indicible Beethoven » de Gilles Schamber
Le Ballet de l’Opéra de Metz a passé commande à Gilles Schamber pour célébrer Beethoven.
La création de Gilles Schamber, Indicible Beethoven, ne manque pas d’ambition : traduire la force de la musique de Beethoven en conduisant les danseurs dans cet état particulier où toute la gestuelle se trouve portée par l’émotion. Mais, c’est la musique qui fait défaut ! On ne peut pas tout faire avec n’importe quelle partition.
Ni évocation, ni célébration, ni narration : Indicible Beethoven, la création de Gilles Schamber pour le ballet de l’opéra de Metz n’appartient pas vraiment à la vague de manifestations célébrant le 250ème anniversaire de la naissance du géant de Bonn. Elle aurait indifféremment trouvé son sens l’année prochaine comme il y a trois ans.
Cette pièce d’une soirée, construite autour d’un arrangement pour orchestre à cordes de quatuors du compositeur et de l’allegretto de sa 7ème symphonie, n’aborde en effet guère le personnage de Beethoven et n’interroge sa musique que de façon indirecte. En revanche, la pièce place les douze danseurs du ballet au centre du propos. Leurs émotions, la présence de chacun et les réactions que tous éprouvent au contact de cette musique, l’interaction entre les interprètes et cet ensemble de partitions, tout cela éclaire l’une des façons de « danser en musique » quand la musique est pour la danse une manière de dramaturgie non verbale.
La scénographie et tout le système de l’œuvre évitent les références anecdotiques ou toute évocation historique. En fond de scène, une rangée de chaises rouges sur laquelle patientent tous les danseurs ; ils portent de fluides costumes, noirs dans la première partie, rouges dans la seconde, aux lignes modernes ne se situant dans aucune époque particulière. L’ensemble, design et élégant, possède aussi une charge dramatique diffuse. Quelque chose d’une tension sourde qui s’exprime clairement dans cette marche descendante quand s’engage la pièce. La Grosse Fugue (Op 133), avec son introduction, un appel d’archet, un silence puis un exposé d’où sort un thème fragile qu’étouffe littéralement une cavalcade de traits donne à cette marche obstinée une gravité saisissante. Ce morceau constituait initialement un aboutissement, la conclusion de l’opus 130.
En ouvrant le ballet, il crée une tension que la gestuelle marquée d’accents vigoureux renforce, même quand le volume sonore diminue. L’orchestration de Cyril Englebert, chef de l’Orchestre à cordes du Luxembourg présent en fosse, renforce cette sensation et annonce bien le projet du ballet : conduire, par la musique, les danseurs dans un état particulier de danse. « Etre au bord, dans un déséquilibre qui leur permettra de dégager la force nécessaire pour transmettre au public l’émotion et la sensualité qui se dégage de la musique de Beethoven » écrit le chorégraphe à propos de ses interprètes.
Et l’on perçoit parfaitement la démarche dans cet incipit. La marche se mue en injonction, le groupe s’organisant en deux ensembles de six danseurs en canon, puis chutant avant de revenir aux chaises tandis s’achève la fugue, laissant un couple, Lisa Lanteri et Graham Kotowich, comme une laisse de mer, sur l’adagio du Quatuor n°1 (op. 18), celui-là même que le compositeur avouait avoir composé en songeant à la scène du cimetière de Roméo et Juliette… Et de fait la dimension sensuelle et tragique dessine puissamment la gestuelle de ce passage.
L’entracte constitue un moment de bascule fort. La pièce passe du rouge au noir, du tragique au passionné, et reprend sur le Quatuor n°5 (op. 135) par un duo de Clement Malczuk et Johanne Sauzade, laquelle sur pointe, semble prise dans les affres d’une relation pour le moins complexe. Toute cette seconde partie, plus hachée et moins cohérente (quatre extraits musicaux différents), est centrée sur deux grands soli, dont un très beau pour Lisa Lanteri qui resserre sur elle tout le groupe, peine à trouver son aboutissement. Elle n’est pas aidée par le choix musical final. Autant orchestrer les quatuors apportait une dimension dramatique bienvenue, autant ce qu’il faut bien appeler une réduction du somptueux allegretto de la 7ème symphonie rapporté aux possibilités d’une phalange de cordes, manquait du souffle nécessaire pour conclure.
La gestuelle peine alors à se renouveler et à trouver la qualité d’émotion qui permettrait d’aboutir. On se souvient pourtant combien cette partition peut porter les danseurs (Nietzche l’appelait d’ailleurs l’apothéose de la danse), par exemple chez Uwe Scholz (Pathétique, 1993) ou même, avec un effectif beaucoup plus réduit, chez Gilles Verièpe (Zoet, pour 5 danseurs, 2006). Mais ici, le parti pris manque de clarté et le choix assez mal venu après tout ce travail sur les quatuors dissout la relation émotionnelle des danseurs à la musique qui s’était jusqu’alors opérée. Le projet de du ballet qui tenait jusqu’alors s’en trouve battu en brèche.
Philippe Verrièle
Vu à Metz, le 6 mars, Opéra de Metz
Chorégraphie et scénographie : Gilles Schamber
Création pour les danseurs de l’Opéra Théâtre de Metz Métropole.
Valérian ANTOINE, Aurélie BARRÉ, Paul BOUGNOTTEAU, Timothée BOULOY, Camilla CASON, Charlotte COX, Kim-Maï DO DANH, Graham ERHARDT-KOTOWICH, Rémy ISENMANN, Lisa LANTERI, Aurélien MAGNAN, Clément MALCZUK, Johanne SAUZADE, Veronica VASCONCELOS DA SILVA
Direction musicale et arrangements Cyril Englebert
Costumes Dominique Louis
Lumières Gilles Fournereau
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