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Festival Ardanthé à Vanves : Betty Tchomanga crée « Mascarades »

Véritable repère en tant qu’interprète (Emmanuelle Huynh, Alain Buffard…), Tchomanga incarne la déesse Mami Wata en Sirène échouée. 

Mami Wata est une divinité capricieuse. Déesse des eaux, elle ressemble aux Sirènes bien connues en Europe. Belle et irrésistible, elle peut aussi se mettre en colère et noyer ceux qui rejettent son autorité. On l’aime et on la redoute dans une grande partie du continent africain puisqu’elle est toujours prête à faire un tour en ville pour rencontrer des mâles en déroute. Par ailleurs, on la prend parfois pour Mama Wati, alors que celle-ci n’est autre qu’un avatar sous forme d’anagramme de la première. Mais le rôle principal d’une séductrice pareille n’est-il pas de semer le trouble dans l’esprit des hommes, surtout quand elle les approche au moment où ils sont en train de boire un coup et rêvent d’en tirer un, dans un bar quelconque ? 

Et maintenant, et c’est nouveau, Mami Wata surgit dans un théâtre. Pas au bar, mais sur scène. Et là, c’est tout le problème. Cette déesse n’est pas vraiment faite pour être exposée comme une bête de foire. Trop artificiel, le cadre. Trop sceptiques, ceux qui viennent la voir. Ceux-là ne croient en son pouvoir. Ils ne vénèrent que le pouvoir de la danse et des arts. Terrible malentendu. Mami Wata croit agir, et pourtant elle ne fait que réagir par rapport à cette foule muette qui l’épie, qui la tétanise et avec laquelle elle ne peut communiquer, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle tente. Et elle tente beaucoup. Serre les mains des spectateurs, se met à genoux devant eux, monte dans les gradins et sur leurs cuisses… 

Quand Ulysse rencontra les Sirènes, la beauté de leurs voix était un atout redoutable. Et la Mami Wata de Betty Tchomanga possède une voix formidable, c’est certain. Allongée à la manière mi-femme mi-poisson, elle occupe un socle réfléchissant et irradié de belles lumières, où ses chants nous renvoient peut-être vers Homère. Sons gutturaux, tel un chant de pleureuses. Un filet sonore universel et profondément humain. Qui donne des forces. Mais elle descend bientôt de son piédestal et commence des tours et des sauts qui finissent en queue de poisson. Ses cris d’oiseaux sont stridents mais sortent d’un autre corps, sans raison. Et elle finit en rap (Libérez la bête de Casey) et chante l’hymne plutôt désespérée Horses in the sky de Thee Silver Mt Zion, autre signe de son pouvoir écorné. 

En ouvrant la feuille de salle, on lit ce qu’on va voir juste après : « La base de son menton, son cou, ses bras, le dessus de ses mains et tout son buste sont peints en noir. Elle porte un short en jean élimé et un t-shirt blanc large un peu court qui dévoile son ventre parfois. Ses jambes et ses pieds sont nus. Elle saute. Le saut qui la traverse est un saut vertical, régulier. » Est-ce elle-même qui décrit ainsi son apparence ou est-ce Mama Wati ? « Ses cheveux se détachent progressivement et accompagnent le mouvement du saut tels les serpents d’une gorgone. » C’est vrai qu‘elle a de la chevelure à revendre, et elle en détache de sa tête pour la transformer en barbe, en symbole sexuel, en masque… Mais elle ne fait pas confiance en son pouvoir, et continue donc à sauter, à sa perte. Il lui suffirait pourtant de nous défier par des images tirant leur force de leur calme. 

« Sirène échouée, elle est face aux gens qui sont venus la voir », lit-on aussi. Et là encore, rien à redire. Sauf qu’ils ne sont pas venus la voir sauter ainsi, dans le vide. Sortie de son cadre naturel, cette Sirène saute par désespoir, pour rattraper un bout de son pouvoir perdu. Par qui a-t-elle été capturée pour être mise dans la boite noire de ce parc d’attractions qu’on nomme théâtre ? La black box de la scène est trop propre pour renvoyer vers les « bas-fonds de la nuit » où la déesse trouverait sa vocation. Elle s’est égarée, elle a échoué sur une plage (musicale) européenne. Qu’elle ait traversé la mer en pirogue ou qu’elle ait enfourché un cheval ailé, sous les projecteurs de l’Europe, Mami Wata a tant sauté qu’elle a perdu pied. 

Thomas Hahn

Festival Artdanthé, salle Canopée, le 3 mars 2020

En tournée : 5,6,7 Mars 2020 - Le Quartz, scène-nationale de Brest - Festival Dañsfabrik

 

 

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