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« XYZ ou comment parvenir à ses fins » de Georges Appaix
Georges Appaix achève avec XYZ où comment arriver à ces fins un parcours créatif de trente-sept ans et plus de trente pièces au fil de l’alphabet… A découvrir ou à revoir les 12 et 13 mars au Pavillon Noir d'Aix-en-Provence !
Comme il n’y a que vingt-six lettres, cela signifiait que son principe d’abécédaire accepta quelques entorses. Alors faudrait-il s’étonner que cet épilogue divaguât jusqu’à pousser à quelques émotions nostalgiques sur l’histoire de la danse.
Le plateau dénote une tendance certaine au décousu, voire à une certaine insouciance conceptuelle. Non pas défait ou ruiné comme pour signifier la fin, mais un genre de débraillé non dépourvu de charme dans son bricolage et d’un manque de sérieux très élégant ; ce n’est pas trop dans l’air du temps. Au fond, côté jardin, un écran-panneau que ses bandes verticales rend perméable aux corps ; un peu plus bas, un genre de totem chargé de lettres découpées dans du carton ; à bas de cour, un autre de ces écrans-panneaux, plus au centre un écran vidéo suspendu. Un petit côté locus solus, avec Rien que cette ampoule dans l’obscurité du théâtre (2009). Plus au fond, une manière de désordre du même fer à béton rouillé que le totem.
Et donc, un Georges sort de cette toile-écran-panneau du fond, quand un A lui tombe dessus. Un vrai A, tout bleu, et le Georges pousse donc un grand Ah ! Un peu faussement surpris pour marquer le fait, ce qui permet de laisser l’h et garder l’A. Donc le A d’Antiquité (1984), Agathe (1985) et Affabulation (1987). L’étape A dura chez Appaix avant qu’il ne passe à B d’où Basta ! (1989)…
Le principe de XYZ où comment arriver à ces fins, la dernière -et le mot est à mesurer pour ce qu’il porte d’ultime- pièce de Georges Appaix tient dans cette succession d’accidents lettristes prétextes à revisiter une œuvre elle-même conçue sur le principe de l’abécédaire, habile mise en abyme.
Mais quoi que composée sur ce principe de l’abc, cette « ultima ratio » ratiocine et vaticine, se payant sinon de mots, du moins de lettres et, comme toute pièce de Georges Appaix, n’en devant pas pour autant être prise à l’empattement : contrepied très appaixien et non dépourvu d’extravagance tranquille…
En somme, il ne faut pas trop suivre la lettre à la lettre et accepter de glisser du A à l’M encore (2001), ce qui suppose donc quelques libertés et accepter que plutôt qu’à la rigueur stricte d’un dictionnaire le chorégraphe s’abandonne à ce que Mallarmé appela « Le démon de l’analogie »…
A l’évocation de la lettre comme par hasard croisée au grès de l’œuvre (signalons que le K peut protester de se voir si mal traité en Kouatuor (1998), Dino Buzzati peut en témoigner), les six interprètes (plus le chorégraphe lui-même) donnent une chair que l’on appréciera ou pas, Question de goûts (2009). Ils déplacent les lettres, les passant du totem à la scène avec quelques arrêts pour évocation.
Mais, rompus à cette gestuelle comme scandée, à cette désinvolture gestuelle extrêmement précise dans les rythmes, les sept danseurs enchaînent les mots et les surprises de parcours, dans un fonctionnement d’horlogerie aussi réglé que décontracté. Une lettre, un œuvre, une évocation d’une pièce de répertoire, un léger dérapage gestuel, un tutti pour faire avancer l’affaire : le principe pourrait passer pour répétitif voire raide sans cet esprit un peu potache et quelques fantômes qui s’invitent.
Car, Là, immédiatement, tout de suite (1996), surgissent sur les écrans quelques images de pièces anciennes sur lesquelles, A posteriori (2006), se glissent quelques visages : tiens, Non seulement (2003) Marco Berrettini, Claudia Triozzi mais encore il se pourrait qu’on y vît Maud Le Pladec… Car ce petit jeu avec l’anecdote personnelle croise, Once upon a time (2004), l’histoire de la danse, avec sa grande Hache. Justement, celle du aH…
Et tandis que s’achève le parcours, ou du moins que Georges Appaix affecte de mettre un point peut-être final à ses phrases, cet épilogue en forme d’anthologie divagante possède, outre le bon goût de ne rien surligner, l’intérêt de rappeler que dans cette façon de traiter l’œuvre chorégraphique comme sujet de l’œuvre elle-même, il y avait un Je ne sais quoi (1997) dont le parfum plane encore quoi qu’alors en plus drôle qu’aujourd’hui : Hypothèse fragile (1995), mais à vérifier.
Philippe Verrièle
Vu à Paris, le 4 février 2020, Maison des Arts de Créteil, dans le cadre du festival Faits d’Hiver
Les 12 et 13 mars 2022 au Pavillon Noir d'Aix-en-Provence.
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