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« Yours, Virginia », Gil Harush, Ballet de l’Opéra du Rhin.
En création mondiale par le Ballet de l’Opéra du Rhin, Yours, Virginia, de Gil Harush, déploie l’imaginaire de Virginia Woolf. A voir à l’Opéra de Strasbourg du 18 au 21 février.
Découvrir un jeune chorégraphe est toujours agréable. Surtout lorsque ce dernier manifeste d’emblée une certaine ambition, tant dans le choix de son sujet que dans son traitement scénique. Et lorsque, plus rare encore, il se voit offrir de la part d’une institution partenaire les moyens de mener à bien sa création. Cette configuration peu fréquente rend particulièrement remarquable Yours, Virginia de Gil Harush, créé le 6 février par le Ballet du Rhin à La Filature de Mulhouse. Depuis qu’il a pris en 2017 la tête de ce centre chorégraphique national, Bruno Bouché - dont le mandat de trois ans a été renouvelé l’an passé - met en œuvre avec audace et détermination le projet sur lequel il a été élu : proposer aux danseurs de ballet un nouveau langage chorégraphique et dramatique.
Parmi les voies empruntées pour réussir ce pari, le patrimoine littéraire et cinématographique constitue un vivier d’inspiration privilégié. En témoigne le Chaplin, de Mario Schröder, entré dès la première saison au répertoire de la compagnie, et ce Yours, Virginia, hommage à Virginia Woolf qui constitue la première production de Bruno Bouché avec l’Orchestre Symphonique de Mulhouse.
C’est en 2014 à Sens, alors qu’il était directeur artistique du festival international Les Synodales, que Bouché rencontre Gil Harush. Le jeune Israélien passé par la Rotterdam Dance Academy vient de remporter le premier prix de ce concours international de jeunes chorégraphes contemporains, fondé par Jackie Burvingt, avec DeadyCate. Devenu directeur du Ballet du Rhin, Bouché propose à Harush de présenter une création (The Heart of My Heart), dans le cadre du programme « Plus loin l’Europe » associant son compatriote Ohad Naharin. Cette production lui vaudra une nomination pour le prix de la meilleure création par le Syndicat de la critique. En parallèle de sa carrière de chorégraphe, Gil Harush mène de front une activité de psychothérapeute et s’investit dans le lancement d’un centre de thérapie et de danse qu’il fonde en Espagne à San Sébastien, Movementklub.
Loin d’être le fruit d’une inspiration subite, son Yours, Virginia est à l’évidence l’aboutissement artistique d’une réflexion entreprise depuis longtemps autour de la personnalité et l’œuvre de la romancière britannique. Il se sent lié par une intime fraternité à cette artiste à la sensibilité exacerbée et a « absorbé tout ce qui se rapporte à elle » : son imaginaire, sa vie, ses livres et les nombreuses adaptations qu’ils ont suscitées. En deux actes et dix tableaux, il met donc en scène et en danse le paysage mental et émotionnel de l’auteure de Mrs. Dalloway, sur un ensemble de musiques allant de Haendel à Philip Glass interprétées en direct par l’orchestre.
Les familiers de Virginia Woolf retrouveront sans peine les principales séquences de son existence : le fameux cercle mixte de Bloomsbury, évoqué par ces ensembles de garçons et de filles en tenue estivale se partageant le plateau dans la première partie ; l’insatisfaction sexuelle de son mariage et les attirances homosexuelles des deux époux, suggérées par un audacieux quatuor où les corps s’entremêlent ; et sa noyade en 1941, lestée de pierres, dans la rivière bordant sa propriété.
Qu’on ne s’attende pas pour autant à un exposé façon Lagarde et Michard. L’essentiel réside dans la capacité de Gil Harush à faire surgir des états émotionnels en parfaite résonnance avec l’univers de l’écrivaine. Mélancolie, solitude, introspection, font jeu égal avec une sensualité, un désir de bonheur et l’affirmation d’une féminité pleine et entière, prémisse d’un monde où règnerait entre hommes et femmes une parfaite égalité de traitement et de considération.
Tout en empruntant sans surprise à Kylian ou à Mats Ek, son écriture se teinte d’une vigueur dramatique propre à la danse israélienne. Il sait renouveler l’attention du public par des combinaisons inattendues entre les ensembles et les solistes (Virginia et son époux Léonard), par l’utilisation répétée de doubles plans scéniques, par des danseurs se faisant pianistes le temps d’un morceau de Philip Glass, ou encore lors d’une scène décalée et vaguement SM sur l’Orphée et Eurydicede Gluck.
Tous impliqués, les danseurs excellent dans cette création d’envergure qui met en valeur le travail accompli depuis trois ans par Bruno Bouché en terme d’exigence technique et artistique. Il est à souligner, encore une fois, combien pareil projet honore ceux qui le rendent possible. Et à cet égard, nul doute qu’Alain Perroux, récemment nommé directeur de l’Opéra du Rhin en remplacement de la regrettée Eva Kleinitz, et qui était présent à cette première, aura a cœur de permettre que se poursuive la belle croissance du Ballet du Rhin.
Isabelle Calabre
Vu à La Filature de Mulhouse le 6 février 2020. A l’Opéra de Strasbourg du 18 au 21 février 2020.
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