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« Impulso » de Rocío Molina
Dans ses impros « impulsives », il arrive à Rocío Molina d’accueillir des hôtes, de marque ou tout simplement de passage. Cela a été le cas à Chaillot, dans le cadre de la quatrième Biennale d’art flamenco.
Cette soirée s’annonçant plus longue que prévu ou, plutôt, que vécu, on se disait in petto : « nous allons voir ce que nous allons voir. » Nous en avons vu de belles – et aussi d’un peu moins – dans cette suite de variations millimétrées et d’accouplements fusionnels ou contrastés pensant régler en un peu moins de trois heures les épousailles des carpes et des lapins.
La soirée débute comme l’impulso nîmois où la réformatrice de la danse flamenca féminine – le mot réformatrice a le sens ce celle « qui va de l’avant » au lieu d’être, comme chez nous, synonyme de régression sociale – avait fait son entrée à pas comptés depuis l’arrière-scène. Dans le cas qui nous occupe, avec sa robe sombre à fines rayures grises, Rocío Molina s’harmonisait avec le cube noir de Gémier dont y compris le sol avait été retapissé de PVC anthracite. La couleur étant annoncée, les guitares de ses fidèle accompagnateurs, Eduardo Trassierra et Dani de Morón, discrètes en un premier temps, ont bercé de doux mouvements faits de flexions de poignets, d’infimes gestes digitaux, d’ondulations de bras.
À cette démonstration de délicat braceo a succédé un accelarando audio et visuel, la falseta de Dani de Morón ayant précipité celui de la danseuse et de son collègue. Les gestes deviennent plus éloquents, plus démonstratifs, plus visibles du dernier rang de la travée principale – nous étions, quant à nous, situé côté cour dans le dispositif tri-frontal voulu par l’artiste. Du silence le plus abstrait a point le flamenco. Un thème musical bien plus grave dès lors s’est imposé. La danseuse a secoué une main, puis une jambe jusque-là dissimulée par la jupe un chouïa trop longue – celle-ci étant par ailleurs parfaitement ajustée. Les harmonisations guitaristiques nous ont rappelé le standard d’autrefois, Besame mucho, lui-même démarqué d’une aria d’Enrique Granados.
Ce retour aux sources, repéré dans la prestation gardoise, la femme savante qu’est Rocío l’a souligné par son utilisation des crotales de métal venus d’Inde. Une des qualités de la chorégraphe, non des moindres, est de travailler à fond chacune de ses lubies ou trouvailles. Inutile de dire que son solo percussif à base de subtils cliquetis des palillos de bronze, de chocs et contre-chocs de ces micro-cymbales, de frotti-frotta de pièces jaunes a été un régal.
Survint la tempête, produite par les bottines ferrées noires et l’appoint d’un expert en palmas ou compás, en l’occurrence, José Manuel Ramos « Oruco », amplifiée par les micros au sol qui bornent l’aire de jeu. Advint le procrastiné taconeo. Avec cette spécialité, Rocío Molina ne nous a à ce jour jamais déçu. Elle nous a administré ce que chacun espérait : un extraordinaire solo. Un solo d’une puissance inouïe et d’une précision diabolique. Il est vrai que son visage traduisait, par une expressivité préméditée ou une réelle possession, un état second, celui que le Moyen Âge associait à la sorcellerie, à l’hérésie, à l’apostasie. L’arrivée du talentueux cantaor José Ángel Carmona a donné lieu à un changement d’atmosphère. On est passé à la chose badine qu’est la bulería. Plusieurs bonus de claquettes nous ont été offerts par notre surdouée. Entre chacun, elle a repris son souffle ou glissé mine de rien des suites d’arabesques gestuelles, des moulinets de bras, des trébuchements chorégraphiés. La soleá, d’abord exprimée par le chant, l’a ensuite été par la danse.
Nous avons sans doute été moins convaincu par la prestation de Rosalba Torres, dénotant une idée de la « danse contemporaine » qui date quelque peu – on a songé, par moments, au Béjart de la période Bhakti – ainsi que du duo de cette dernière avec Rocío, avec ces gnognoteries, pour ne pas dire gougnoteries poussées jusqu’au striptease hors de propos, le tout dans un rapport frontal à la salle, façon théâtre à l’italienne.
Fort heureusement, les deux invités de fin de soirée nous ont réchauffé. L’un, François Chaignaud, a provoqué l’hilarité la plus saine avec, notamment, une époustouflante routine de pointes acérées rappelant la pièce qu’il avait co-signée avec Cecilia Bengolea, Devoted (2015) et des impromptus défiant la Sévillane, sur des musiques diffusées par des smartphones empruntés aux spectateurs. L’autre, Maria Mazzotta, a suscité l’émotion pure, avec ses chants en dialecte salentin et ses complaintes en italien accompagnées à l’accordéon par Bruno Galeone et l’orchestre de Rocío – le contrebassiste Pablo Martín Caminero et le percussionniste Pablo Martin Jones. Après une dernière bacchanale pour la route, la troupe, comme au cirque, est venue saluer la foule en délire.
Nicolas Villodre
Vu le 1er février 2020, salle Gémier, à Chaillot, dans le cadre de la Biennale flamenca.
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