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« Thanks for the dance » de Leonard Cohen

L’album posthume de Leonard Cohen, Thanks for the dance, est maintenant disponible dans les bacs et via internet. Sony nous en a aimablement envoyé un exemplaire et, dès la première écoute, se confirme l’intuition de Louis Robitaille : nous avons été très agréablement surpris.

Les textes, en anglais, sont de haute volée, ciselés pour consonner et rimer. On ne sait si un Graeme Allwright pourra nous les restituer en français, en respectant la métrique et l’esprit de ces poèmes mis en musique pour la plupart par le fils de l’artiste disparu, Adam Cohen, par ailleurs producteur du disque.

Le morceau-titre, Thanks for the dance, composé par Anjami Thomas, valse lente mais pas plus triste que ça, avec des accords suspendus (en quarte et aussi en seconde) et le « 1-2-3-1-2-3-1 » intégré au chant qui incite à la motion plus qu’à l’émotion, est destiné à devenir un tube. Citons quelques vers pour donner une idée de la simplicité du texte et de sa profondeur : « we were first we were last in line at the temple of pleasure but the green was so green and the blue was so blue (...) thanks for the dance it was hell, it was swell, it was fun. » Les arrangements musicaux sont tout aussi subtils. À l’orgue et au vibraphone succèdent les cuivres d’une fanfare austro-bavaroise pouvant rappeler celle, ouïe en sourdine, de la pièce de Trisha Brown Foray Forêt (1990). Le chœur féminin de Jennifer Warnes et Leslie Feist subliment le Sprechgesang du songwriter.

La voix, comme la situation lors de l’enregistrement, est grave. Pas vraiment « chuchotée » façon Gainsbourg dans son album-concept Melody Nelson (1971). Plutôt psalmodiée, mais assez puissante. Le titre inaugural, What happens to the heart, aux allusions bibliques (au Christ, à l’âme, et même à l’Arche de Noé) a quelque chose d’intemporel, accompagné d’abord au luth espagnol par Javier Mas, enrichi ensuite par des notes de piano de Zac Rae et Daniel Lanois, soutenu tout au long par une ligne de basse, des percussions, orné de sons flûtés. « Every soul is like a minnow, every mind is like a shark », affirme l’auteur. Les amours défuntes sont passées en revue, dans un titre serein et allègre comme  Moving On et dans Night In Santiago, jeu sensuel sur les apparences, la vérité toute nue, le mensonge dont on ne saurait être dupe, la suspension de tout jugement moral : « You were born to judge the world, forgive me but I wasn’t. » Aux nappes d’orgue Wurlitzer de Zac Rae, se joignent un chœur d’hommes, des rasgueos de guitare flamenca et, pour une fois, quelques vers mi-chantés.

Un changement de ton s’amorce avec le thème de la rupture amoureuse abordé par It’s torn. Le contenu se fait hermétique, cabalistique, métaphysique : « and now that it’s over and now that it’s done the name has no number, not even the one. » Le morceau s’orne d’effets guitaristiques de Daniel Lanois et de la voix de Sharon Robinson qui cosigne la musique avec Adam Cohen. La maladie est évoquée une première fois dans The goal dans un style postromantique : « I move with the leaves I shine with the chrome I’m almost alive I’m almost at home no one to follow and nothing to teach except that the goal falls short of the reach. » Au legato entre le piano et les guitares succède un vibrato et des phrases musicales très lyriques. De la maladie personnelle, Leonard Cohen passe à la mort collective, du drame individuel à la tragédie du siècle écoulé : l’extermination des Juifs par les Nazis. Le texte ayant pour titre et pour leitmotiv  Puppets qualifie de marionnettes victimes et bourreaux, nature et éléments, choses et mots, ce en quoi ce poème devient une comptine macabre.

The Hills est consacré à l’évolution du cancer, qui a rendu le système HS et épuisé la réserve de rire : « My page was too white my ink was too thin the day woudn’t write what the night penciled in. » Le titre de la chanson fait songer à celui du film d’Adolfas Mekas, assisté de son frère Jonas, Hallelujah the Hills (1963). Les paroles comme la musique sont de Leonard Cohen. À la toute fin du disque, Cohen père et fils en appellent à Dieu, écrit en pointillés (« G-d »), celui-ci pour les fervents ne pouvant être nommé. Dans The Hills, on notera l’importance de la rythmique (celle des batteries de Matt Chamberlain et Jamie Thompson), qui marque les pulsations et souligne le passage du temps. C’est le seul morceau sans guitare, mais avec orgue et chœur d’église et un final amplifiant les cuivres et les basses sépulcrales. Une partie des vers est redite par les voix d’Erika Angells (sic !), Le. La fin est abrupte. « Listen to the hummingbird » est l’adieu au public, au lecteur comme à l’auditeur, sous une forme apaisée : « Listen to the mind of G-d which doesn’t need to be don’t listen to me listen to the mind of G-d don’t listen to me. »

Nicolas Villodre

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