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« Nickel » de Mathilde Delahaye
Une fresque poétique sur la vie dans les bas fonds d’une ancienne mine de nickel.
C’est en s’intégrant au sein de la communauté de voguing parisien et en s’informant auprès des performeurs, que Mathilde Delahaye a senti que ces jeunes personnes racisées, homosexuelles et/ou trans, inventaient un mode de communauté protectrice et soignante, créaient les conditions pour réinventer leur vie, se redéfinir dans les marges d’un monde où leurs places étaient dangereuses.
« Comprendre et utiliser le voguing comme une technologie de pensée, dire comment la marge stigmatisée fait communauté pour réinventer sa vie : c’est tirer un fil, celui d’une résistance par le rituel exutoire, qui parle à tous et qui fait théâtre. En m’inspirant de cette culture, m’est venue une fable, une arche narrative, qui montrerait le passage du temps dans un lieu unique »précise la metteuse en scène.
A l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, sur un texte de Mathilde Delahaye et Pauline Haudepin, Nickel se déroule en Russie, à Norilsk située au nord du cercle polaire, dans les bas fonds d’une usine d’extraction de nickel.
Un décor à la hauteur d’un lieu malsain et terriblement austère fait apparaitre une sorte de bureau en hauteur coté jardin, une marre d’eau polluée et bouillonnante en fond de plateau et des murs de roches insalubres d’une profonde tristesse. En front de scène, un voile fait office tout le long de la pièce d’écran transparent où sont projetés des vidéos et de nombreux textes.
L’ouvrage se décline en plusieurs étapes : le dernier ouvrier qui quitte ce lieu dorénavant fermé et vingt ans plus tard la création du Nickel Bar où s’y retrouvent des êtres « hors normes » qui peuvent ainsi exprimer leurs espoirs, leurs rancœurs, leurs cultures et surtout leurs résistances aux idées préconçues.
Entre des poèmes en surtitre, de superbes danses de voguing et des phrases très personnelles, ces personnages en errance réinventent la société tout en prouvant qu’ils sont comme tout le monde, faits de chair et d’os, faits de rires et d’émotions.
Leurs visages filmés en gros plan lors de monologues instaurent un style de mise en scène étonnant car il est évidemment impossible de voir un artiste d’aussi près sur un plateau. Ils racontent leurs vies marginales, font ressentir leurs failles, rêvent d’utopie… Des rôles qui oscillent entre Orange Mécanique de Stanley Kubrick, Théorème de Pasolini et l’univers de Tim Burton.
Vingt ans plus tard, alors que la discothèque est abandonnée, apparait un petit groupe de personnages recouverts de combinaisons jaunes et de masques qui recherchent des matsutakés (un champignon japonais rare et cher, qui ne pousse que dans les ruines du capitalisme). Bien des années après, des jeunes envahissent joyeusement ce lieu pour y faire la fête et du bateau sur la marre apaisée de son bouillonnement.
Tout en déployant une fougueuse jeunesse, les intentions de mise en scène, où la parole, la musique, le chant, la danse et la vidéo se complètent admirablement bien, sont très intéressantes.
Mais, bien que les artistes soient aussi troublants que l’histoire, on peut regretter une certaine froideur et une inégalité d’interprétation exceptés le formidable danseur Julien Moreau et l’excellent comédien Thomas Gonzalez épatant dans sa tirade sur la reine des thermites.
Toujours est-il que Mathilde Delahaye propose un fascinant spectacle empreint de fraicheur et de noirceur, poétique et décalé, et surtout, une brassée d’idées originales et incongrues dont les thèmes très contemporains s’interrogent sur notre société.
Sophie Lesort
Spectacle vu à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône le 3 décembre 2019
Nickel
En tournée :
16 janvier au 1er février 2020, Nouveau Théâtre de Montreuil
26 et 27 mars 2020, Domaine d’O- domaine départemental d’art et de culture (Hérault, Montpellier)
1er et 2 avril 2020, Centre dramatique national de Normandie – Rouen
27 avril au 7 mai 2020, Théâtre National de Strasbourg
Mise en scène : Mathilde Delahaye
Texte : Mathilde Delahaye & Pauline Haudepin
Collaboration artistique : Claire-Ingrid Cottanceau
Assistanat mise en scène et chorégraphie : Julien Moreau
Avec : Daphné Biiga Nwanak, Thomas Gonzalez, Keiona Mitchell, Julien Moreau, Snake Ninja, Romain Pageard
Scénographie, régie plateau, dessins, figuration : Hervé Cherblanc
Création lumière : Sébastien Lemarchand
Création son : Rémi Billardon, Lucas Lelièvre
Musique originale : Antoine Boulé
Costumes : Yaël Marcuse & Valentin Dorogi
Régie générale, régie son, régie vidéo : Vassili Bertrand
Régie lumière : Lucas Samouth
Renfort régie générale et régie plateau : Marion Koechlin
Regard chorégraphique : Volmir Cordeiro
Régie lumière : Nicolas Souply
Film des danseurs Luc Delahaye & la communauté du Nickel Bar (15 à 20 amateurs.trices)
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