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Jan Fabre au Festival Instances
Après Annabelle Chambon, Antony Rizzi et Cédric Charron que l’on a pu voir dans leurs formidables solos signés Jan Fabre au cours de plusieurs éditions d’Instances à l'Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, c’est Matteo Sedda qui ouvre une nouvelle page de ces portraits d’interprètes avec The Generosity of Dorcas.
The Generosity of Dorcas fait référence à une bienfaitrice de notoriété biblique, Dorcas ou bien Tabitha, une femme donc, faisant partie des premières disciples de Jésus. Dorcas distribuait aux pauvres, et notamment aux veuves et aux orphelins, des vêtements de sa propre confection, avec un cœur « gros comme ça », ce que la gestuelle du danseur Matteo Sedda ne manque pas de souligner par moments. Ce solo est le dernier dans une série qui avait débuté par l’inoubliable Quando l’uomo principale è una donna, interprété par Lisbeth Gruwez. Et aujourd’hui, la femme biblique est… un homme!
Jan Fabre, bien connu pour surjouer les stéréotypes sexuels, autant que pour savoir en brouiller les pistes, jette dans l’arène une bête de scène aussi filigrane que prolifique en mouvements et images. Les pieds et les mains chaussés de blanc, le corps drapé de noir, Sedda incarne tout à la fois : Le sacré et le satanique, la pureté et la sexualité (tendance SM), l’altruisme et le narcissisme, le masculin et le féminin, la séduction et le dégout, le ballet et le cabaret, le mime et la prestidigitation. De ses mains tout de blanc gantés, Sedda multiplie les miracles gestuels.
Rien ne saurait remettre en question son image, toute forme de dualité étant déjà intégrée en cet interprète providentiel. Le « grand climax tourbillonnant » - qui nous est promis dans la feuille de salle - se prend les pieds dans une adulation quasiment religieuse à laquelle nous sommes convoqués. Alors que Lisbeth Gruwez avait à affronter l’huile d’olive tombant des cintres, toute adversité potentielle surgit ici de l’intérieur du personnage. A la fois Satan et Sauveur, Sedda et Fabre contrôlent donc tout, si bien qu’au résultat le spectacle manque de ressorts dramaturgiques. Ce qui n’enlève rien à richesse technique ni à la fascination que ce solo peut exercer pendant un bon moment. C’est du grand art de la scène, et cela devient rare.
Au-dessus de Sedda, des centaines d’aiguilles à tricoter, accrochées à des fils de laine de toutes les couleurs, renvoient à Dorcas et l’usage qu’elle faisait de ses mains pour vêtir les démunis. Telles des lames, ces aiguilles pourraient à tout moment s’abattre sur le personnage. Ensemble, elles évoquent la douleur qu’elles pourraient lui infliger, mais aussi les tuyaux d’un orgue ou la voûte d’un palais.
Thomas Hahn
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