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Dans les rues de Niort, un festival de danse pour tous
C’est de la danse bien connectée: Les catégories les plus différentes de la population participent activement à Panique au Dancing.
A Niort, la danse se lie avec l’habitant, dans la rue, sur les places, dans les salons de la mairie et même au Moulin du Roc, la scène nationale de Niort. Et une personne-clé est sur tous les fronts: Agnès Pelletier, chorégraphe et directrice de la compagnie Volubilis, si singulière avec ses Vitrines en cours, une série d’interventions chorégraphiques dans les vitrines de divers commerces. Mais Pelletier a aussi fondé Panique au Dancing - Danse Dedans Dehors, une biennale très citoyenne et pour tous les espaces de la ville, où la grande majorité des spectacles se jouent à accès libre.
Pendant trois jours, Vitrines en cours détournait en effet les messages incitant à l’achat, en centre ville et dans les centres commerciaux niortais. Et en effet, on n’imagine pas un travail de Pelletier qui ne se frotte pas aux réalités de la vie. Dans les salons de la mairie, la voilà chorégraphe de Transports exceptionnels, une chorégraphie pour certains danseurs-acteurs de Volubilis et les handicapés du Foyer des Genêts. Les spectateurs, assis sur quatre côtés, ont assisté à une sorte de bal, fait de rencontres furtives mais intenses, en fauteuil roulant. Où l’ambiance faisait penser à un certain Kontakthof de Pina Bausch. Quand même la mairie se transforme en dancing, tout soupçon de panique est écarté.
Panique Olympique
Le lendemain, on retrouva Pelletier en centre ville, face à une centaine de citoyens, majoritairement jeunes et arborant un téléphone portable dans chaque poche arrière du jean. Mais pas question de s’en servir, le temps de se connecter entièrement à la danse. La chorégraphe au micro dirigeait allègrement ce ballet pour citoyen.ne.s et sacs de courses neutres, vides et sonores, interrogeant notre identité de consommateur. Où l’on retrouve donc cet appétit particulier d’Agnès Pelletier d’ancrer la danse dans les situations du quotidien - ou inversement. Sur les sacs, pas l’ombre d’une enseigne commerciale ou de sponsoring. Et à l’intérieur, plus ou moins d’air. Ce qui n’empêcha pas une passante à vélo de pester : « Font ch…, avec leur culte de la consommation! »
Visiblement elle n’était pas au courant concernant Panique au Dancing, et croyait voir une manifestation de joie artificielle, organisée par la grande distribution. Eh bien, faut prendre le temps de descendre de son vélo, pour comprendre ce qui se joue… Ce ballet des courses n’était qu’une partie de Panique Olympique, une véritable vague de chorégraphies pour des centaines de citoyen.ne.s, organisée en complicité avec les professeurs des lycées et universités en Nouvelle Aquitaine. De 2018 à 2024, ce corps de ballet populaire prend de l’ampleur, pour aboutir sur le parvis de Chaillot, à Paris, à l’occasion des Jeux Olympiques. Et il paraît que ça s’appellera toujours Panique Olympique, à la barbe des opérations Vigipirate etc...
Galerie photo © Thomas Hahn
Tango Sumo : Fuera Fissa
Ici aussi, le public était jeune. Étonnamment jeune. Et certain.e.s avaient posé au sol des sacs en papier kraft. On les retrouva donc peu après au cœur de la ville, en répétant Panique Olympique et on sentit un engouement naturel et festif pour la chose chorégraphique. Les interprètes de Fuera Fissa avalent l’espace telle une horde, des fauves peut-être, félins, tel un seul organisme, soudés par une force poétique et une volonté de fer. D’une amplitude quintuplée, une femme et quatre hommes balayent le sol, s’élancent, fixent du regard une proie ou un prédateur imaginaire, s’envolent, s’écrasent, se ramassent et continuent leur chassé-croisé, jusqu’au bout de leur souffle. Avec sa course haletante, le quintet a su galvaniser son public, et avant tout ces jeunes qui oubliaient, le temps du spectacle, leurs smartphones.
Galerie photo © Thomas Hahn
Ce concentré d’énergie collective, fauve et pourtant urbaine, apporte une nouvelle preuve de la qualité du travail de la compagnie d’Olivier Germser qui pratique une danse de rue populaire qui ne lâche rien en termes de qualité d’écriture, et qui au contraire en rajoute dans la maîtrise de l’espace, face au quatre côtés de l’aire de jeu et de l’espace urbain. Et pourtant, Germser, ce Hofesh Shechter des places publiques, s’insurge en marge du spectacle: « Le monde de la danse n’a rien à faire de nous ! » Et soit c’est Germser qui a tort (on l’espère), soit c’est le monde de la danse !
Lisbeth Gruwez : Pénélope
C’est entendu : Pénélope donne le tournis à ses prétendants. Tournant du début à la fin, Lisbeth Gruwez ne laisse aucun doute. Grâce à la force métaphorique de l’art, on saisit immédiatement le jeu de miroir. Le mouvement giratoire incessant laisse une seule personne dans un état sans vertige aucun: C’est Lisbeth Gruwez, la derviche tourneuse. Son calme apparent s’apparente à l’œil du cyclone. D’où son incroyable stabilité physique et la mobilité de l’esprit.
Gruwez est pourtant moins précise dans ses postures qu’Alessandro Sciarroni dans son solo Turning. Mais la soliste belge pratique la précision émotionnelle. Elle fait vivre son personnage et le démultiplie, en modulant l’intensité d’un geste, du regard, de la tension du corps et autres détails. Aussi passe-t-elle d’un état de domination à une fragilité absolue, à la révolte, au questionnement… Contrairement aux derviches tourneurs spirituels, Gruwez reste connectée à la terre, et ici aussi à la verdure qui l’entoure, face au théâtre du Moulin du Roc. Comment s’empêcher alors de se substituer à l’oracle et de prédire à Pénélope que grâce à sa force mentale et physique, ce solo va beaucoup tourner ?
Luisa Saraiva : Enchente
A l’intérieur, sur la grande scène, la coopération entre Panique au Dancing et Le Moulin du Roc s’est pleinement affirmée avec les représentations de la pièce Enchente (inondation) de la chorégraphe portugaise Luisa Saraiva. Où sept danseurs ébranlent toute idée de certitude. A tout moment, l’architecture du corps peut céder.
Chez chacun.e Et l’effondrement a beau s’annoncer par quelque tremblement ou élan préparatoire, les tentatives de rattraper la ou le camarade échouent de plus en plus souvent, voire fatalement, dans la mesure où la structure du groupe se dilate à son tour.
La solidarité collective cède à des tentatives de sauvetage de plus en plus individuelles, qui échouent avec toujours plus de fracas, jusqu’à ce que le groupe entier, désormais fait de sept solitudes, se trouve projeté au sol - avant que la ligne initiale ne se forme à nouveau, en changeant d’angle pour le public, pour repartir dans le même processus. Il y a donc un fond beckettien dans cette « inondation », si ce n’est carrément un salut à Sisyphe.
Travail aussi répétitif que filigrane, Enchente révèle une jeune chorégraphe à l’écriture à la fois plastique, sensible et dramatique, aussi intelligible qu’intrigante, par une pièce qui représente l’aboutissement d’une première forme, présentée en 2016 au volet séoulite du concours Danse élargie.
Et assurément, on peut y voir une manière fulgurante de donner corps au nom du festival : Panique au Dancing.
Thomas Hahn
Spectacles vus les 26 et 27 septembre 2019
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